Jean Baubérot
Jean Baubérot : Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Auteur, notamment, de deux "Que sais-je?" (Histoire de la laïcité en France, Les laïcités dans le monde), de Laïcités sans frontières (avec M. Milot, le Seuil), de Les 7 laïcités françaises et La Loi de 1905 n'aura pas lieu (FMSH)
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Billet de blog 25 sept. 2019

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Jean Baubérot : Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Auteur, notamment, de deux "Que sais-je?" (Histoire de la laïcité en France, Les laïcités dans le monde), de Laïcités sans frontières (avec M. Milot, le Seuil), de Les 7 laïcités françaises et La Loi de 1905 n'aura pas lieu (FMSH)
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La loi de 1905, toujours d’actualité pour la laïcité d’aujourd’hui

La loi de 1905, séparant les Eglises de l’Etat, est considérée soit comme un texte presque sacré, « gravé dans le marbre », soit comme une loi datée et maintenant dépassée. Aucune de ces deux attitudes ne me semble pertinente.

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Jean Baubérot : Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Auteur, notamment, de deux "Que sais-je?" (Histoire de la laïcité en France, Les laïcités dans le monde), de Laïcités sans frontières (avec M. Milot, le Seuil), de Les 7 laïcités françaises et La Loi de 1905 n'aura pas lieu (FMSH)
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La loi de 1905, séparant les Eglises de l’Etat, est considérée soit comme un texte presque sacré, « gravé dans le marbre », soit comme une loi datée et maintenant dépassée. Aucune de ces deux attitudes ne me semble pertinente. Cette loi comporte, certes, des articles circonstanciels voire très techniques, mais d’autres possèdent une valeur permanente car, en fait, ils appliquent aux rapports entre le politique et le religieux, les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La mise en œuvre de ces principes est d’une perpétuelle actualité.

Pour autant, il faut se méfier quand une référence globale et quasi-sacrale est faite à « la loi de 1905 » sans grande précision. En effet, souvent, cet hommage cache une manipulation. On met la loi d’autant plus sur un piédestal que cela permet de rester dans le flou, voire de lui faire dire tout autre chose que ce qu’elle proclame. Restituer son histoire, et étudier les conflits qu’elle a résolus s’avèrent indispensables pour comprendre en quoi elle est toujours actuelle.

Ainsi, pour effectuer un clin d’œil à un buzz du début de ce mois de septembre, on peut écrire qu’au tournant du XIXe et du XXe siècle, la « guerre des deux France » (selon l’expression de l’historien E. Poulat) opposait deux minorités actives, desdits « athéophobes » (les « cléricaux ») et desdits « catholicophobes » (les « anticléricaux »), qui sommaient le reste de la France de choisir un de ces deux camps. Quand les premiers projets de loi ont été déposés au Parlement, en 1903, il semblait à l’évidence que les seconds allaient l’emporter sur les premiers et limiter leur liberté. Le contexte était, en effet, un anticléricalisme d’Etat et beaucoup de députés déclaraient que cet anticléricalisme ne devait plus se distinguer de l’antireligion, car cléricalisme et religion se rejoignaient. Or, ce qui est arrivé n’est pas du tout ce qui semblait prévisible. Au contraire. La philosophie de la loi de 1905 consiste à affirmer que la République laïque ne doit être ni « catholicophobe » ni « athéophobe » ; en revanche, elle garantit le droit de pratiquer ET de critiquer la religion. Contrairement à ce que certains croient aujourd’hui, phobie antireligieuse et critique (rationnelle et argumentée) de la religion n’ont rien à voir.

La critique n’implique pas l’intolérance. Les promoteurs de la loi de 1905 ont même été plus que tolérants. Ils n’ont pas fait le jeu de leurs adversaires intransigeants qui voulaient les pousser à la faute et pouvoir se présenter comme des victimes. Un seul exemple pour illustrer cela : fin 1906, au moment où la loi doit s’appliquer un an après avoir été votée, le pape Pie X a exigé des catholiques de ne pas s’y conformer. Un journaliste catholique, Julien de Narfon, regrette d’être trop attaché à sa religion et à son pays « pour jouir pleinement de la force comique » de la situation. En effet, écrit-il le 30 décembre, normalement la non application de la loi par les catholiques devrait entraîner la « fermeture des églises ». Or « qu’y a-t-il de plus drôle en soi, que l’attitude respective des partis à l’égard de cette éventualité ? » D’un côté, un gouvernement composé de ministres « areligieux », « antireligieux » ou « athées », qui fait tout pour « presque légalement, laisser les églises ouvertes » ; de l’autre « des gens qui se réclament de la religion (…) et dont toute la politique tend à acculer à fermer ces mêmes églises ».

Pourtant le même Parlement qui, de 1902 à 104, au nom d’une conception autoritaire de l’ « émancipation » républicaine, s’est trouvé entraîné dans une spirale de mesures de plus en plus répressives, a réussi le « miracle » (Ferdinand Buisson) de promouvoir la « loi de liberté » (Aristide Briand) qu’est la loi du 9 décembre 1905. Il y a là une énigme dont on n’a peut-être pas pris toute la mesure car on connait la fin de cette histoire. On risque alors de gommer les précipices qu’elle a côtoyés et ses nombreux virages. Le conflit des deux France, s’est doublé d’un conflit entre « républicains », ce qui a été largement oublié par la mémoire collective et qui est, d’autant plus, plein d’enseignements et source de réflexions sur notre aujourd’hui.

Même si quelques livres (pas tellement) ont déjà porté sur la loi de 1905, beaucoup de textes restaient inédits et j’ai voulu reprendre le dossier à nouveau frais, en effectuant un travail de type universitaire tout en m’affranchissant des carcans académiques. Je me suis inspiré de la série télévisée qui relate les enquêtes du lieutenant Colombo. A chaque épisode, la première scène montre un crime (presque) parfait dont l’auteur est clairement identifiable. Tout suspens semble aboli. Or il est simplement déplacé vers les nombreux rebondissements qui vont, au fur et à mesure, dénouer les multiples chaussetrappes empêchant de confondre l’assassin.

J’ai donc écrit [1]un livre d’histoire qui est, en même temps, une sorte d’enquête policière. C’est le tome I (L’impossible « loi de liberté » 1902-1905) d’un ouvrage intitulé La loi de 1905 n’aura pas lieu. Histoire politique des Séparations des Eglises et de l’Etat (1902-1908), qui va paraître le 26 septembre aux éditions de la Maison des Sciences de l’homme. Tout de suite, pour prévenir une polémique inutile, je donne une précision sur le pluriel (un peu provoquant) mis à « Séparations » : le livre s’intéresse beaucoup aux représentations, et je me suis fondé sur une affirmation (que je trouve pertinente) de Georges Clemenceau,  dans L’Auroredu 18 septembre 1904 : « La séparation selon M. Ribot n’est pas du tout la séparation selon M. Combes, laquelle diffère absolument de la séparation selon M. Briand, pour ne pas parler d’un certain nombre d’autres. »

La France de 1905 est fort différente de  la France d’aujourd’hui et, pourtant, les enjeux d’alors ne nous sont pas étrangers : antisémitisme, racisme, sexisme ordinaire, lutte des femmes pour leurs droits,  nationalisme, présence de l’islam dans l’Empire colonial, débat sur la signification de la démocratie, dissensus entre conceptions de la laïcité… On ne saurait parler de la loi de 1905 sans aborder ces questions. Mon ouvrage montre également qu’on ne peut comprendre cette loi en adoptant la perspective d’une laïcité « exception française » : du Mexique au Japon, en passant par les Etats-Unis et la Suisse, plusieurs modèles étrangers ont été invoqués et se sont avérés importants dans le processus qui a abouti à la séparation. On trouvera aussi, dans l’ouvrage, quelques cerises sur le gâteau, comme la prise de position de Marcel Proust sur ce sujet. Mais à vous de découvrir, si vous le souhaitez, le fruit de mon travail de ces trois dernières années.

Il y aura, je l’ai déjà indiqué, une suite : la loi de 1905 a opéré, en environ trois ans, un apaisement qui a nécessité le vote de trois autres lois. Trois ans, c’est, cependant, un court délai étant donné la virulence du conflit des deux France. Cet apaisement n’est en rien, d’ailleurs, un calme plat et chacun sait que, sur l’école notamment, de fortes divergences ont continué. Mais on peut écrire que les tensions n’ont plus tendu à la « guerre civile » (dont beaucoup craignaient le déclenchement en 1904) et qu’un certain niveau de désaccord est consubstantiel à la démocratie.

Pour cette suite (avec des retours sur la période 1902-1905) je souhaiterais pouvoir bénéficier de l’apport d’un certain nombre d’entre vous. Il existe certainement, parmi les lectrices et lecteurs de ce Blog, des personnes qui travaillent également sur cette période, courte mais très dense, de l’histoire de la France. Leurs remarques et leurs apports seraient les bienvenus et, s’ils contribuent à l’écriture de cette suite, ils seront naturellement explicitement cités.

Pour ne pas avoir à se limiter aux abonnés de Mediapart, je réactive également mon autre Blog : www.jeanbauberotlaicite.blogspirit.com Grâce à ce site, vos compléments documentaires et analytiques deviendront publiquement accessibles et vous participerez à une œuvre qui prendra ainsi une dimension collective revendiquée.

L’accompagnement de mon épouse (atteinte d’Alzheimer), ainsi que, de façon plus récente, quelques ennuis de santé personnels, m’ont éloigné du débat public et m’ont obligé à des choix drastiques. J’ai décidé de consacrer le temps et l’énergie disponibles qui me restent, à faire ce que je sais faire de moins mal : un travail d’historien. J’en donnerai des échos dans ce Blog. L’aventure continue…

[1]Avec la collaboration de la chercheuse Dorra Mameri-Chaambi.

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