Les futures Classes Poubelles du président Macron
L’opinion l’ignore. Les parents d’élèves n’en savent rien. Même les professionnels, enseignants de l’Éducation Nationale, ont bien du mal à prendre la mesure du bouleversement qui s’annonce dans le collège unique, et dans tous les collèges de la République. Les mesures réunies sous le titre du « Choc des Savoirs » vont instaurer une authentique « ségrégation scolaire ».
C’est le principal syndicat des chefs d’établissement (SPDEN-UNSA, appelant aujourd’hui localement à la grève) qui l’affirme dans une « alerte à la ministre » remise en mains propres le 22 janvier dernier. « Les groupes de niveau qui vont être créés en collège ne correspondent pas à [nos] valeurs. Ils sont ainsi vécus par les chefs d’établissement comme une ségrégation scolaire annoncée qui ne pourra répondre aux enjeux, partagés avec vous, de la réussite de tous. Les expertises sur le sujet depuis plusieurs décennies vont également dans ce sens. » [1]
Un certain nombre d’enseignants sont en grève aujourd’hui. Comme d’habitude, dira-t-on. Les revendications ? Comme d’habitude. D’après un communiqué unitaire des principaux syndicats enseignants : « salaires, postes, conditions de travail, réformes... » Tout y passe car rien ne va plus. Le collège unique va mal. Comme le déplore ce communiqué en un beau paradoxe : « la crise des recrutements dans l’éducation se pérennise ».[2] Première mesure réclamée par les syndicats enseignants depuis vingt ans : la baisse des effectifs par classe. Mais pour cela, il faut investir, car il faut davantage de profs...
L’Électro-Choc des savoirs
Ces constats, terribles, sont connus, mais ils ne doivent pas laisser ignorer la gravité des mesures qui seront publiées par décret ministériel le 6 février prochain. L’heure est grave, car si cette nouvelle réforme est adoptée, à la rentrée prochaine, plus rien ne sera comme avant, et deux générations de collégiennes et de collégiens se verront privées de savoir, d’avenir, de démocratie. Les « Groupes de Niveaux », tels que leur principe est énoncé et conçu par le commandant Macron et ses lieutenants, s’appliqueront à toutes les heures de français et de mathématiques d’une même classe d’âge. Première offensive de cette « Mobilisation Générale » : dès la rentrée 2024, la réforme doit concerner tous les élèves de sixième et de cinquième de notre Nation.
La conclusion est simple : il y aura les bons d’un côté, les nuls de l’autre. Des classes d’élite, et des classes poubelles. La réforme prévoit que les groupes de niveaux seront « flexibles », c’est-à-dire qu’ils « pourront évoluer en cours d’année pour tenir compte de la progression des élèves ».[3] Mais cette dernière phrase est absurde : elle est contraire au « bon sens », si cher à M. Macron, contraire à la logique, à la science. C’est tout simplement une aberration anthropologique !
Comment fonctionne une classe ? De la même manière que tout groupe humain, que toute société, que toute civilisation. Mettez les élèves, non pas seulement les plus faibles, mais surtout les plus découragés, les plus frustrés, les moins avides d’apprendre, ensemble. Coupez-les du monde. Séparez-les du reste de leurs camarades. Parquez-les, identifiez-les, arrêtez-les. Et c’est ainsi qu’ils vont avoir envie d’apprendre ! Ils seront motivés ! Désirants ! Quelle mauvaise blague !
Voilà le projet de M. Macron pour nos collèges de France.
Quels modèles auront-ils, ces élèves soigneusement discriminés ? Qui dialoguera, échangera, proposera avec eux ? Avec qui entreront-ils en interaction ? Quelle diversité lexicale, culturelle, humoristique, savante, spirituelle, morale, leur permettra de s'épanouir ? En français, tout particulièrement, comment ces élèves ségrégués pourront-ils s'approprier la richesse lexicale et structurelle de leur langue, que ce soit par mimétisme, par opposition, par besoin ou par goût ? Comment se frotteront-ils à l'autre ? Aux autres ? Au grand Autre du savoir, comme disait Lacan ? Enfin, comment ces élèves apprendront-ils à penser par eux-mêmes, avec les autres, avec le monde, avec la langue, quand ils seront durant toutes leurs heures de français coupés du reste du monde ? Comment mieux les démotiver, une fois pour toutes ?
M. Macron n’est-il pas allé à l’école ? Est-ce qu’il rêve d’un enseignement médiéval, d’un enseignement magistral et monastique, dans lequel un pédagogue tout puissant déverse le savoir dans le cerveau d’élèves passifs, soumis ou terrorisés ? C’est ça, sa vision du progrès ? C’est ça, le « réarmement » de l’école ? Les élèves des Classes Poubelles du commandant Macron apprendront donc le fusil sur la tempe ?
Ou alors, ils n’apprendront rien. Ils n’auront plus la moindre chance de progresser. Le ministère se sera ainsi, par la réforme du « Choc des Savoirs », assuré de leur échec. Définitif. Fatal électrochoc.
François Valleix - 1er février 2024
[1] https://www.snpden.net/notre-alerte-a-madame-la-ministre_hebdo3_25janvier2024/
[2] https://www.snes.edu/article/communiques/salaires-postes-conditions-de-travail-reformes-education-en-danger-greve-unitaire-le-1er-fevrier-2/
[3] https://www.education.gouv.fr/choc-des-savoirs-une-mobilisation-generale-pour-elever-le-niveau-de-notre-ecole-380226