Le petit livre dans un hypermarché de Vendée a attiré mon attention. Son titre aussi. De quels bagnards parlait-on ici ? Y aurait-il eu des bagnes en Vendée dont je n’aurai eu connaissance et pire encore, des bagnes d’enfants? Non, mais la lecture de la description au quotidien de la vie scolaire d’enfants arrachés à leur famille pour « en faire des zombies confits de Foi » ne permet plus alors de parler d’exagération. Les bagnards cassaient des cailloux, les enfants ici récitaient des prières matin, midi et soir. On leur confisquait leurs jouets, leurs livres autres que ceux de prière et le Préfet de Discipline (c’est ainsi qu’on l’appelait) (J’imagine Louis Jouvet dans ce rôle…) était un redoutable garde chiourme. Dans cet univers entouré de hauts murs , la vie, la vraie, était entre parenthèses. Aucune fleur n’y pousse, seule la perversité s’y épanouit. De même que la guerre a besoin de chair à canon, l’église se servait de ces lieux finalement sans âme pour recruter sournoisement ceux qui s’y étaient dissous. L’auteur y raconte par exemple que des curés missionnaires venaient raconter leurs exploits coloniaux d’évangélisateurs dans des contrées lointaines. Après leurs interventions, un questionnaire pas du tout biaisé ..demandait aux enfants s’ils souhaitaient être plutôt moine, missionnaire, ou curé. Aucun autre choix étant laissé possible. Les gamins répondaient évidemment « missionnaire » et l’affaire était dans le sac. Le marketing du goupillon était en place et un courrier suggérant aux parents que leur progéniture embrassait l’ambition de rentrer dans les ordres devait achever de convaincre les moins circonspects. Il a fallu du courage au petit bonhomme pour supporter chagrin et solitude dans cette usine à décervelage. Malgré la profonde émotion qui peut étreindre le lecteur, l’humour est présent dans cette fresque non romanesque. Ainsi la vie ou plutôt la fonction des Saints qui dictait le quotidien des enfants est habilement démontée. En gros, le Saint va casser les pieds d’autres croyants en leur expliquant que leur croyance n’est pas la bonne. Le chef en place des croyants non labellisés s’en offusque et ça finit toujours mal. Le Martyr est consommé et la machine à prière peut alors fonctionner. La description des curés tortionnaires est parfois savoureuse elle aussi ainsi que quelques remarques de bon sens comme celle mentionnant que Jésus est un foutu polygame puisque toutes les bonnes soeurs (au coeur dur comme de la pierre) sont mariées à lui…Bien sûr, l’auteur ne l’exprime pas ainsi mais je pense que c’est là l’idée. On pourrait se dire qu’une telle expérience forge le caractère, parler c’est la mode, de « résilience » , patin couffin. Tu parles !…
L’amour manqué n’est pas comme un train raté. Il ne suffit pas de prendre le suivant. Il n’y en aura pas. Pire, au fil du temps les retours aussi laborieux que ponctuels à la maison de l’enfant certains dimanches sonneront le glas des amitiés d’antan. L’internat catho comme une araignée y a aussi tissé sa toile. On oblige aussi l’enfant à tenir un cahier de messes pour y faire inscrire les offices qu’il ne manquera pas de suivre durant ses « permissions »! Comment exprimer ce violent manque d’amour, cette brisure à ses parents quand on a huit ans ? Impossible; les mots ne viennent pas. Et puis ces parents là eux mêmes ne comprennent pas , plus, cet enfant perclus de chagrin.
Pour prolonger cette lecture et l’inscrire dans ce qu’il convient bien d’appeler ici la fabrique de curés ou pour être plus correct l’antichambre des séminaires, on lira également les Actes en Recherche Sociale de Charles SUAUD intitulé « Splendeur et misère d’un petit séminaire » accessible en ligne.
Le livre « Les petits bagnards de Vendée » : https://www.leslibraires.fr/livre/18957948-les-petits-bagnards-de-la-vendee-catholique-loudet-jacques-jacques-loudet