Le 20 septembre 2015, une première conférence internationale nommée « Dialogue des Nations » avait eu lieu. Son thème était : « Droit des peuples à l’autodétermination et construction d’un monde multipolaire ». Cette année, l’événement aura lieu le 25 septembre, également dans la salle de conférence du prestigieux « Président hôtel ». L’initiative est gérée par l’administration présidentielle. Selon les organisateurs, l’événement est destiné à réunir les représentants des partis et des mouvements prônant l’autodétermination et l’indépendance de leurs régions. Autrement dit, il s’agit d’un forum mondial des séparatistes.
Selon le site Web de l’organisation, il y aura des indépendantistes du Texas, Californie, Puerto Rico, Hawaii, d’Irlande du nord, de Catalogne, Écosse, Sahara occidental, Kurdistan, et autres. Voyages et hébergement des participants sont aux frais de la partie russe accueillante. Trois millions et demi de roubles alloués par un fond de l’administration présidentielle. Des « Grants » doivent rétribuer les participants. Cependant, il semble qu’il n’était pas nécessaire d’inviter les minorités nationales dans les États avec lesquels la Russie désire conserver des relations chaleureuses. Il s’agit de la Chine, Syrie, Inde, Kazakhstan, Brésil... et de la Russie elle-même qui pourrait se retrouver victime de ce double standard si celui-ci devait avoir un effet éphémère. En préconisant le droit des minorités nationales à l’autodétermination à l’étranger, la Russie pourrait bien susciter de tels sentiments parmi les siennes. Rappelons que plus d’une centaine de nationalités peuple son immense territoire.
Présentant le danger pour lui-même, Poutine a pris les devants en interdisant en Russie ce qu’il déchaîne au-delà de ses propres frontières. En 2014, l’article 280.1 du Code pénal a rendu passible de quatre ans de prison l’appel visant à violer l’intégrité territoriale de la Fédération de Russie. Cinq ans, si cet appel est publié sur internet. Déjà, des personnes ont été ainsi condamnées. Parmi elles, Darya Polyudova, organisatrice de la « Marche pour la fédéralisation de Kouban ». Bien qu’il ne s’agisse que d’une revendication de modification du statut juridique du Kouban et non de son indépendance, Darya Polyudova a été condamnée à deux ans de prison fermes.
Le séparatisme est un phénomène ayant pour cause la volonté de certains groupes ethniques ou régionaux d’accéder à l’indépendance ou à l’autonomie. En Russie, aujourd’hui, le séparatisme sommeille. Poutine pourrait bien le réveiller. Il est illusoire de penser qu’il puisse l’endiguer par la ruse et la force. Les Français ou les Portugais pourraient lui expliquer leurs déboires passés.
Après l’effondrement de l’URSS dans les années 1990, la Fédération de Russie était elle-même sur le bord de la dislocation. La république d’Itchkérie (Tchétchénie) était de facto indépendante. D’autres républiques ou régions avaient déclaré leur indépendance par rapport à Moscou. C’était le Tatarstan, Bashkortostan, Sakha (Yakoutie), la région de Sverdlovsk. Quelques autres avaient fait le choix de politiques ambitieuses frisant le séparatisme. Boris Eltsine, lui-même, avait encouragé ce mouvement en déclarant le 6 août 1990 : « Prenez autant de souveraineté que vous pouvez en avaler ». Le 8 août, il répéta des mots similaires à Kazan.
À partir de 1999, les principaux centres de séparatisme étaient en Tchétchénie et au Daghestan. Il est toujours vivace à Tuva, Tatarstan, Bachkortostan, Yakoutie et Bouriatie. Il tend à renaître ou à progresser dans d’autres régions pour des raisons ethniques ou économiques en Carélie, Oural, dans la région de Kaliningrad et en Sibérie.
Au cours de la dernière conférence « Dialogue des nations », les séparatismes du Dontesk et Lougansk ont invité leurs homologues occidentaux à créer des Républiques populaires indépendantes par voie de référendum, comme eux-mêmes y ont procédé sur « l’espace post-ukrainien » (voir vidéo).
De tels propos ne manquent pas de rappeler aux Sibériens que déjà en 1865 l’ethnographe Grégory Potanine avait été arrêté et condamné pour séparatisme sibérien. En 1918, la Sibérie a eu son propre gouvernement provisoire. Aujourd’hui, un slogan grandit : « Il y en a marre de nourrir Moscou ! ». Un mouvement nommé « Marche pour la fédéralisation de la Sibérie » est né. Il exige pour la Sibérie un statut de république fédéré ayant son propre budget et son parlement. La fédéralisation ne compromet pas l’intégralité territoriale de la Fédération de Russie. Ses initiateurs pensaient ainsi esquiver le courroux de l’article répressif n° 280.1. Envain ! Ils ont été poursuivis. L’indépendance serait la seule voie permettant de rompre avec la dépendance coloniale de cette région vis-à-vis de Moscou. Vive les États-Unis de Sibérie ! Voilà l’idée qui peut transformer cette région !
L’annexion de la Crimée a ravivé l’épineux dossier des Tatars de Crimée, déportés par Moscou à l’époque soviétique et à nouveau réprimés par la Russie actuelle.
Poutine est un ex-communiste et agent du KGB. Il incarne le retour au pouvoir des apparatchiks soviétiques néanmoins amputés de l’idéologie communiste. La disparition de cette dernière a entraîné la perte du vaste réseau de soutien dont jouissait l’URSS de par le monde. Rappelons qu’il s’agissait des États et partis frères, des pays et mouvements ayant reçu la qualification « socialiste », « progressistes ». Les financements et les préférences commerciales permettaient de les manœuvrer.
Moscou était le siège du Kommintern, c’est à dire de l’idéologie communiste. La disparition de cette dernière ne constitue pas un handicap. Au contraire! Il s’agit d’un énorme avantage, car cette idéologie de type orthodoxe sera remplacée par un complexe hétérodoxe beaucoup plus efficace. Un système multifacette, dont chacune est adaptée à une cible distincte. Il permet de porter à chacune d’elles un message personnalisé qu’elle ne peut que comprendre et accepter, car il est transmis avec un langage et une rhétorique qui lui est propre et facile à comprendre. On conforte en elle des convictions déjà acquises et on inocule les siennes. Ce système est construit par braconnage. On prélève des idées à un individu et on lui retourne celles-ci en y incrustant son propre message.
Exemple : l’abandon du socialisme en Russie et l’apparition du régime capitaliste mafieux russe auraient-ils provoqué le rejet de Poutine par le peuple de gauche français qui aurait rallié Maïdan ? Non ! Car la souplesse de cette stratégie permet de s’adresser à lui en lui parlant de lutte contre le fascisme de Kiev ou d’endiguement de la progression de l’OTAN en Europe.
Poutine est soutenu aussi par Marine Le Pen qui vante ses vertus nationalistes. Poutine organise à Saint-Pétersbourg des congrès des partis européens d’extrême droite.
Sarkozy fait des conférences (payantes) au forum économique de Saint-Pétersbourd et y Clara gratte la guitare devant tout le gratin.
Poutine rallie le soutien de la totalité de la classe politique et des affaires françaises. Admirez l’exploit !
Selon la bonne recette soviétique, avec des financements officiels ou occultes on peut faire taire les contradictions. Le PCF ne voyait pas de GOULAG en URSS. Aujourd’hui, personne ne voit de fascisme en Russie. Sauf moi, qui y vis ! L’autocensure est une condition indispensable pour faire des affaires, percevoir des crédits ou subventions et pour rester en liberté en ce qui me concerne. Nos séparatistes occidentaux invités à Moscou y reçoivent des « Grants ». Cela les empêche de voir des peuples frères minoritaires opprimés en Russie.
Le discours antiterroriste est universellement efficace pour s’adresser efficacement à toute la classe politique française. L’intervention russe en Syrie lui a permis de rompre l’isolement diplomatique dans lequel l’avait plongé l’annexion de la Crimée. Chacun se rappelle comment Poutine avait pris seul son repas au G-20 en Australie. Mais tous ignorent que le FSB encourage le départ des islamistes caucasiens en Syrie (Novaya gazeta). Ceux-ci ne sont condamnés qu’en cas de retour en Russie. Allez vous faire tuer ailleurs en quelque sorte !
La liberté d’expression qui existe en Occident permet à Poutine d’y propager ses idées. Dans le même temps, la dictature qu’il impose en Russie y interdit l’expression de l’opposition.
Sur le trottoir de l’avenue Bolchaya Yakimanka où se dresse le prestigieux « Président hôtel », si je répète les mots prononcés à l’intérieur de ce bâtiment : « Créer des Républiques populaires indépendantes par référendum sur l’espace post-Fédération de Russie », j’écope de quatre ans de prison.
Résumons le principe de cette nouvelle stratégie idéologique du Kremlin.
1- But : obtenir un soutien le plus diversifié en Occident.
2- Définir les cibles (toutes)
3- Prélever, trier et retourner à chacun un message particulier dans lequel on y aura greffé des idées qui seront acceptables par lui.
4- Moduler les contradictions en finançant et par la répression au cas par cas.
Jouant avec le séparatisme, Poutine met en danger l’existence de la Fédération de Russie. Il est peu probable qu’il puisse prévenir la diffusion du message qu’il leur adresse au-delà du cloisonnement qu’il voudrait définir.
Combien de républiques et états populaires indépendants pourrait-on créer ou ressusciter sur « l’espace post-russe » par voie de référendum ? La Fédération de Russie est un état multinational extrêmement fragile. Poutine est un apprenti sorcier. La propagande du séparatisme à l’extérieur de la Fédération de Russie menace l’existence de cette dernière.