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Billet de blog 10 avril 2016

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Boris Stomakhine : prisonnier politique russe.

Boris Stomakhine est un journaliste russe qui a participé à la campagne contre la guerre en Tchétchénie et à la défense des droits des prisonniers politiques. Pour ses publications sur internet, jugés extrémistes, il a été condamné à trois reprises à de lourdes peines de prison. Début avril 2016, la journaliste Vera Lavreshina est allée lui rendre visite dans le camp où il est détenu.

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Illustration 1
Boris Stomakhine © Grani.ru

Nous sommes arrivés en train à Perm. Cette ville est située à 1.400 km de Moscou aux pieds des monts Oural. Alors qu’à Moscou, c’est déjà le printemps, ici nous rencontrons un hiver froid et sombre avec ses forêts enneigées. Il pleut sur la route chaotique encore glacée. Nous sommes ballottés dans la voiture. Nous roulons dans la région de Chusovoy. Le trajet est sinueux et onduleux, les montagnes rougeâtres. Le paysage est magnifique. Il nous rappelle involontairement notre enfance et les contes de Bajov : « La maîtresse des Monts de cuivre » et « La Cassette de malachite ». Mais nous nous dirigeons vers un camp à régime sévère et nous sommes anxieux. Aucune beauté naturelle ne peut apaiser notre âme. Nous allons rendre visite au prisonnier politique Boris Stomakhine. Voilà moins de deux semaines, il était en grève de la faim pour protester contre les conditions vexatoires et insupportables subies dans ce camp.

Boris Stomakhine est un publiciste qui a été condamné à de très lourdes peines de prison pour « justification du terrorisme » sur son blog. Shvedovsky Felix et moi-même, nous lui rendons visite tous les six mois. Connaissant son caractère inflexible, nous craignons qu’il refuse à nouveau de s’alimenter. En raison de la tyrannie constante de l’administration du pénitencier, il a récemment fait son testament déclarant qu’en cas de suicide, le directeur du camp No 10, Ilya Aslamov, sera responsable de sa mort.

À l’occasion de sa dernière grève de la faim, le procureur a rendu visite à Boris Stomakhine. Le prisonnier politique lui a parlé de sa mise régulière et programmée au mitard. Avec un intervalle d’environ un mois depuis sa dernière condamnation, il y est mis régulièrement pour un prétexte stupide. Parce que, par exemple, étant à l’isolement il n’annonce pas au surveillant le nombre de prisonniers qui sont dans sa cellule. Il semble impossible de rendre les conditions d’incarcération encore plus terribles que celles offertes par les chambres individuelles de type cellulaire (CICT). Les visites autorisées ne sont que de deux par an et au travers d’un verre de séparation seulement. La transmission de colis est aussi limitée à deux par année. Boris est détenu isolé dans une cellule minuscule, où l’on ne peut s’allonger que de 21 heures à 5 heures du matin. En dehors de ces heures, la couchette est relevée contre le mur et le matelas est retiré. Il est formellement interdit de s’allonger sur la table, seul endroit où Boris pourrait s’installer pour prendre son pouls, car il souffre depuis son enfance de tachycardie sévère et ses grèves de la faim ont intensifié les crises. À cette occasion, l’administration pénitentiaire a fait un scandale lorsqu’elle a surpris le prisonnier politique mesurant son pouls en position horizontale sur la table. Elle l’a accusé de dormir le jour. Cela est considéré être une violation du règlement dans ce camp à régime sévère. Boris est un homme à bout de souffle. Personne ne s’en soucie. Rappelons que Boris, en plus des problèmes cardiaques, souffre d’anciennes fractures à la jambe et à la colonne vertébrale. Personne n’a pris en considération le fait que le prisonnier allongé avait les yeux ouverts au cours de son soi-disant sommeil. Malgré cela, Boris a été puni à nouveau. 

Avec Felix Shvedovskii, nous arrivons au camp No10 où Boris est détenu. Nous pénétrons par la porte des visiteurs. Là, une surprise nous attend. Une affiche nous informe que « pour des raisons techniques le parloir est fermé. » On n’acceptera que notre colis. Quant à nous, on peut faire demi-tour. Le gardien, qui est venu pour examiner nos pièces, nous a confirmé cela. Nous nous sommes fortement indignés. Nous avons demandé audience au directeur du camp, Ilya Aslamov, pour nous assurer qu’il ne s’agissait pas d’une blague. Une seule visite est autorisée tous les six mois. La santé de Boris est incertaine après une grève de la faim et on nous annonce qu’après ce long et pénible voyage, qu’il ne nous sera pas possible de le voir. Le gardien nous a écoutés attentivement, puis il est allé voir son chef et tout s’est rapidement arrangé. Le rendez-vous avec Boris Stomakhine a eu lieu, mais avec quelques inconvénients : il n’y avait pas de téléphone pour communiquer. Nous avons été contraints de crier au travers du verre et de faire des signes pour nous faire comprendre.

Voilà deux semaines que le téléphone est cassé et personne ne s’inquiète de le faire réparer. La seule mesure prise est un bout de papier sur lequel est écrit : « Parloir hors service. » Les gens font des milliers de kilomètres pour voir les personnes détenues et on leur expose cette annonce désinvolte. Y a-t-il quelqu’un qui a protesté ? Tout le monde est-il satisfait ? Je ne sais pas comment les autres visiteurs ont communiqué avec les prisonniers au travers du verre, mais une chose est claire : sans revendications auprès de l’administration du camp, on n’obtiendra rien.

Boris  s’est étonné de nous voir. Il a souri longuement en nous voyant de l’autre côté de la vitre. Il était certain qu’on le conduisait au « baptême ». C’est ainsi que l’on nomme dans le jargon des prisonniers la commission spéciale chargée de punir les prisonniers pour entrave au règlement.

Boris Stomakhin nous a dit :
— Le matin, j’ai entendu une agitation dans le couloir. C’est habituel vers 9 heures 30. Mais cette fois-ci, c’était particulièrement houleux. La porte de ma cellule s’est ouverte et le maton me dit : « Stomakhine, habillez-vous ! » » J’ai mis ma tenue. Puis, il m’a dit : « Où est le badge ? ». Il s’agit de l’insigne sur lequel est inscrit : le nom du condamné, sa photo, sa date de naissance, l’article de loi justifiant la condamnation et le délai d’emprisonnement. Je lui ai répondu : « Tant que je serai ici, je porterai ma tenue sans badge ». Seulement après que je me sois changé dans les baraques, peut-être. »  Le gardien m’a répondu : « Vous écrirez une note explicative à ce sujet. » C’est ainsi qu’ils répondent avant que l’on passe en commission disciplinaire. J’ai alors compris que l’on allait me flanquer à nouveau 15 jours de mitard. C’est triste, je venais de terminer une grève de la faim, et voilà que cela recommence. J’étais convaincu que l’on me conduisait à nouveau au « baptême » pour me condamner au mitard pour non-port du badge. Et je me suis retrouvé ici, avec vous ! Tout comme dans le roman de Griboyedov : « Je suis allé dans une pièce et me suis retrouvé dans une autre. »
Nous devons rendre hommage à Boris. Ses geôliers n’ont pas réussi à le briser. C’était leur intention. Tel était leur objectif qu’ils n’ont pas atteint malgré leur zèle. Nous constatons à nouveau que dans des circonstances les plus difficiles Bori Stomakhine résiste à tyrannie carcérale héritée par inertie de l’ère soviétique. Il défie ses bourreaux et obtient un triomphe moral.

Cela au dépit de son état de santé. Dommage! Boris Stomakhine supporte avec dignité les conditions sévères de détention aggravées par les isolements réguliers de 15 jours au mitard, par l’alimentation inhumaine, l’absence de meubles, de livres et de presse. Tout lui a été retiré. Les conditions de détention rendent difficile les consultations par un médecin, ne serait-ce que pour un mal aux dents ou pour obtenir un analgésique. Il faut en faire la demande lors de la distribution de la soupe. Le préposé au repas, qui a beaucoup d’autres soucis, l’oublie souvent. En général, le médecin n’apparaît que deux ou trois jours après au moment du dîner pour s’informer. Le docteur fait ce qu’il peut, peu, peu.

Boris Stomakhin nous a confié :
Un jour, le médecin regarde ma cellule et me dit : « Pourquoi la couchette n’est-elle pas relevée contre le mur ? » C’est exceptionnel que la planche soit en position basse après 5 heures du matin. Était-il désolé qu’une personne ayant la colonne vertébrale brisée possède un tel lit en guise d’instrument de torture ? Non ! Laissez vos espoirs dehors en rentrant dans cette prison ! Le médecin a fait preuve d’un excès de zèle pour me démunir de ce modeste agrément.

La tendance des gestionnaires du camp No 10 est d’aggraver et de détériorer sans cesse les conditions déjà désastreuses dans lesquelles est détenu Boris Stomakhine. Ils rendent ce dernier triste et pessimiste. Le 18 mai, Boris aura exécuté exactement la moitié de sa peine. Il lui reste trois ans et demi à faire. Il a appris que dans certains cas semblables au sien, les prisonniers peuvent être déportés en Sibérie, dans la région de Krasnoïarsk, pour purger les dernières années de leur peine. Afin qu’elle soit plus douloureuse et discrète.

Ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent en toute impunité s’ils le souhaitent. Boris Stomakhine a une vision plutôt pessimiste en ce qui concerne l’avenir de la Russie. Il pense que la création d’un nombre incroyable de forces de sécurité pour lutter contre les ennemis mythiques intérieurs et extérieurs à la Fédération de Russie, dont la Garde nationale créée par Poutine et autorisée à faire feu sur la foule sans sommation, est susceptible d’accélérer la désintégration du pays, et non pas de la retarder. Poutine et sa compagnie ont peur. Cette angoisse, propre aux hommes du KGB, les incite à courrier armés jusqu’aux dents au-devant de leur train blindé. Elle est destructrice et démontre le déphasage des démons du Kremlin avec la réalité, leur effroi et justifie leur emballement. La Garde nationale, en elle-même, est une bonne chose en Suisse, aux États-Unis, enUkraine ou en Géorgie par exemple, lorsqu’elle est au service de la population civile, lorsqu’elle est la gardienne des intérêts nationaux. La Garde nationale ne doit pas servir à renforcer le régime d’un dictateur qui braque préventivement ses canons sur la population pour se protéger alors qu’il pille « légalement » les derniers biens et droit du peuple.

Bientôt, ces forces répressives prendront pour cible tous ceux qui seront mécontents.   Bien évidemment, cette tâche leur sera impossible.

Sur le chemin du retour à Moscou, dans le train, nous avons lu un article de Boris Stomakhine sur le site web de « Radio Liberté ». Nous constatons que la grève de la faim du prisonnier politique a attiré l’attention de nombreux journalistes sur son sort particulièrement tragique. Il y a eu peu d’articles concernant sa longue et douloureuse détention. Mais un fait saute aux yeux. Son blog sur « LiveJournal » a été assimilé a un média et Boris Stomakhin a été sévèrement condamné trois fois, non pour des actes, mais pour avoir exprimé son opinion personnelle. Cette dernière a été interprétée en « appels présumés à des activités extrémistes ou terroristes » ou à une justification de celles-ci. Vous et moi, nous sommes restés silencieux de longues années. Nous ne sommes pas intervenus. Ainsi, nous avons permis aux autorités de condamner Boris Stomakhin pour des mots écrits sur son blog. À présent, nous récoltons les résultats de notre inaction. La machine répressive s’est mise à fonctionner à plein régime. Des cas analogues apparaissent : Catherine Vologzheninova, et Andre Bubeev sont les plus connus. En 2015, pour la seule région de Tver d’où Bubeev est natif, pour republication sur internet, il y a des dizaines de cas similaires. Pour le moment, un seul blogueur a été mis en prison. Mais qui sait combien seront emprisonnés dans un ou deux ans. Andre Bubeev a été accusé, entre autres, d’avoir republié un article de Boris Stomakhine affirmant que la Crimée c’est l’Ukraine. (Selon la dernière loi de Poutine, cette affirmation est passible de cinq ans de prison fermes)

Il me semble que de plus en plus de personnes commencent à ressentir de la sympathie envers Boris Stomakhine. Je constate cela auprès de mes connaissances. Avec le temps, elles commencent à réaliser : ce qui peut être considéré comme excessif par les masses modérées, la rhétorique trop agressive du journaliste radical, n’est tout simplement qu’un dispositif littéraire vivant, un style expressif de l’auteur désirant attirer l’attention du public sur des problèmes récurrents, une simple expression de sa souffrance en raison de l’incapacité de la société à transformer cette réalité sauvage. Il ne faut pas donner un sens trop littéral à ses paroles. Voilà mon conseil au lecteur. Après tout, quand on parle à des amis ou à ses parents, on leur dit « Je vais te couper la tête ». Mais personne ne prend l’expression au sérieux et ne va se plaindre à la police.
Peut-être que demain, pour une parabole ou une métaphore semblable, on vous dénoncera.

Liberté pour les prisonniers politiques. Mort à l’empire fasciste de Poutine.
Gloire à l’Ukraine ! Gloire aux Héros ! Lubyanka sera détruite ! Que Poutine soit châtié !

Vera Lavreshina

Illustration 2
Vera Lavreshina. © Grani.ru

Vera Lavreshina, journaliste, a été arrêtée et condamnée à plusieurs reprises pour son action de soutien aux prisonniers politiques de Russie. Renouant avec la tradition des prisonniers du système soviétique, à Moscou, sur la place Lubyanka, devant la pierre de Solovetsky symbole du GOULAG, le 30 de chaque mois, elle participe à l’appel des prisonniers politiques du régime de Poutine.

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