La Transparence pour les Nuls

Plus la peine de vociférer, sous le coup de la colère, des "tous pourris" exaspérés ! Il suffirait de se renseigner pour séparer le bon grain de l'ivraie. De se renseigner, par exemple, sur le vote de son (sa) député(e). Pour ne plus voter pour lui (elle) si, par malheur, il (elle) avait voté une mesure que l'on juge scélérate en catimini. Le texte titillant contenant le fourbe amendement m'est cette fois apparu par cet article : "Le parlement facilite la vie des fraudeurs financiers" (texte adopté en pleine affaire Fillon). Et c'est par là qu'une simple vérification citoyenne s'est muée en un projet de rédaction de "La Transparence pour les Nuls". Récit.

1/ Au départ, un petit tour sur le site de l'Assemblée Nationale permet assez vite de trouver le "compte-rendu intégral de la séance du jeudi 16 février 2017" et d'identifier dans celui-ci la thématique qui nous intéresse (le point numéro 4 du sommaire ci-dessous).

2/ A ce stade de l'aventure le citoyen naïf se dit "rhhhôôô, quelle simplissime transparence, il suffit de cliquer sur "Vote sur l'ensemble" pour voir qui a voté le texte". Et donc il clique, naïvement (héhé le con, qu'il est marrant : cliquer sur une section "vote" pour voir qui a voté, ahahah !).

3/ Hé ouiiiii, la liste des noms des députés ayant voté le texte a été engloutie dans une faille spatio-temporelle ! Le citoyen perspicace recharge la page internet, vérifie qu'il est bien sur le compte-rendu intégral de la séance. Rien à faire, les noms n'apparaissent pas, la transparence n'est déjà, elle, plus intégrale. Notre Candide croyait bêtement que les citoyens avaient accès au détail des votes de leurs représentants. Bêtement oui.

4/ Notre citoyen ne lâche rien, il décide de se renseigner sur les différentes modalités de votes en vigueur à l'Assemblée Nationale. La question en filigrane est, naturellement, de comprendre pourquoi les noms des votants n'apparaissent pas dans un compte-rendu dit complet. Notre citoyen trouve finalement les détails suivants dans la "fiche de synthèse n°44" que met à disposition l'Assemblée.

>> "Le vote à main levée est la procédure normale". Mouarf ! Etonnant au 21^ème siècle mais pourquoi pas ? Un impératif de rapidité derrière ce choix peut-être ?

>> "En votant à main levée, les députés présents manifestent publiquement leur position. Mais cette position n’est ni enregistrée ni publiée au Journal officiel". Là, ça se corse : on a donc un vote public jamais publié. Et c'est la procédure normale ?! Aaaaah, transparence, quand tu nous tiens ! Le scandale est partout, jusque dans la manière dite "normale" de voter, incroyable et révoltant, non ?!

La conclusion, à cette étape, est que le texte voté l'a probablement été à main levée. L'absence du détail des votes est expliquée. La logique morale ou républicaine que sous-tend cette procédure est elle largement discutable...

5/ Puisque nous vivons désormais dans un monde de transparence, nous décidons de nous acharner encore un peu. Claude Bartolone, le Président de l'Assemblée Nationale, promettait après tout de faire de l'Assemblée Nationale une "maison de verre" dès 2012. Nul doute que 5 ans plus tard, la transparence soit reine ! Hein, moi, ironique ? Non jamais. Bref, les séances de l'Assemblée sont filmées et rediffusées (sur LCP par exemple). La question suivante émerge naturellement : "existe-t'il un replay des débats à l'Assemblée ?". Réponse : oui, tout est visible dans la maison de verre, puisqu'on vous le dit ! C'est ici, sur http://videos.assemblee-nationale.fr.

Alors là, c'est le jackpot !!! Rendez-vous compte : un nouveau site de vidéos légal, où chaque film dure en moyenne 3h40 ! De quoi remplir des week-end audiovisuels passionnants si vous aimez le 3^ème âge, la naphtaline et les costards parfaitement repassés !

Blague à part, la vidéo de la séance du 16 février figure sur le site. Elle n'est même pas planquée... c'est presque louche ça...

6/ L'enquête continue : ya plus qu'à mater les vieux et voir lesquels sont encore assez en forme pour arriver à lever la main ! Passons sur la foule incroyable remplissant l'hémicycle, cela serait malveillant et hors sujet. La séquence sur le texte comprenant l'amendement sur la prescription commence à 2h05min57s. La séquence de vote commence, elle, à 2h47min48s. Si vous vous rendez à cette période précise, vous allez pouvoir assister à un spectacle démocratique et républicain incroyable : le vote à main levée tant attendu !

Concentrez-vous ! Attention, ya que des vieux... mais ils sont rapides (comme quoi les apparences...) ! La scène du vote vaut son pesant d'or : elle dure 2 secondes sur 3h40 de séance. Le vote POUR le texte se produit à 2h47min48s, le vote contre 1 seconde plus tard (sérieusement). L'angle choisi pour ce moment d'intense et furtive vérité est exceptionnel : seule une petite partie de l'Assemblée est filmée et il y a fort à parier que des députés ayant contribué au texte - et donc voté pour - soient hors champ !

Voici ce que nous arrivons à capturer du vote au final (les identifications des protagonistes présents ont été effectuées "manuellement" en visionnant le film à répétition et en recoupant avec les photographies officielles des différentes personnes) :

Les deux personnes sur la gauche des deux images n'ont pu être identifiées à ce stade, d'où les points d'interrogation. Toute aide à ce sujet est évidemment la bienvenue.

Bilan : après plus de 4 heures d'investigation, il est impossible de connaître la liste exhaustive des députés qui ont voté cette loi. Il est impossible de savoir qui a voté contre ou s'est abstenu. Il est impossible, encore, de savoir combien de personnes ont voté. La maison de verre reste décidément bien opaque. Et si c'était elle, plus que les banlieues, qui avait besoin d'un bon coup de karcher ?

La marche qui sépare ce simulacre de république d'une république vivante et réelle car transparente et exigeante semble en tout cas immense. Le système ne se réforme pas de l'intérieur, quoi que l'on puisse entendre. Le contre-pouvoir citoyen est plus que jamais nécessaire, vital même, pour faire avancer les choses. Ce contre-pouvoir est simplement... entre vos mains ! Mobilisez-vous, utilisez-le !