Simple discussion familiale. Le coup de fil hebdomadaire pour entendre ses parents, leurs voix, leurs questions, partager les nouvelles, les joies, les peines. Corona-contexte oblige nous parlons de la crise, des dernières interventions médiatisées de Philippe, de Raoult ou de Macron. Puis la vie reprend son cours.
(Fils) "Comment vont Tata Simone, Papy Lucien ?".
"T'as trouvé des graines pour le jardin ?". "Le poulailler est lasuré et monté, ça y est ?".
"Ah et je voulais te demander un truc de bricolage, j'ai un souci électrique que je ne sais pas résoudre, ça doit être simple mais jvois pas".
(Père) A l'autre bout du fil, un père aimant qui s'inquiète pour ses enfants :
"Et si tu prends un appart plus grand pour t'installer avec quelqu'un, le loyer sera bien plus élevé, tu feras comment pour signer le bail ?"
"Et si tu changes de boulot, t'as des idées pour la suite, t'as réfléchi à ta carrière ?".
(F) "Ben on verra bien, on y arrivera, on demandera un cautionnaire ou un peu d'aide à l'extérieur si besoin".
"Pour le boulot, les prochaines étapes, tout ça, jsais pas, je laisse un peu le fil se dérouler".
(P) "Il faut avoir un point en ligne de mire, des objectifs vers lesquels tendre.
Pour s'en approcher étape par étape. Sinon, on subit, on se fait balloter".
(F) "... ... ..."
(F) "Tu plaisantes Papa, tu parles de projets à 10 ans alors qu'on ne sait même pas comment on va finir l'année, alors que tout est doutes et incertitudes. On cherche peut-être un traitement ou un vaccin mais on est, bien au-delà du coronavirus, en train de changer de monde ! Le vivant meurt à toute vitesse depuis au moins trois décennies, de manière certaine, irréversible, et tout le monde s'en fout. Par contre pour aller chercher des masques, là ya du monde. Ça se porte sur la bouche et le nez, PAS SUR LES YEUX, on ne le dit pas assez !"
(P) "Quand on regarde l'Histoire, les changements ont toujours été progressifs, il faut du temps et c'est...".
(F) "Oui sauf que là c'est pas une crisounette qui est en cours hein, on parle d'une extinction de masse déjà bien entamée, ON N'A PLUS LE TEMPS ! On ne sait pas si les équilibres fragiles qui fondent la nature, notre alimentation quotidienne, la beauté et la magie de nos écosystèmes ne vont tenir, ne serait-ce encore que 5 ans... Les générations précédentes ont connu ça ? Pas le passage d'une époque à une autre, hein, mais la mort du vivant visible en direct à l'échelle d'un quart de génération ? Un mur qu'on voit arriver de plus en plus proche et qu'on ne fait RIEN pour éviter ? Une planète massivement, profondément, mondialement détruite en temps de paix et de prospérité ? Vos générations et celles précédentes ont connu des bouleversements ou des ruptures majeurs mais rien de cette ampleur ou de cette nature. Et il faudrait que je pense à ma CARRIERE et à une suite de vie planifiée et réfléchie ??!"
(P) "... ... ..."
Il y a les gestes barrières en vigueur depuis 8 semaines. Il y a aussi les pensées barrières semble-t'il. Dans les têtes des parents. Dans celles de leurs enfants aussi, évidemment. Il y a ce que sème l’État : la distanciation sociale, la peur, la méfiance, la rupture des contacts, des solidarités. La mise au ban de la chaleur humaine et des moments simples mais communs qui font - qui sont - la vie. Il y a en face nos pensées, nos croyances, innées ou acquises, nos schémas pré-câblés souvent limités ou biaisés, nos réflexes, notre culture familiale, personnelle. Il y a ainsi superposition d'un bouillon étatique ou sociétal nous infusant subrepticement et ce que nous-mêmes entretenons dans nos têtes. "Il faut vite que le système redémarre, il n'y a pas le choix" ; "on ne peut pas changer de système comme ça, il faut y aller petit à petit" ; "il faut une impulsion qui vienne d'en haut, seul(e) on ne peut rien" ; "ces politiciens sont absolument nuls mais les prochains feront mieux" ; ...
(P) "On va essayer de venir te voir dans l'Est début juin, ça devrait être bon d'ici là".
(F) "Je n'y crois pas un instant, les déplacements de confort à travers la France seront certainement toujours interdits".
(P) "De toute façon, économiquement ya pas le choix, on va être obligé de redémarrer et c'est tant mieux".
(F) "... ... ..."
Et si le 11 mai, nous levions enfin les barrières, TOUTES les barrières ?
Et si le 11 mai, chacun s'attachait à voir qu'il n'y a pas UN possible mais une MULTITUDE de possibles ?
Et si le 11 mai, chacun s'employait à devenir libre, puissant, créateur, au delà de toutes les croyances et peurs qui nous habitent individuellement et collectivement ?

Agrandissement : Illustration 1

Le lendemain, par texto :
(P) "Je voulais ajouter quelque chose. Est-ce que mes réflexions t'embêtent car je parle librement ?"
(F) "Ben non, absolument pas, au contraire c'est intéressant de confronter les points de vue. Mais des fois c'est compliqué d'être la génération qui doit réorienter ce monde, tu sais".