Les mots : sens, contre sens, non sens
La vie en société suppose que les mots aient un sens et lemême pour tout le monde. L’un des premiers philologues à avoir mis en lumièrecomment une idéologie joue avec et sur les mots fut Victor Klemperer, dans LTIla langue du III° Reich, travaux poursuivis par Eric Hazan avec la LQR : lalangue de la V° République.
La révolution »néo conservatrice » fondementidéologique de la mondialisation libérale a fait de même.
En fait cette révolution est une contre-révolution, carconservateur veut dire conserver, et là il s’agit de revenir en arrière, autemps où les syndicats ne venaient pas perturber le bon fonctionnement du marché,les états ne se mêlaient pas de réglementer la vie économique et sociale, il s’agitdonc de réaction, cette contre révolution est réactionnaire.
Il suffit d’observer l’évolution de la société depuis unquart de siècle pour le constater. Le mot fétiche pour justifier ces retours enarrière est le mot réforme : » amélioration économique et sociale ». Les réformesqui nous sont imposées depuis un quart de siècle sont toute des régressions socialeset économiques.
Un autre phénomène marquant est l’apparition de motsnouveaux comme gouvernance, mieux même bonnegouvernance : bonne gestion, de nouvelles activités la déontologie qui estrapidement devenu conformité, développement durable, responsabilité sociale desentreprises…
Des groupes de réflexion, des forums sont organisés pourvendre ces concepts et ces nouveaux objectifs. Pourquoi n’a-t-on jamais autantparlé d’éthique ? Sans doute parce que le seul principe qui vaut est lacréation de valeur pour l’actionnaire, moteur de la mondialisation libérale enfait néo réactionnaire.
Or le propre de la création de valeur pour l’actionnaire estde réduire l’activité économique aux actionnaires et aux dirigeantsactionnaires. Cela conduit à ne s’intéresser qu’à la croissance permanente etillimitée des profits pour une minorité : les détenteurs de capitaux, etla loi du marché, et de sa concurrence libre et non faussée, à la quasi absencede réglementations…
La réalité est pourtant tout autre : une entreprise nepeut fonctionner sans ses salariés : ouvriers, employés et cadres, sansleur savoir faire. Mais ils sont considérés comme un coût pour l’actionnaire.
Pour répondre aux problèmes engendrés par cette vision dumonde, ont été inventés un plutôt remis à jour des concepts non contraignants, vagues, qui s’assimilent à un placebo. Il faut faire semblant de s’occuperd’un problème sans conséquence réelle sur la réalité. Il n’est jamais plus question d’éthique dedéontologie que lorsqu’il n’y a plus d’éthique. La crise nous a bien révélé où conduit cette concurrence libre et nonfaussée sans éthique.
Le management méthode de gestion est une autre illustrationdes dégâts causés par la volonté de transformer l’homme en robot. Les mots netrompent pas les salariés sont devenus des ressources humaines. La souffranceau travail de physique au temps du taylorisme est devenue psychique, car lagestion des ressources humaines, le management sont des techniques de manipulationpsychologiques, visant à intérioriser les directives, à provoquer l’autocensure,à obliger à une adhésion (soumission) totale aux objectifs de l’entreprise :le nouveau totalitarisme. L’exemple le plus frappant est la qualité totale,objectif prométhéen s’il en est, prétendreà la perfection.
Cela conduit aussi à une dispersion des responsabilités, lahiérarchie est invisible, l’esprit critique annihilé, personne n’estresponsable, le salarié est seul responsable face au client. Cela conduit à lanouvelle forme d’accident du travail : les suicides au travail.
Le chômage et le mal être au travail ont conduit à inventerce concept cynique de responsabilité sociale de l’entreprise. Ne parlons pasdes agences de notation dans ce domaine et de leur actionnariat. Au temps duplein emploi, personne ne parlait pas de responsabilité sociale de l’entrepriseparce que cela allait de soi. Les entreprises faisaient partie de la vieéconomique et sociale, bénéficiant des infrastructures facilitant leur activitéelle s’insérait dans la vie du pays.
A partir du moment où la variable d’ajustement de l’économiede l’entreprise est devenue la masse salariale, les salariés, la responsabilitésociale est devenue obsolète. D’où le recours à ce concept vide de sen :la responsabilité sociale de l’entreprise, d’autant plus vide qu’il n’est pascontraignant, pour ne pas fausser la concurrence et le jeu du marché !
Ce qui caractérise la mondialisation néo réactionnaire, estqu’il n’y a qu’une seule contrainte réelle : la création de valeur pour l’actionnairefondée sur la concurrence libre et non faussée, laissant libre cours au dieumarché. Cela permet d’inventer ou defaire revivre à volonté des concepts sans aucune incidence sur la vie réelle :développement durable alors que les entreprises vivent sous la contrainte desmarchés et des résultats trimestriels.
Les suicides se multiplient au travail, c’est un problème debonne gouvernance de l’entreprise, elle crée un comité sur le stress. Lorsque le sens des mots est perverti à cepoint, la conséquence est la perte de repères, la perte de crédibilité, deconfiance, c’est le chacun pour soi, la loi de la jungle précisément l’objectifrecherché par la mondialisation réactionnaire.
Au plan politique c’est un président qui parle, qui s’agite,fait appel aux grands principes pour mieux les piétiner. C’est la marque d’uneformidable régression, d’une crise politique et morale, caractéristique de lafin d’une époque, souhaitons que son agonie ne soit pas trop longue.
Jean Bachèlerie