Ouf, cela est fait : le Conseil constitutionnel a ratifié la loi étendant le droit au mariage aux personnes de même sexe (je préfère cette formulation, qui dit clairement de quoi il s’agit, à l’équivoque expression de « mariage pour tous »). La loi va pouvoir être appliquée. Plusieurs commentateurs ont, cependant, souligné un paradoxe : cette loi constitue la réforme la plus importante de la première année du quinquennat de François Hollande et, pourtant, à part la valse-hésitation sur la possibilité de déléguer par objection de conscience, le président ne s’y est pas vraiment impliqué et n’en tire donc pas une image de réformateur, d’artisan d’un changement important de la société française. L’impression, fâcheuse, de ne pas avoir dominé les événements, subsiste. Dommage. Une belle occasion a été manquée de remettre la laïcité française dans la filiation de la loi de 1905 : la séparation de la religion et de l’Etat et non une conception extensive de la neutralité qui déborde le cadre de la puissance publique pour atteindre l’espace public.
En effet, si l’expression d’avis divergents et donc de l’opposition à cette loi est démocratiquement et laïquement légitime, il est significatif que certains arguments utilisés n’aient pas donné lieu à des réponses fortes. Le terme « d’atteintes à la laïcité » est utilisé un peu à tort et à travers et, là, une belle occasion de s’en servir à bon escient a été manquée. Ne sont pas laïquement acceptables, en effet, les discours qui estiment que, par principe, une telle loi est « illégitime ». Or cette perspective a constitué le background dominant de beaucoup de propos tenus. Il faut donc clarifier, toujours et encore, la frontière entre le débat laïque des opinions et l’atteinte à la laïcité qui advient quand, pour des raisons convictionnelles, on prétend se situer au-dessus d’un débat démocratique. Le recours au Conseil constitutionnel faisait partie de ce débat, l’argument ad hoc, invoqué maintenant, selon lequel ce Conseil ne serait pas indépendant, alors que plus des trois quarts de ses membres ont été nommés la droite, est significatif d’un refus absolu d’accepter la légitimité de la loi.
Pourquoi n’avoir pas solennellement relié le projet de loi à la laïcité ? Comme je l’ai déjà indiqué dans ma Note du 5 novembre dernier, celle-ci a toujours comporté des enjeux touchant au domaine des mœurs. Deux exemples le montrent. D’abord, la Révolution française a créé une catégorie de paysans petits propriétaires qui auraient perdu leur « indépendance » s’ils avaient dû partager leur maigre lopin de terre entre beaucoup d’enfants. Un certain contrôle des naissances, avec les moyens d’alors, a donc été pratiqué. Il a constitué une des principales raisons de prise de distance avec les normes officielles du catholicisme. Ensuite, parmi les lois laïques des années 1880, il y a celle rétablissant le droit au divorce (1884), instauré par la Révolution (avec le mariage civil) et supprimé par la Restauration. Le conflit avec un certain catholicisme ne fut pas moins vif qu’aujourd’hui. L’instauration de ce droit au divorce était (déjà !) considéré comme un bouleversement complet de civilisation et s’y ajoutait des thèmes antisémites : l’auteur du projet de loi étant juif, il s’agissait rien de moins, que d’un « complot sémite » contre la France chrétienne ! Pourquoi ne pas revendiquer très clairement que les civilisations sont en mouvement, innovantes, précisément pour ne pas dépérir ?
De même, la séparation de la religion et de l’Etat est une dynamique qui, à chaque période de l’histoire, doit s’appliquer aux problèmes nouveaux qui sont rencontrés. En leur temps, les lois sur la contraception (1969) et l’IVG (1975) ont constitué des avancées laïques qui ont séparé la loi civile et certaines normes religieuses. Cela a donné lieu à de très dures polémiques. Ainsi l’association Laissez-les–vivre affirmait explicitement que la « liberté de l’avortement » conduit à la « liberté de meurtre » : « Chacun pourra forniquer librement, sans retenue et sans remords, en promettant au four crématoire (sic) le fruit de ses exploits érotiques » (1) ! Mais, déjà, certains avaient une vision réductrice de la laïcité, qui, à l’époque, tendait à la ramener essentiellement au problème des subventions publiques aux écoles privées sous contrat. Le camp laïque, à mon avis, ne s’est pas assez investi en tant que tel dans ces combats, n’a pas assez mis en avant la laïcité comme extension des droits de chacun et possibilité d’adopter librement une pluralité de conceptions du monde et de la vie.
C’est cette laïcité, garante du pluralisme et de nouveaux droits, qui doit toujours être promue. Mettre l’accent sur ce point permet d’ailleurs de faire preuve de modestie. Dans les années 1960, les femmes qui voulaient avoir accès à la contraception étaient obligées de commander diaphragmes ou stérilets (les moyens les plus utilisés alors) en Grande-Bretagne, via le Planning Familial. Autant dire que ce n’était pas facile et qu’un pays ayant gardé une religion officielle garantissait mieux que nous des libertés laïques. Pour le mariage entre personnes du même sexe, 13 pays ont précédé la France, dont certains de culture catholique comme l’Argentine, la Belgique, l’Espagne. Le Canada, dont certains voudraient opposer le multiculturalisme libéral à « notre » laïcité, a également opéré cette réforme avant nous. On ne peut vraiment pas dire que la France soit à l’avant-garde de la laïcité ! Le combat doit être continué, avec ténacité. Un autre grand débat laïque se profile à l’horizon, celui du libre choix de sa mort quand on estime que sa vie est tellement délabrée qu’elle ne fait plus sens. Nous aurons l’occasion d’en reparler.
(1) Cité par J.-Y. Le Naour-C. Valenti, Histoire de l’avortement, Paris, Seuil, 2003, p. 227.
 
                 
             
            