L'homme ne peut rien faire de ce qu'il ne connaît pas.
Aussi ai-je toujours pensé que l'homme n'avait pas peur de l'inconnu. Ce qu'il nomme ainsi n'est pas inconnu de lui mais c'est en quelque sorte, une réalité hantée, un in-connu.
Cette réalité hantée est une chose qui n'a d'antériorité pour l'homme que du fait d'une greffe. Où l'on saisit toute la polysémie que j'ai introduit auprès de cette réalité entée d'un connu, d'un déjà connu.
Ce qui effraie l'homme dont on pense à tord qu'il est effrayé par de l'inconnu, c'est dans la chose ce qu'il y met de déjà connu. Ainsi voit-on se propager une forme extensive de ce que nous appelons transfert dans la psychanalyse.
Je pense à présent que cette notion de transfert est par trop limitée dans la psychanalyse pour laquelle elle est un support très désirable de la thérapie. Il me semble que le transfert occupe une fonction totale dans la vie des sujets et que par exemple, la réalité délirante du psychotique, du schizophrène est peut-être un trouble de cette activité de transfert comme si le connu de lui, du patient, ne trouvait pas le moyen de se fixer sur des objets adéquats. Je ne dis pas de bons objets, attention, je dis des objets adéquats pour souligner que ce dépôt dans l'objet inconnu d'un connu qui permet de l'intégrer au monde, peut avoir un sens ou n'en pas avoir.
Nous avons évolué au travers de l'inconnu, par petites greffes progressives. Cela rappelle la zone proximale de développement de Vigotsky, psycholoque russe qui a beaucoup travaillé sur la pédagogie. Selon lui un apprenant, un enfant à l'école par exemple, ne peut s'approprier un contenu nouveau que par le truchement des liens qui existent entre ce contenu soi-disant nouveau et ce qu'il connait déjà. Il me semble bien que cela est vrai toujours, ce qui me fait dire au début que l'homme ne peut rien faire de ce qu'il ne connaît pas... sauf s'il croit ne pas le connaître alors qu'en vérité même si cette réalité recelle beaucoup de nouveauté elle n'est pas dénué de déjà connu.
L'homme confronté à une situation qui lui semble inconnue va l'investir d'idées, de représentations, d'images connues de lui. Il fera cela plutôt inconsciemment bien entendu. Ce par quoi il sera possiblement effrayé ou inquiété n'est pas la part inconnu de l'objet qui se présente, puisque cette part n'a pas d'existence pour le sujet, mais une part qu'il y met, ce "de lui" qui vient hanter cet objet. L'homme a peur des fantômes, de ses fantômes, grâce auxquels pourtant il construit des fantasmes qui lui permettent de s'approprier toujours plus de réel.
Le transfert serait donc ce mouvement des fantômes. Il devient du coup difficile de dire qu'il peut ne pas y avoir transfert. A moins d'attendre un type singulier de transfert, le transfert amoureux par exemple. Il se peut par contre que la mécanique du transfert soit inappropriée : que les fantômes, au lieu de s'intégrer au réel d'un objet qui du coup peut intégrer la réalité, se baladent en liberté, comme pour eux même, qu'ils deviennent à la fois le réel et la réalité dans une confusion du réel et de l'imaginaire, dans le délire. L'impossibilité où sont ces êtres là de manipuler les concepts symboliques les prive grandement de cette compétence psychique de travestissement du réel auquel parvient suffisamment bien le névrosé.
De quoi ceux-là ont-ils peur ? Et Dieu sait qu'ils peuvent être terrorisés à préférer sous jeter sous les trains. Il se pourrait qu'à ceux-là l'inconnu apparaisse dans tout son impossible, dans toute sa réalité épouvantable. Alors oui, peut-être les psychotiques, les schizophrènes, ont-ils peur de l'inconnu qui hante le monde.