Le mercredi 8 avril, à la galerie du Chosun Ilbo, j’ai assisté et participé au vernissage de l’exposition de la peintre coréenne Inhun Song.
A la demande de K., j’avais écrit un très bref article intitulé : Les Champs de Couleurs
» A cause de la brièveté de ce texte, j’ai choisi de focaliser mon attention sur quelques déterminations internes aux images de la peintre coréenne Inhun Song, car elle affirme dans ses toiles non seulement le pouvoir de la peinture en tant que matériau, mais aussi et surtout le pouvoir de la couleur. En effet, ce qui domine, et se voit avec force dans les grands formats, c’est la couleur, la présence et la puissance de couleurs, vives, intenses, saturées; couleurs utilisées par l’artiste pour peindre essentiellement des paysages et parfois des natures mortes.
Certaines toiles du passé apparaissent plus « classiques » dans leur forme, c’est pourquoi celles où l’abstraction domine, sans pour autant effacer ce qui se veut figuratif, ont plus attiré mon attention. Les couleurs choisies par l’artiste ne renvoient aucunement aux couleurs naturelles de paysages que l’on situe dans l’espace méditerranéen, réel ou imaginaire : elle utilise une palette assez restreinte avec des tons surtout rouges, orangés ou bleus, bleus souvent très sombres, sans oublier le vert et le jaune. Ce qui saute littéralement aux yeux ce sont de grands aplats de couleurs, autrement dit de grandes surfaces de couleurs uniformes avec cependant des variations dans la nuance et la puissance; couleurs souvent saturées, comme si l’artiste avait choisi non pas de représenter la qualité de la lumière du paysage peint, mais de nous donner à voir la violence de la lumière, celle qui éblouit, qui efface les qualités des paysages pour nous plonger dans la perception pure.
Dans le même temps, le travail de Inhun Song, ce qu’il nous montre, résonne avec les propos de Ludwig Wittgenstein sur les couleurs. Quelle que soit la difficulté du livre, Remarks on Colours, difficultés liées au caractère fragmentaire de l’ouvrage, on peut dire que pour le philosophe austro-britannique, il n’y a pas de couleurs vraies car les couleurs relèvent avant tout d’une logique de l’apparence, du paraître. Ainsi Wittgenstein se demande comment Rembrandt peut donner à voir un casque doré sans se servir de la couleur or : » There is gold paint, but Rembrandt didn’t use it to paint a golden helmet. « (Wittgenstein Remarks on Colours). Autrement dit quelles que soient, dans les toiles de Inhun Song, la profondeur des bleus, la puissance des rouges, quelle que soit leur artificialité, il n’en demeure pas moins que je suis en mesure de voir le bleu du ciel et les bruns de la terre bien qu’ils ne soient aucunement montrés de la sorte.
Par ailleurs, même si dans certaines toiles récentes, l’abstraction se fait plus importante, cette importance n’écrase pas pour autant la figuration. En effet, malgré la disproportion qui existe entre les zones abstraites et figuratives, on perçoit un rapport harmonieux car dans ses toiles il n’y a pas d’oppositions, comme c’est le cas avec et dans la métaphysique occidentale, mais complémentarité.
Une autre qualité remarquable des toiles, c’est de montrer des paysages où n’apparaît aucune présence humaine ou animale. De même qu’il n’y a pas d’opposition entre abstraction et figuration, l’absence d’êtres vivants, tout en renvoyant à la solitude de l’artiste qui peint, est complémentaire de sa plénitude : l’artiste qui peint a en quelque sorte de nouveaux amis avec qui elle dialogue, la toile, les pinceaux, les couleurs qui participent à son labeur; ils sont semblables aux personnages conceptuels évoqués par le philosophe Gilles Deleuze. Par ailleurs, malgré cette absence du vivant, par le pouvoir du fonctionnement imageant de l’image, les formes abstraites qui montrent le travail du peintre, nous indiquent aussi que les paysages sont le résultat du labeur des hommes, même s’ils ne sont jamais représentés. Les immenses aplats de couleurs, renvoient non seulement au travail pictural de l’artiste, mais aussi au labeur des paysans qui ont cultivé ou travaillé les terres, au labeur des maçons qui ont construit les maisons, au labeur des artisans qui ont fabriqué les vases, etc.
Par son travail, elle nous montre et nous rappelle, qu’il est peut-être vain de penser le monde en terme d’oppositions, et elle semble inviter le spectateur à dépasser les contradictions de la métaphysique occidentale, nature-culture, abstraction-figuration, naturel-artificiel, présence-absence, etc. pour le penser en terme de complémentarité. »