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Jean Baubérot-Vincent (ce double nom est le résultat d'ajouter le nom de mon épouse au mien, puisqu'elle a fortement contribué à faire de moi ce que je suis). Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Auteur, notamment, de deux "Que sais-je?" (Histoire de la laïcité en France, Les laïcités dans le monde), de Laïcités sans frontières (avec M. Milot, le Seuil), de Les 7 laïcités françaises et La Loi de 1905 n'aura pas lieu (FMSH)

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Billet de blog 3 août 2023

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Quand, pour combattre le Conseil d’Etat, Marianne contredit Briand en prétendant le citer

Anne-Hélène Le Cornec Ubertini publie une tribune dans Marianne où elle s’oppose à l’arrêt du Conseil d’Etat refusant d’interdire le burkini sur la plage. C’est, bien sûr, son droit le plus strict. Le problème est que, pour appuyer son argumentation, elle cite longuement Aristide Briand, lors des débats parlementaires sur la loi de 1905, en lui faisant dire le contraire de ce qu’il a déclaré.

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Jean Baubérot-Vincent (ce double nom est le résultat d'ajouter le nom de mon épouse au mien, puisqu'elle a fortement contribué à faire de moi ce que je suis). Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Auteur, notamment, de deux "Que sais-je?" (Histoire de la laïcité en France, Les laïcités dans le monde), de Laïcités sans frontières (avec M. Milot, le Seuil), de Les 7 laïcités françaises et La Loi de 1905 n'aura pas lieu (FMSH)

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Anne-Hélène Le Cornec Ubertini publie une tribune dans Marianne où elle s’oppose à l’arrêt du Conseil d’Etat refusant d’interdire le burkini sur la plage. C’est, bien sûr, son droit le plus strict. Le problème est que, pour appuyer son argumentation, elle cite longuement Aristide Briand, lors des débats parlementaires sur la loi de 1905, en lui faisant dire le contraire de ce qu’il a déclaré. En effet, si on lit le JO de l’époque la position de Briand va à l’encontre de celle défendue par l’autrice.

La tribune s’intitule « Burqini (1): En faisant primer la liberté individuelle sur le respect de la laïcité, le Conseil d’Etat fait régresser la France » .  La longue citation de Briand est de nature à impressionner fortement lectrices et lecteurs. Le rapporteur de la loi de 1905 indique, en effet : « La rue, la place publique sont à tous. Pourquoi revendiquez-vous le droit, vous, catholiques, en régime de séparation, de violer la neutralité confessionnelle en exposant aux regards de citoyens, qui peuvent ne pas partager vos croyances, des objets exaltant votre foi et symbolisant votre religion ? Votre conscience ne peut donc être libre qu’à la condition de pouvoir opprimer celle des autres? »

L’affaire semble entendue. Eh bien non, bien au contraire, car ces propos ont été tenus lors de la discussion, les 27 et 28 juin 1905, de l’article 28 qui va interdire « d’élever ou d’apposer aucun signe religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, les terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou exposition. » Briand précise que cet article « ne s’applique qu’aux établissements publics », propriété de l’Etat, des départements et des communes. Ce domaine étant à tous, il ne doit pas, en conséquence, comporter de symbolisation qui connoterait des manifestations religieuses particulières, et voudrait par la même imposer une pseudo unité de croyances collectives.

Il ne s’agit donc pas du tout de la « liberté individuelle » et, sur ce dernier sujet, Briand déclare, au contraire, qu’il est tout à fait licite de manifester sa conviction : « Il n’est nullement question d’empêcher un particulier […] de faire décorer sa maison de la manière qui lui plaira, même si cette maison a face sur une place ou sur la rue ». De même, on peut ériger « un calvaire » très visible de la rue, dans son jardin. Un calvaire, voilà pourtant un signe religieux très ostensible ! Mais si la liberté de conscience interdit des signes religieux symbolisant des croyances collectives, cette même liberté de conscience autorise les signes religieux qui engagent l’individu et lui/elle seulement. C’est ce que ne semble pas comprendre Ann-Hélène Le Cornec-Ubertini. La « liberté individuelle » et le « respect de la laïcité » vont de pair ; d’ailleurs la Constitution proclame : « La République est […] laïque. […] Elle respecte toutes les croyances. »

Il s’agit donc, dans la citation faite, de statues que des municipalités feraient ériger sur des places publiques, comme certaines le fond aujourd’hui en Vendée, par exemple, comme je l’ai signalé et combattu dans mon avant-dernière Note du 21 avril : « Les atteintes à la laïcité que l’on veut imposer »). Transposer, sans le dire, une phrase qui concerne les monuments publics aux vêtements relève au minimum de l’erreur complète de lecture et d’une distorsion des textes, ou même peut-être d’une manipulation. Il est très significatif, en tout cas, que pour défendre le point de vue exprimé dans Marianne, il soit nécessaire de faire dire aux textes le contraire de ce qu’ils énoncent !

Car, au sujet du vêtement, la loi de 1905 a clairement pris parti en refusant l’amendement interdisant le port de la soutane dans l’espace public. Pourtant, les arguments mis en avant ressemblaient comme deux gouttes d’eau à ceux utilisés contre le voile et le burkini. Mais Briand a indiqué que cela serait aller à l’encontre d’une « loi de liberté ». Enfin, la jurisprudence du Conseil d’Etat a été claire dès ce moment-là : on ne peut pas prétexter un motif d’ordre public pour interdire des manifestations individuelles et même collectives (mais provenant d’un collectif de forme associative, volontaire, et non pas représentant l’ensemble de la collectivité), comme les processions, dans l’espace public. Il faut que le trouble à l’ordre public soit avéré.

Je renvoie les personnes éventuellement intéressées à en savoir plus sur ces sujets au tome 2 de mon étude La loi de 1905 n’aura pas lieu. Histoire politique des Séparations des Eglises et de l’Etat (1902-1908) :La loi de 1905, légendes et réalités paru (sur support papier et numérique) aux éditions de la Maison des sciences de l’homme en 2021.

[1] L’utilisation d’un « q » est significative : on veut faire croire que le burkini est une sorte de burqa !

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