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Billet de blog 14 janvier 2012

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Faire village

 Modifier le mode de production de la subjectivité humaine. Tel est il me semble l'enjeu central qui pose d'innombrables questions et problèmes de tous ordres depuis fort longtemps. Les idéologues de la fin de l'histoire on tout fait pour le mettre en bocal afin de le ranger sur une étagère et qu'on en parle plus. Selon eux, il était temps de passer à des choses sérieuses : produire et gagner du pognon en rationalisant au maximum les rapports de production. Mais voilà, ça ne se laisse pas enfermer si facilement le désir de vivre et c'est tant mieux, ça faisait un bail qu'on avait pas eu des problèmes intéressants à se mettre sous la dent.

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Modifier le mode de production de la subjectivité humaine. Tel est il me semble l'enjeu central qui pose d'innombrables questions et problèmes de tous ordres depuis fort longtemps. Les idéologues de la fin de l'histoire on tout fait pour le mettre en bocal afin de le ranger sur une étagère et qu'on en parle plus. Selon eux, il était temps de passer à des choses sérieuses : produire et gagner du pognon en rationalisant au maximum les rapports de production. Mais voilà, ça ne se laisse pas enfermer si facilement le désir de vivre et c'est tant mieux, ça faisait un bail qu'on avait pas eu des problèmes intéressants à se mettre sous la dent. Je me place avec cet énoncé au point d'arrivée d'une pensée collective selon laquelle le sujet humain n'est pas tant que ça une subjectivité contenue dans un individu mais plutôt un construit fait des briques et des brocs du monde complexe dans lequel il naît et grandit. Que le sujet humain soit produit par un mode de production sous entend un rapport à l'industrie, à la manufacture.

C'est au moment où tout espoir semblait perdu de changer quelque chose aux relations humaines que la réalité, poussant son joug cruel dans nos flans, nous a réveillé : « Remettez-vous au boulot, les gens, sinon c'est la fin du monde pour de vrai ! »

Alors je me suis remis à espérer, je me suis remis en chantier. Sauver le monde, voilà un challenge passionnant. Heureusement je n'étais pas seul, je n'étais plus seul, d'autres hommes et femmes de ce pays et du monde entier ont relevé la tête et conçu qu'il pouvait y avoir un autre horizon que la triste fin de l'histoire. D'autres possibles, d'autres complexité, un avenir de l'homme, alors nous nous sommes indignés.

Notre pays est devant un seuil, un tournant décisif. Cela a été dit et continue à être dit dans cette campagne électorale qui commence, encore une. Comme je voudrais qu'elle ne soit pas comme les précédentes, comme je voudrais qu'on attende pas son issue pour changer le monde, comme je voudrais qu'enfin nous prenions le pouvoir, nous, le peuple. Mais est-ce le pouvoir qu'il faut prendre ? Et pour faire quoi ? On sent bien qu'il est là le problème !

Ce long billet un peu foutraque a vu le jour sous l'impulsion d'une lecture à laquelle il est redevable : La Zone du Dehors d'Alain Damasio paru aux Éditions La Volte. Un lourd bouquin de Science Fiction dans lequel notre monde actuel est décrit avec une acuité féroce et ou les problèmes que j'essaie de développer sont illustrés et accompagnés d'une proposition de résolution. Gagnerait en concision parfois, mais bon, un livre qui deviendra Culte s'il ne l'ait déjà !

Le seul truc qui m'ait un peu agacé c'est le sort injuste que l'auteur réserve à la psychanalyse. Alors je lui fais la part belle.

La déconfiture du père empêche-t-elle celle de la mère ? Déclin de l'autorité, démission parentale, perte des re-pères et des valeurs, etc... On serait tenté, dans une perspective freudienne, à considérer cet énoncé du point de vue de l’Œdipe, de penser que, puisqu'il y a déconfiture du père c'est au profit de la mère et de regarder tous les enfants, qu'ils aient 40 ans ou moins, comme atteint de psychose fusionnelle. C'est que si l'on se déplace le long de deux chaînes signifiantes entrelacées, voire même trois, car nous n'avons jamais de deux dans ces histoires là, mais toujours du trois, nous allons peut-être progresser dans notre compréhension de notre énoncé initial et que peut-être on parle un langage qui n'a plus cours.

Le père, cela renvoie, dans le discours freudien, au Surmoi, instance psychique dont les psychanalystes orthodoxes nous expliquent à longueur de pages qu'elle supporte le discours normatif, autrement dit la loi, l'ordre social. Le père est l'Ambassadeur de la réalité... sociale. Il est celui qui vient du dehors pour signifier que ce dehors est le destin de l'enfant et qu'il va bien falloir qu'il s'y adapte. La mère, cela renvoi au Moi en ce sens que le Moi, c'est ce qui est bon à l'intérieur de moi, ce que j'aime et qui me fait du bien. Ce qui ne veut pas dire que le Père soit mauvais. Le Ça, il rentre en résonance avec quoi ? Avec le troisième du triptyque, l'Enfant. L'Enfant, c'est ce qui veut, ce qui ne supporte pas la raison sociale que le Père porte comme un habit et pour laquelle il peut aller jusqu'à s'armer. Si l'on en reste là on peut dire que s'il y a déconfiture du Père c'est que l'Enfant a pris le pouvoir, ce qui est une version séduisante qui rencontre de l'écho. La Mère est toujours l'alliée de l'Enfant mais où donc faut-il l'attendre ? Quelle mère ?

Puis vinrent 68 et Jacques Lacan a partir desquels nous allons continuer de tresser notre discours. Au Surmoi vient alors se substituer, mais sans se superposer forcément, le Symbolique. Moi, ça me va bien cette idée-là parce que je trouve depuis longtemps un peu étroite cette idée de Père par rapport au Surmoi. Car enfin, nous savons bien que le père, qu'il soit géniteur ou non d'ailleurs, le père de famille, n'est qu'un vague représentant de quelque chose de bien plus large : la société avec ses lois, son système d'organisation, les obligations et les comportements qu'elle attend du petit de l'homme. Je dis à mes étudiants, c'est une fonction, la fonction du père. Mais il faut aller au-delà. Une fonction, ça ne vaut rien, qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Mais une dimension Symbolique ça oui, ça veut tout de suite dire quelque chose. Un code. Le code de la route est une émanation directe de ce Père/Surmoi et pourtant ce n'est pas une personne. Nous nous écartons de la personnalisation des instances psychiques avec Lacan, nous passons au langage et à la structure langagière de l'inconscient. Le langage n'est pas un produit familial, enfin, pas uniquement, pour être juste. Un langage est une production collective. Si l'inconscient est structuré comme un langage cela pourrait donc signifier que l'inconscient est un produit collectif. Ça prend tournure cette affaire !

Le Réel est ce qui a imposé à l'homme de devenir un être de langage. Le Réel est ce qui vient en place du Ça mais sans le remplacer cependant, il faut le préciser, nous ne sommes plus dans la pensée freudienne du monde. Nous sommes autour de 68, dans une période d’ébullition sociale intense durant laquelle des mutations de langage s'opèrent qui signent déjà une certaine déconfiture du père. Mais de quel père parlons-nous ? Celui de la triangulation œdipienne, celui du schéma familial classique bourgeois du XIXème siècle et du début du XXème : Papa-Maman et Moi. Ce schéma surcharge le père d'une fonction impossible et si douloureuse pour lui qu'il n'a qu'une voie pour l'assumer, une voie sado-masochiste : la voie de l'oppression. Le pouvoir sous toutes ses formes en est l'expression directe. Le père de famille se décharge progressivement de ce poids impossible à porter plus longtemps. La fonction symbolique du père se décolle du père et … ère. Dès lors le pouvoir s'attribue cette fonction de façon assez radicale. Cela existait avant déjà, ne parlait-on pas de paternalisme par exemple, dans les entreprises. Le patron avait déjà tiré à lui cette fonction paternelle dont les pères de famille se délestaient volontiers, trop embarrassés. Le Réel est le monde en ce qu'il existe en terme de souffrance, d'intensité, de douleur, de tension, d'agencements bio-moléculaires. Le Réel est l'inconscient machinique auquel le langage donne un sens possible pour l'humain.

Quand l'Imaginaire tombe en panne le sujet cherche un psychanalyste. C'est ce que j'ai fait il y a maintenant assez longtemps et j'ai reconquis mon Imaginaire. A noter que ce que l'on appelle le Moi est cette idée de soi qui est fort mal en point lorsque l'imaginaire tombe en capilotade. La stérilité psychique laisse la place toute entière au Symbolique et au Réel et c'est à ce moment-là que notre question initiale devient intéressante car la part Imaginaire sera construite et investie en fonction des deux autres ordres. Nous voyons bien aujourd'hui, parce qu'il y a guerre sur ce terrain, comment le Symbolique, par le truchement du langage sous toutes ses formes, attention à ne pas limiter le langage au verbal même si le verbal occupe une place importante (les images sont aussi omniprésentes) façonne l'Imaginaire d'une manière radicale. La novlangue technocratique agit directement sur les organisations de travail, la télévision agit directement sur l'organisation familiale et sociale. Le plus simple pour le pouvoir est que chaque sujet vive un Imaginaire dès plus intense et que cet Imaginaire soit un produit du pouvoir auquel il est asservi. Donc, pour éviter le recours au psychanalyste, en tant qu'il est considéré comme un concurrent par le pouvoir ce qui n'est pas toujours le cas hélas, il faut nourrir l'imaginaire des individus comme on nourrit une belle plante avec des engrais labellisés.

Le mode de production capitaliste ne façonne pas que des produits pour la consommation des ménages, il façonne aussi les ménages afin qu'ils consomment les produits qui sont mis sur le marché. Il façonne les sujets pour qu'ils deviennent de bons petits sujets du capitalisme. Comment modifier ce rapport de production ? Voilà que je reviens enfin au problème de départ. Elle n'est pas nouvelle, on se la pose depuis Marx au moins. Faut-il d'abord faire la révolution pour changer le mode de production des objets de consommation en le nationalisant en supposant que la conséquence sera une mutation de l'imaginaire des peuples ? Faut-il d'abord changer les mentalités ce qui correspond en gros au mode d'approche social-démocratique dont on voit assez clairement qu'il ne permet pas de décoller du mode de production capitaliste, voire même qu'il l'entretien et peut en aggraver les effets nocifs ? Y a-t-il une voie médiane qui passe entre les deux ou entrelace les deux ? Rien de tout cela ne me paraît pouvoir mener à une issue possible, simplement parce que ces deux approches supposent un centre décisionnaire, une politique d'en haut, autrement dit suppose de penser le changement dans le langage du capitalisme, ce qui pose un problème majeur.

La réflexion autour des problèmes de pouvoir recèle sans doute une partie des réponses aux questions qui se posent. Le Front de Gauche propose un Imaginaire intéressant, nouveau, porteur d'espoir, mais qui n'est pas sans contradictions internes. Le Symbolique y est complexe et mal défini si je puis me permettre. Je veux dire, pardon mais là je rentre dans l'inconnu, que ce qui est proposé par le Front de Gauche et que se traduit par des slogans aussi précis que ceux-ci : « La consigne c'est de ne pas attendre les consignes ! », « Place au Peuple ! », « Présidons ! » et j'en passe, rentre en contradiction avec ce qu'il est. Est-il possible de changer de système en utilisant les catégories du système que l'on veut dépasser ? Les organisations politiques phares qui constituent le FdG sont des productions collectives structurées par et dans le langage du capitalisme. Ils en sont une émanation directe quoi qu'on en dise parce qu'en agissant contre lui ils n'en sont pas la négation, bien au contraire. La fonction du Père y est assumée par des chefs et les partis sont gérés comme des entreprises privées avec un conseil d'administration et, malgré tout les efforts faits dans ce domaine, une hiérarchie verticale centralisée qui concentre les canaux du pouvoir entre un nombre de mains réduit qui correspond aux voix qui l'expriment et le représentent en même temps. Cette logique propre au système de production capitaliste se retrouve au niveau des élections. Ceux qui ont le pouvoir créent eux-mêmes les lois et les organisations qui leur permettent de le garder indéfiniment. Le Front de Gauche ne semble pas échapper encore à cette logique qu'il dénonce. D'ailleurs, s'il y échappait vraiment, aurait-il un candidat à ces élections ?

Le mouvement des Indignés s'oppose à cet imaginaire bourgeois et rassemble des insurgés qui manifestent contre l'accroissement insensé des injustices sociales et économiques. Dès lors que l'ordre Symbolique ne surcode plus le Réel efficacement il tend à être remplacé par un autre. Les mensonges, les arnaques d'état, les grandes tromperies économiques à quoi nous assistons et que nous subissons effondrent le Symbolique construit sur la base des Trente Glorieuses. Une métamorphose du Symbolique est donc en cours. Je crois qu'il nous faut aborder ces phénomènes en termes dynamiques. Métamorphoses, processus, effondrement, liquéfaction, voilà des mots, parmi d'autres, qui peuvent nous aider à comprendre et à accompagner les mouvements sociaux qui sont en train, ou sur le point, de se produire.

Ce qui me frappe dans le mouvement des Indignés, c'est la tendance très fort à faire village, j'aime cette formule, autrement dit qu'il recréent une forme de lien social qui est entrée en obsolescence sous la pression économique centralisatrice du capitalisme : le lien de proximité, de convivialité et de solidarité du village. A la Défense, lieu hautement représentatif d'un ordre symbolique devenu impossible à supporter et à vivre, les indignés français ont tenté de faire village. Faire village est un signe fort car le village est une structure évolutive marquée par une grande durée, une grande résistance à l'usure du temps, une économie propre qui sert tout le village et non les intérêts de quelques uns. Le Front de Gauche propose des villages lui aussi par le biais des Assemblées Citoyennes et de différentes formes locales de rassemblement populaire mais je pense qu'il ne deviendra crédible qu'à partir du moment ou les structures de pouvoir des partis accepteront de s'effacer devant la volonté des villages ainsi suscités.

La démocratie réelle comme aventure humaine de refondation d'une subjectivité qui passerait ainsi par cette notion de village, de tribu, de groupe qui est mise en action en divers lieux de cette production particulière. Aux Assemblées Citoyennes du FDG et aux Occupations de places des indignés peut-on ajouter les innombrables activités des internautes associés en groupes de discussions, en forums et autres agrégats sociaux autour de divers projets, comme les logiciels libres par exemple ? Certainement. Peut-on y ajouter les expériences !

Une certaine orientation pédagogique part du principe qu'un élève ne peut pas apprendre quelque chose qu'il ne connaît pas déjà. Je crois que dans le domaine qui nous occupe c'est pareil : nous savons !

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