jean Caune

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Billet de blog 2 juin 2017

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Macron : une communication symbolique et pragmatique

La cérémonie célébrant la victoire de Macron a été conçue comme un événement performatif. Elle a choisi un décor qui superpose à l’image de la monarchie la modernité de la pyramide du Louvre. Par la magie de la mise en scène, les 66% des votes exprimés se sont cristallisés dans une séquence télévisuelle.

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Macron : une communication symbolique et pragmatique

             L’affinité avec la manifestation du 13 mai 1981, où Mitterrand est entré dans l’histoire, s’impose. Les deux événements ont été conçus pour la télévision. Mitterrand  a pénétré au Panthéon, une rose à la main. Le miracle de sa démultiplication, une fois la rose déposée sur la tombe des grands ancêtres de la République, et son dialogue silencieux avec eux, ont transfiguré Mitterrand en monarque républicain.

            Macron, lui, a surgi de nulle part : du hors-champ de l’image. Macron ne s’est pas séparé de la foule de ses partisans, comme l’avait fait Mitterrand ; il s’est interposé entre eux et la pyramide. Le point de vue, à distance, de la caméra a laissé le héros seul face à l’Histoire dans laquelle il s’inscrit.  Avec la constitution du gouvernement, marque d’un art brillant de l’exécution, il a tenté de reproduire l’alchimie napoléonienne de l’amalgame entre les grognards, les compagnons de marche et les nouvelles recrues, choisies en fonction de leur compétence professionnelle.

Explication ou compréhension de l’événement ?

Pour comprendre le sens du phénomène, il faut donner une place aux sciences sociales et humaines et, ainsi, échapper au “politicisme”. Je propose ce néologisme en analogie avec « l’historicisme », qui se contente d’établir un lien causal entre les différents moments de l’histoire.

            Le “politicisme” serait un point de point de vue sur l’action politique qui fonde ses explications sur des données essentiellement quantitatives. Il utilise un déterminisme causal ; transforme un nom propre un courant politique (chiracisme, hollandisme, jupéisme, fillionisme …) ; occulte les instances de médiation (association, élus locaux…) et enfin, plus grave, néglige la composante culturelle de l’action du politique.

            Il est néanmoins possible de s’interroger sur ce que pourrait être le macronisme. Trois directions d’analyse seraient susceptibles d’orienter la réflexion à venir.

·      Le dépassement des oppositions binaires irréductibles, comme l’est le couple droite/gauche.

·      Le primat de la personne, — le personnalisme de Mounier repris par la revue Esprit — qui prend en considération le sujet de parole et d’action dans la vie politique.

·      La verticalité de l’exercice du pouvoir qui introduit une forte charge symbolique, auquel manque, aujourd’hui, des dispositifs de dialogue et de concertation avec les différentes strates de la société.

Un art de dire et de faire

            La formation du gouvernement, subtil cocktail, a relevé, pour une grande part de la tactique. Comme l’avait montré Michel de Certeau, « La  tactique est un calcul qui ne peut pas compter sur un  "propre" ». Elle dépend du temps : « ce qu’elle gagne, elle ne le garde pas ». Aujourd’hui, Macron est en capacité de forger une stratégie, c'est-à-dire d’accéder à « un rapport de forces qui devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir et de pouvoir est isolable d'un "environnement"». C’est en construisant un « propre », qu’il disposera d’une base pour la gestion de ses relations avec une extériorité distincte : les forces sociales et politiques avec lesquelles il aura à dialoguer.

Une communication pragmatique et relationnelle

Le médium de la communication de Macron est, pour l’instant, sa propre personne. Les caractéristiques de sa communication sont multiples. Tout d’abord, un énoncé relativement pauvre en signification, qui met l’accent sur la transformation, le dépassement, le mouvement … Sa communication s’effectue dans un « contexte dense », selon la formule de l’anthropologue E. T. Hall qui a influencé le courant pragmatique. Une petite partie de l’information est transmise dans le message,  la plus grande partie est intériorisée ou se trouve dans le contexte. On comprend que cette communication affecte plutôt les récepteurs qui partagent les références du locuteur.

La communication de Macron valorise l’acte de dire ; elle vise le contact avec le(s) destinataires et relève de l’oralité emphatique. Elle est une énonciation de face à face. Il est possible d’analyser la prise de parole de Macron à l’aide d’une des contributions les plus riches de Paul Ricœur dans sa compréhension du phénomène de communication.  Celui-ci analyse ce qu’il appelle le discours, « l’événement du langage », à partir des quatre traits de la parole : présence des locuteurs ; intention du sujet parlant ; référence au monde ; rapport au destinataire. L’affranchissement du texte à l’égard de l’oralité entraîne un véritable bouleversement : entre le langage et le monde ; entre le langage et les interlocuteurs. L’immense apport de Ricœur est de montrer comment les effets, de ce qui appelle « le paradigme du texte », peuvent s’appliquer à l’action humaine qui est le véritable objet des sciences humaines.

La valorisation du symbolique

           
            Une autre caractéristique pour comprendre la performativité de la parole et de l’action de Macron relève de la charge symbolique qui les accompagne. À l’inverse de l’usure du symbolique qui, ces vingt dernières années, donnait à cette notion une dimension sans grande profondeur, Macron valorise le symbolique. Le mot symbole, selon Ricœur,  « paraît bien convenir pour désigner les instruments culturels de notre appréhension de la réalité : langage, religion, art, science. Il y a symbole, là où le discours et les images imposent un travail d'interprétation de la part de celui qui en est le destinataire. On s’est beaucoup gaussé de la formule de Macron : « Et en même temps ». Ce n’est ni un tic de langage, ni un usage simpliste de la pensée dialectique. Peut-être une pensée empruntée à Ricœur sur l’expérience du temps vécu dans un récit et une incarnation. Tout est dans la conjonction de coordination.

Cette pensée est aussi celle du devoir de culture du politique, c'est elle qui permet de forger du commun dont la force symbolique est aussi de préserver la dignité et les droits culturels de chacun.

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