Déjà, les perspectives au 1er janvier 2023 ne semblaient pas terribles, mais là, camarades, nous sommes totalement dans la mouise ! Je ne voudrais pas casser l’ambiance, en ces temps de « bonne année » , mais je ne peux cacher mon ultra pessimisme et, bien sûr, je suis loin d’être le seul. Entre l’Ukraine, maintenant sur la défensive, entre une paix juste, compromise pour des décennies, par le massacre perpétré par le Hamas puis le carnage dû à l’armée israélienne à Gaza,… Cela sans parler des populismes triomphants un peu partout et de la température, en France même, 5 degrés au-dessus de la « normale saisonnière »,… Bref, la planète souffre beaucoup. De plus, si elle triomphait en 2027, Marine le Pen, avec la loi du 24 août 2021 tordant la laïcité et celle qui vient d’être adoptée sur l’immigration, n’aurait même pas besoin de faire voter de nouvelles lois ; il lui suffirait d’appliquer, à « la rigueur », celles existantes. Faut-il en prendre son parti ? Assurément non. Tâchons d’avoir le pessimisme actif. C’est le moment ou jamais de se rappeler la célèbre devise : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ».
Notre responsabilité collective consiste à tout faire pour remettre la gauche sur les rails. Or, son silence actuel est assourdissant. Deux exemples : le Moyen-Orient. Il n’y aurait jamais dû avoir de problème pour qualifier le Hamas de « mouvement terroriste » : nous ne souhaitons vraiment pas le voir diriger un jour l’Etat palestinien que nous appelons de nos vœux. Résultat de la manière dont les choses se sont passées : toute une polémique absurde sur l’injonction faite au sujet de cette qualification de « terrorisme », mais aujourd’hui, nulle injonction équivalente auprès du centre et de la droite (voire d’une partie de la gauche elle-même) pour demander de qualifier solennellement de « carnage » ce qui advient chaque jour. En sachant que le pire est peut-être à venir, avec des soins qui deviennent impossibles à assurer et la famine qui se développe. Il serait pourtant essentiel d’avoir une parole forte désignant Netanyahu (et sa politique) comme l’ennemi et du peuple palestinien et du peuple israélien. Du peuple palestinien, point n’est besoin d’insister avec ce qui arrive dans la bande de Gaza, mais aussi en Cisjordanie. Du peuple israélien également, car c’est de la haine pour des décennies voire des siècles, qui est en train d’être construit. Netanyahu sait fort bien qu’il sera poursuivi en justice dès qu’un semblant de « calme » sera revenu ; il a donc tout intérêt à faire pourrir au maximum la situation le plus longtemps possible. Les tueries actuelles et à venir sont terribles et terriblement boomerang. Avoir de l’empathie pour les deux peuples n’est pas contradictoire, au contraire, c’est un seul et unique combat.
L’autre exemple est moins tragique, cependant il s’avère significatif : bien que blasé, je suis quand même très étonné par le manque de combativité de la gauche pour l’obtention d’une loi autorisant l’euthanasie et le suicide assisté. Une mesure législative en ce sens constitue, depuis des lustres, l’Arlésienne de la République. Or, non seulement la gauche ne l’a pas réalisée quand elle se trouvait au pouvoir, mais aujourd’hui elle se montre incapable d’organiser une lutte un peu forte pour l’obtenir, alors même que l’opinion publique y est massivement favorable. Résultat : de mois en mois les groupes de pression conservateurs se font plus insistants et, tel l’horizon, cette loi qui semblait si proche s’éloigne de plus en plus. Pour celles et ceux qui ont connu les combats en faveur de la possibilité de l’IVG, le contraste est saisissant… et révélateur de l’état, assez lamentable, de la gauche actuelle.
C’est pourquoi son premier réveil devrait consister à dire haut et fort au Président de la République : « Cela suffit, vous avez assez tergiversé. Toutes les consultations nécessaires ont eu lieu et elles sont toutes allées dans le même sens. Il est plus que temps… ». Je ne demande là rien que de très facile car, c’est un sujet assez consensuel, donc rassembleur, de l’extrême gauche au centre -gauche (voire au-delà). Outre que nous ne devons pas nous voir priver de la mort que nous souhaitons avoir le jour venu, stratégiquement, ce serait un très bon levier pour reprendre l’offensive.
Sur des sujets plus strictement « politiques », il parait plus difficile pour la gauche de se montrer dynamique. Il faut reconnaitre à Mélenchon le fait de l’avoir, à deux reprises, conduite à la porte du second tour, alors que personne d’autre n’en était capable, et d’avoir joué le rôle principal dans la création de la Nupes qui a évité, en son temps, son déclin total. Mais maintenant, en ayant un pied dehors et un pied dans le jeu politique, il est devenu contre-productif. Quand j’ai été auditionné par la Commission parlementaire sur la loi « séparatisme », le seul qui comprenait vraiment que je disais était Alexis Corbière, or il l’a mis sur la touche ; les combats, notamment la lute féministe, de Clémentine Autain forcent le respect : elle est, elle aussi, reléguée à la marge. Bref, c’est : « Je suis en retrait, mais je ne tolère, dans mon parti, que des béni oui-oui ».
Dans cette conjoncture, il serait essentiel que les écologistes et le PS s’entendent pour présenter un candidat commun aux européennes. On n’en prend pas le chemin et c’est vraiment dommage. Pour le PS, il est plus que temps de signifier à Hollande d’arrêter de courir après micros et caméras. C’est assez pathétique ! Un militant du PS me disait récemment : « Hollande a été le naufrageur de la gauche, avant même d’être président de la République, lors de son mandat de ‘premier secrétaire’. J’avais voté Emmanuelli, pour la désignation du candidat du PS à la présidentielle, mais dès la proclamation du résultat, sans état d’âme, mes amis et moi nous collions des affiches pour soutenir la candidature de Jospin. Or, en 2007, la candidature de Royal a été, dans une large mesure, torpillée par le parti. Incapacité à gouverner le PS ou tactique pour faire triompher Sarkozy dans l’espoir d’être candidat en 2012, peu importe, Hollande a, alors, coulé la gauche. » Raphaël Glucksmann a sauvé les meubles d’un parti en perdition aux dernières européennes et il n’a pas démérité à Bruxelles mais, en 2024, l’intérêt supérieur de la gauche est qu’il s’entende avec les écologistes. … Et que ces derniers changent de culture politique, où ils ressemblent à LFI par une attitude inverse : une démocratie interne excessive et mal pratiquée qui les fait tirer à vue sur tout ce qui dépasse ! Bien sûr, il est logique que la culture de la gauche s’accorde mal avec l’élection du président de la République au suffrage universel. Reste que c’est selon cette modalité qu’elle/il sera élu.e en 2027 et le réalisme consiste à adapter sa stratégie en conséquence.
Les perspectives de la prochaine présidentielle s’avèrent très sombres, et 2024 sera une année essentielle pour sauvegarder le maigre espoir d’une candidature unique dans trois ans, seul moyen d’obtenir une petite possibilité de pouvoir l’emporter. Par ailleurs, il faut se préparer au pire et faire face, dès à présent, aux conséquences de la loi immigration. Une partie de la gauche, qui prétend monopoliser à son profit le fait de se dire « républicain », déblatère depuis longtemps sur la société civile : la promouvoir serait « anglo-saxon » (propos xénophobes, en fait !). Cette pseudo-gauche a multiplié les déclarations en ce sens. Pourtant, renforcer la société civile est absolument essentiel : il faudrait que la culture politique de toute la gauche intègre cette conviction et agisse en conséquence. La société civile, heureusement, fait déjà preuve de vitalité. Il est plus que temps que dans l’Hexagone à grande prétention, elle cesse d’avoir mauvaise réputation, comme le chanterait Brassens.
Mon pessimisme n’est pas total car tous les trains n’arrivent pas en retard. Cette dernière décennie, la gauche a quand même remporté une belle victoire (reconnaissons-le, avec Hollande, et, surtout, grâce à Taubira) et je me suis fort réjoui en entendant des figures de la droite, par conviction ou opportunisme, peu importe, reconnaitre s’être trompées en s’opposant à la loi permettant le mariage de personnes de même sexe. Nous avons à peu près réussi à ce que la grande majorité de la population française partage l’idée que, comme me l’a déclaré il y a peu un paysan de mon village natal, « l’important est qu’ils/elles s’aiment ».
L’amour est enfant de bohème et je vous souhaite de le recevoir et de le donner durant les 366 jours de 2024. Des chansons populaires représentent, aujourd’hui, l’équivalent des sentences et des proverbes de naguère (= l’expression de la sagesse du peuple), et, donc, méditez, à l’occasion du nouvel an, les paroles de la chanson de Claudio Capéo, « Si j’avais su » :
« Je t’aurais dit toutes les choses
Qu’on ne dit pas assez souvent
Car souvent dans la vie on n’ose
Pas dire les choses tant qu’il est temps. […]
Moi j’aurais fait un peu le con
Juste pour regarder ton sourire […]
Et puis je t’aurais serrée si fort
Qu’il y aurait eu des marques à ton cou […]
Je t’aurais enfermée dans mes yeux
J’aurais capturé ton parfum […]
J’me s’rais dépêché de t’aimer
Comme on court après la vie
Car on n’aime jamais assez
Je t’aurais dit : je t’aime aussi
Les mots, faut pas qu’on les conserve
Faut les distribuer à la ronde
Sinon les mots à quoi ils servent
A part à décorer les tombes ?
Si j’avais su
En partant ce soir-là
Si j’avais su
Que le temps n’attend pas
Si j’avais su
Mais souvent on ne le sait pas
Qu’on voit quelqu’un pour la dernière fois ».
Pour 2024, je vous souhaite de ne pas « conserver » les mots sans les dire, de distribuer des « milliers de je t’aime » (Slimane), de rencontrer les autres comme si vous les voyez pour « la dernière fois ». Alors 2024 sera, pour vous et les vôtres, une année lumineuse.