De jeudi à dimanche, 30 000 protestants se sont rassemblés à Paris et ont proposé aux Parisiens plus d’une centaine de forums, concerts, jeux, expositions, etc. Une soirée festive et un culte ont eu lieu au Palais omnisports de Bercy. Une rumeur bruissait en certains endroits : « les religieux ont été expulsés du Comité Consultatif national d’éthique ». Et l’événement lui-même, et la rumeur, sont intéressants à décrypter, à considérer comme des éléments du fonctionnement, dans les faits, de la laïcité en France.
Tout d’abord, quelques mots sur le rassemblement. Intitulé Protestants en fêtes : Paris d’espérance, il constitue un bon exemple de la fausseté des discours prétendant que la laïcité « réduit la religion à la sphère privée ». Voilà une manifestation de grande ampleur organisée par la Fédération protestante de France. Elle se déroule paisiblement dans l’espace public parisien (trop paisiblement d’ailleurs, pour attirer l’attention des grands médias !). Une religion apparaît là comme un élément de la société civile. Elle présente ses œuvres sociales (Village des solidarités, place du Palais Royal) et d’autres activités (Parc de Bercy et à côté de la Gare de Lyon). Chacun est libre d’être intéressé ou pas.
Ministre de l’Intérieur chargé des cultes (je souhaiterai, pour ma part, que ceux-ci soient rattachés au Ministère de la Justice, ce serait plus logique), Manuel Valls était présent au culte du dimanche matin. Il s’est abstenu de toute participation active à la cérémonie. Là encore, cela me semble constituer le fonctionnement logique de la laïcité. De Gaulle était très catholique et communiait quand il allait à la messe de sa paroisse. Mais lorsqu’il assistait, comme chef d’Etat, à des cérémonies religieuses catholiques, il ne communiait pas. Voilà la différence entre « respecter toutes les croyances » (comme l’énonce la Constitution) et leur donner un caractère officiel. Ceci dit, on peut espérer que Manuel Valls a reçu 5/5 le message du nouveau président de la FPF, concernant la nécessaire solidarité avec « les plus vulnérables ». On a compris qu’il s’agissait des Roms. De fait, plusieurs associations protestantes sont engagées dans ce combat.
Second point : le renouvellement du Comité consultatif national d’éthique qui rend des avis concernant les « sciences de la vie ». Cette instance a été créée en 1983 par François Mitterrand et, parmi ses 40 membres, elle comporte « 5 personnalités appartenant aux principales familles philosophiques et spirituelles ». Ces dernières sont nommées, depuis le départ, par le Président de la République. Alors, aucune religion n’a contesté ce mode de nomination, au contraire, cela est apparu comme un gage d’ouverture à une époque où « laïcité » signifiait avant tout le conflit scolaire entre école publique et école privée sous contrat (comme les choses changent !). Vous avez noté qu’il s’agit d’appartenance et non de représentants.
Pourquoi cet émoi qui déborde les milieux protestants? Pour plusieurs raisons, les une compréhensibles, les autres tout à fait indues. Parmi les raisons compréhensibles, il y a l’ampleur du renouvellement opéré : 22 personnalités, nommées par diverses instances. Cela laisse planer un doute : tente-t-on de s’assurer que le CCNE dira les choses que le Président et son gouvernement souhaitent entendre ? Au Québec, il existe actuellement un débat sur une « Charte des valeurs » qui accentuerait une laïcité à deux vitesses, douce pour le catholicisme, dure pour l’islam et le judaïsme. Le gouvernement québécois a nommé 4 personnes à une instance consultative : le Conseil du Statut de la femme et là c’est clairement pour changer la majorité de ce Conseil. Concernant le CCNE, il existe une diversité d’instances qui nomment. Malgré tout, en démocratie, il vaut mieux être trop méfiant que pas assez.
La seconde raison est la (mauvaise) manière dont a été opéré le remplacement du membre de « sensibilité protestante ». Celui-ci arrivait certes en fin de mandat, mais d’habitude deux mandats consécutifs étaient effectués. La « tradition » voulait, d’autre part, que le président de la FPF soit consulté (mais on était en pleine période de transition entre 2 présidents). Enfin, la personne remplacée a appris son départ… par la presse. Le moins que l’on puisse dire est que cela n’est guère civil.
Reste que ces raisons ne permettent pas de prétendre que « les religieux ont été expulsés du Comité Consultatif national d’éthique »: on laisse croire à une disparition des 4 membres appartenant aux « principales familles spirituelles » (le cinquième étant considéré comme appartenant à une famille de pensée humaniste non religieuse). Tel n’est pas le cas, bien sûr. Il se trouve qu’un laïc juif et une laïque protestante succèdent à un rabbin et à un pasteur. En définitive, avec les personnes maintenues : un laïc musulman (il n’y a jamais eu d’imam dans le comité, sans que personne ne proteste !) et un jésuite, il n’y a plus de clercs. Ce n’est pas du tout la même chose.
Les protestants seraient d’autant plus mal venus de réclamer un « religieux » que la Réforme protestante a réduit la distinction entre clercs et laïcs et qu’elle en est fière. Par ailleurs, avant 2012, 2 laïcs protestants et 2 pasteurs ont été nommés sans problème au CCNE. Enfin, tout comme son prédécesseur, la personne nommée ces jours-ci est quelqu’un qui a donné de multiples preuves de son indépendance d’esprit.
Pourtant la désinformation est en marche. Ce matin Damien Le Guay, sur le site de droite Atlantico.fr, annonce que « Juifs et protestants français viennent de perdre leurs représentants au sein du comité consultatif national d’éthique », ce qui est tout simplement faux. Il parle de « retour à une laïcité musclée ». Sans doute celle de Sarkozy, de Guéant et de Copé est-elle très libérale envers toutes les religions ! On est donc là en pleine instrumentalisation politique. Le statut des personnalités juive et protestante ne change pas. Dès le départ, il ne s’est pas agi de « représenter » des religions, ce qui serait une perspective néo-concordataire, plutôt de profiter de la diversité des courants de la société civile (que les 5 personnalités dont il a été question ne sont pas les seules à exprimer au sein du CCNE) pour enrichir la réflexion...