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Jean Baubérot-Vincent (ce double nom est le résultat d'ajouter le nom de mon épouse au mien, puisqu'elle a fortement contribué à faire de moi ce que je suis). Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Auteur, notamment, de deux "Que sais-je?" (Histoire de la laïcité en France, Les laïcités dans le monde), de Laïcités sans frontières (avec M. Milot, le Seuil), de Les 7 laïcités françaises et La Loi de 1905 n'aura pas lieu (FMSH)

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Billet de blog 17 février 2025

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Jean Baubérot-Vincent (ce double nom est le résultat d'ajouter le nom de mon épouse au mien, puisqu'elle a fortement contribué à faire de moi ce que je suis). Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Auteur, notamment, de deux "Que sais-je?" (Histoire de la laïcité en France, Les laïcités dans le monde), de Laïcités sans frontières (avec M. Milot, le Seuil), de Les 7 laïcités françaises et La Loi de 1905 n'aura pas lieu (FMSH)

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Laïcité chérie... Saison II : existe-t-il un « intégrisme républicain » ?

Résumé du chapitre précédent : le mois de janvier a été l’occasion d’un tir groupé dans divers organes, où mon humble personne a été mise en cause, façon vérité alternative. Quelqu’un que j’estime m’a demandé de trier, au-delà des affirmations fausses, les réelles divergences pouvant exister et de (ré)expliquer ma position. J’ai décidé de le faire.

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Jean Baubérot-Vincent (ce double nom est le résultat d'ajouter le nom de mon épouse au mien, puisqu'elle a fortement contribué à faire de moi ce que je suis). Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Auteur, notamment, de deux "Que sais-je?" (Histoire de la laïcité en France, Les laïcités dans le monde), de Laïcités sans frontières (avec M. Milot, le Seuil), de Les 7 laïcités françaises et La Loi de 1905 n'aura pas lieu (FMSH)

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Laïcité chérie…. Saison II : existe-t-il un « intégrisme républicain » ? Et si oui, qu’elles sont les conséquences ?

Résumé du chapitre précédent : le mois de janvier a été l’occasion d’un tir groupé dans divers organes, notamment Franc-Tireur et Marianne, où mon humble personne a été mise en cause, façon vérité alternative. Quelqu’un que j’estime m’a demandé de trier, au-delà des affirmations fausses, les réelles divergences pouvant exister et de (ré)expliquer ma position. J’ai décidé de le faire et après avoir parlé des « accommodements raisonnables »[1], j’aborde la question de « l’intégrisme républicain », auquel fait allusion le « portrait » de Franc-tireur. Je m’en excuse à l’avance, ces attaques m’obligent à mêler un problème général et mes travaux personnels. Mais, patience, à la fin, cela permet de tirer une morale de l’histoire qui est, je crois, intéressante !

***

L’article de Franc-Tireur est signé d’un pseudo. Son anonymat relève du « secret défense ». Trump a téléphoné à Poutine parce qu’il voulait savoir si ce dernier connaissait le véritable auteur du pamphlet, mais le tsar de toutes les Russies s’est révélé incapable de le lui dire. Du coup, les deux mâles ont parlé de l’Ukraine, et cela craint, ... Bref, l’anonyme, qui, en l’étant, rend suspects tous ses petits camarades de la rédaction - aussi bien Caroline Fourest, Raphaël Enthoven, Christophe Barbier, Tristane Banon, David Médioni, … (pas Jean Garrigues tout de même !)[2]-, l’anonyme chevaleresque écrit, au tout début de sa diatribe (preuve que cela le titille), à propos de votre dévoué serviteur : « Dans son vocabulaire inversé, les intégristes religieux n’existent pas, jamais, contrairement aux ‘intégristes républicains’, son expression favorite. »

Si d’autres accusations relèvent de la pure invention, celle-ci mêle le faux et le vrai : le faux car  c’est, précisément, parce que je pense voir des similitudes dans la forme du discours de certains rrrépublicains avec l’intégrisme religieux, que j’ai publié, en 2006, L’intégrisme républicain contre la laïcité (L’Aube). Le vrai puisque, de manière outrancière (« expression favorite » !), il est fait allusion à ce livre.

Un portrait-robot de « l’intégrisme républicain »

En fait seul son début traite le sujet annoncé par le titre ; l’essentiel étant de « montrer qu’une autre manière de parler de la laïcité est possible ». Mais, effectivement, le premier chapitre dresse un « portrait-robot » de la forme que prend un discours « intégriste républicain » (et qui vaut également pour tout autre intégrisme). Je cite :

« Le schéma est le suivant : une cause donnée se trouve valorisée au maximum. Le sujet, l’agent de la lutte, et aussi son objectif propre sont très fortement idéalisés. Tous les aspects complexes de la réalité, qui pourraient amener à nuancer le propos, à relativiser quelque peu la lutte menée, à tenir compte de facteurs divergents voire contradictoires, se trouvent dévalorisés. Ainsi les positions différentes ont tendance à être ramenées à une seule, considérée comme LA position adverse et diabolisée au maximum. Le choix devient alors clair et tranché : ‘Quiconque n’est pas pour moi est contre moi.’ Les valeurs les plus hautes sont en péril. La dramatisation permet d’envisager des solutions exceptionnelles. Aucun moyen terme n’est possible : tout ce qui ressemble à un compromis est intolérable compromission. On est dans la toute-puissance : il suffirait de décréter la ligne juste, de la suivre pour que celle-ci se réaliser sans engendrer d’effets non voulus et indésirables. »

 Je prenais comme exemple le texte « Profs ne capitulons pas ! », publié en 1989 au moment de la première affaire de foulards (celle de Creil) par « cinq philosophes », accusant Lionel Jospin d’opérer un « Munich de l’école républicaine » et appelant à la résistance contre un nouveau nazisme. Ce type « d’argumentation très médiatique » était énoncé par des auteurs prétendant « défendre la ‘haute culture’ contre la culture de masse » ; mais « le double jeu est une des caractéristiques de ce discours. »

Par contre, un texte de l’un de ces philosophes, Régis Debray : « Etes-vous démocratiques ou républicains ? », prenant en compte « différents aspects du problème », ne correspondait pas au portrait-robot. En revanche, son « opposition république-démocratie, devenue [ensuite] une vulgate » manifestait un « durcissement idéologique » : des « bouts de ‘pensée’ sont amalgamés, mélangés les uns aux autres, rabotés pour leur enlever tout ce qui dépasse » et donne de « l’originalité » au texte de Debray. Ainsi se forme « un petit catéchisme laïco-républicain […] rempli de formules toutes faite, qui va devenir le fondement implicite du discours social dominant. »

Voilà l’exposé de mes péchés que notre intrépide anonyme a traité de façon beaucoup trop allusive pour les exposer dans toute leur ampleur. Et comme la caractéristique de l’hérétique consiste à persister dans ses « erreurs », j’ai le culot de croire que ce qui s’est passé depuis 2006, n’a pas démenti ce diagnostic. Aux lecteurs d’en juger, et surtout aux lectrices pour qui, hétéro-sexiste, j’ai une particulière tendresse, et d’analyser, dans cette optique, nombre de textes récents…. dont celui de Franc-Tireur !

« Un intégrisme sans intégristes »

Tel est le sous-titre que je donnais au paragraphe dressant le portrait-robot. En effet, il ne faut pas confondre un portrait-robot et des personnes et on ne doit « [accoler] à aucun individu le qualificatif d’intégriste républicain ». On risquerait, alors, de « leur ressembler ; d’adopter un discours qui corresponde au leur. […] Il n’est donc pas question d’englober qui que ce soit par son discours. D’étouffer ainsi son individualité. »

 Au contraire, continuais-je, « il faut espérer que lesdits ‘républicains’ sont autres que les stéréotypes éculés et répétitifs qui peuvent sortir de leur bouche […]. Que lorsqu’ils vivent une relation amoureuse, ils parlent vraiment, ils inventent des phrases merveilleuses […], qu’ils savent faire l’amour en artistes. Qu’ils sont souvent joyeux et plein d’humour. Que sur des tas de sujet, ils tiennent des propos passionnants. C’est tout le mal que je leurs souhaite » Et je concluais : « désabsolutisés, désintégrisés (néologisme nécessaire), et en triant, on peut trouver du grain à moudre dans leurs dire. Ils parlent tellement de république et de laïcité qu’il leur arrive même, entre des oukases insupportables, d’énoncer des choses justes. Etonnant-non ? »  Mais « merde aux raisonnements binaires, aux jugements manichéens, aux idées toutes faites médiatiquement répétées à l’infini, du moins à l’infini hexagonal, cette prison de l’esprit. C’est cela qu’il faut vomir. »

Vous savez quoi, en vieillissant je deviens « carrément méchant » (comme le chante Alain Souchon) et, même en m’efforçant matin, midi et soir, j’ai de la peine à imaginer l’individu, de Franc-Tireur, qui a la lâcheté de ne pas signer de son nom, comme étant « souvent joyeux et plein d’humour ». En général, ces tristes sirs, dont le fiel déborde de leur plume, sont ainsi parce qu’ils ont peur d’être heureux. Mais sait-on jamais : laissons-lui le bénéfice d’un petit doute.

Depuis 2006, il s’est passé des choses, pourtant c’est toujours la même chanson

En 2006, je percevais que les partisans de la loi de 2004 n’allaient pas en rester là et que laïcité risquait de basculer de la recherche d’une égale liberté de conscience vers une conception hypertrophiée de la neutralité (moyen devenu fin en soi). Mais ce n’était pas le seul danger. Peu après, Nicolas Sarkozy, celui-là même qui allait s’atteler précisément à cette tâche (où la neutralité imposée aux élèves de l’école publique n’était plus une exception dans une liberté vestimentaire qui restait la règle générale, mais ouvrait la boite de Pandore) prononçait, au Latran dont il devenait chanoine!, et à Riad, en Arabie saoudite (pays qui propage le salafisme partout dans le monde !) deux discours dénigrant l’instituteur au profit du curé et exaltant la croyance en la « transcendance ».

J’ai réagi alors par un autre livre : La laïcité expliquée à M. Sarkozy et à ceux qui écrivent ses discours (Albin Michel, 2008) qui a fort déçu celles et ceux qui avaient cru (à tort) que mon livre sur l’intégrisme républicain signifiait que j’étais partisans d’une « laïcité ouverte »… aux religions plus qu’aux convictions non-religieuses. Banni du camp républicain, je me voyais en outre rejeté par les quidams qui espèrent que la crise de leurs Eglises, due à la sécularisation, pourra se résoudre par moins de laïcité. Bof, cela ne m’a pas empêché de dormir.

Par contre, m’a beaucoup plus inquiété, en 2011, l'accaparement de la laïcité par Marine Le Pen et le propos d’Elisabeth Badinter (une des cinq philosophes de 1989) : « En dehors de Marine Le Pen, plus personne ne défend la laïcité. » Je ne pouvais penser qu’il était partagé par celles et ceux qui, à l’époque et depuis lors, campaient sur une position analogue à la sienne. L’heure était, à la fois, à la lutte contre la captation de la laïcité par l’extrême-droite et, si possible, au rassemblent de toute la gauche laïque, quelles que soient ses divergences internes (on était, de plus, en pleine campagne électorale, ce qui permettait des espérances…).

Dans cette optique, j’ai ‘pondu’ un nouveau livre (La laïcité falsifiée, La découverte, 2012) pour « analyser, point par point, comment la laïcité peut être ainsi falsifiée et pourquoi on fait dire aussi facilement à la loi de séparation de 1905 le contraire de ce qu’elle a réellement dit. » Dans cet ouvrage, un chapitre proposait un « programme républicain [à discuter] pour refonder la laïcité » face à sa « lepénisation ».

L’intègre anonyme de Franc-Tireur ne dit mot de ces deux ouvrages, un instant de distraction peut-être, bien compréhensible quand on passe ses nuits à écrire des articles aussi flamboyants. Le glissement de la laïcité dominante vers la droite dure et l'extrême droite n'a fait que s'amplifier depuis lors, il devient vraiment dramatique mais Franc-Tireur passe son temps, soit à inventer des colles soit à faire des allusions déformées à des faits dont le plus récent (le livre Les 7 laïcités françaises) date d’il y a 10 ans. J’en conclus que, depuis lors, je suis un laïque irréprochable ! Ainsi, il n’est dit mot de ma série de conférences (qui a donné lieu à publication in la revue Histoire, monde et cultures religieuses 2017/3) sur « Quelle laïcité en France face aux attentats terroristes ? »

L’écartèlement de la gauche au sujet de la laïcité me semble, pour une large part, responsable de sa captation par des personnes qui en font un masque pour justifier des discriminations et une politique aux effets d’annonce sécuritaires (car, dès que l’on gratte un peu, on s’aperçoit qu’elle se soucie, comme d’une guigne,  de la préoccupation légitime de sécurité). Il est plus que jamais nécessaire, et urgentissime, de bâtir un large front républicain pour prôner la laïcité face à ceux qui la dévoient. Mais cela implique deux conditions préalables, insupportables aux personnes dont les propos se rapprochent du portrait-robot de l’intégrisme républicain. D’une part admettre qu’il existe des divergences légitimes en démocratie ; celle-ci implique que les gens ne soient pas des clones, des moutons de panurges. Et ces divergences on peut en débattre avec calme et rationalité. Car, d’autre part, il faut aussi admettre que ces divergences républicaines ne sont pas totales ; il existe des principes communs auxquels on se réfère (ceux, justement, qui sont les caractéristiques du régime de laïcité), même si on se différencie dans leur interprétation. Et face à la gravité des périls actuels, l’heure n’est certes pas à faire la fine bouche.

En 1905 il existait des oppositions idéologiques et des divergences philosophiques de fond entre les radicaux, individualistes, défenseurs de la propriété privée et, pour beaucoup, se référant philosophiquement au positivisme et les socialistes jauressiens qui privilégiaient l’action collective, souhaitaient la collectivisation des moyens de production, ne cachaient leurs références à Karl Marx. Leur conception de la laïcité n’était pas la même. Pourtant, malgré les difficultés, « jamais les dissensions ne pouvaient atteindre l’irrémédiable ». Il existait des « combats conduits en commun » où chacun gardait « le souci de revendiquer la part qu’il considérait comme devant lui revenir »[3] et, ensemble, ils ont adopté la loi de 1905. Jamais ils ne l’auraient votée s’ils s’étaient comportés en intégristes républicains. Puisse la leçon être retenus avant qu'il ne soit trop tard. 

[1] Note du 30 janvier

[2] Et ils resteront suspects tant que leur (absence de) déontologie leur fera couvrir l’anonymat de l’une ou l’un d’entre eux.

[3] J.-M. Ducomte et R. Pech, Jean Jaurès et les radicaux. Une dispute sans rupture, Toulouse, Privat, 2011.

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