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Billet de blog 24 février 2022

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Yannick Jadot über alles

Dénoncer les « fake news » tout en occultant celles des grandes démocraties occidentales et en mentant comme un arracheur de dents par calcul électoral, voilà le grand écart que réalise actuellement monsieur Yannick Jadot, candidat EELV à la présidentielle 2022. Alors, si d’ordinaire il venait à échouer dans sa conquête de l’Élysée, il pourra toujours envisager une reconversion comme gymnaste.

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Le 22 février dernier, dans l’émission « C à vous » sur la chaîne publique France 5, Yannick Jadot, réagissant aux bruits de bottes à la frontière Ukrainienne, cible entre autre et une nouvelle fois Jean-Luc Mélenchon « Et puis il y a des candidats actuels, comme Mélenchon, prêts à sacrifier l’Ukraine dans un délire anti-américains », réitérant des propos prononcés quelques jours auparavant. Il ajoute « Poutine a empoisonné Navalny, il est intervenu en Biélorussie, dans les élections européennes, dans les élections françaises… Ne nous y trompons pas : ce qui se joue en Ukraine nous concerne, ce qui se joue, c'est la démocratie et la paix en Europe ».
Le 15 avril 2021, dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde et intitulée « Les régimes autoritaires ne comprennent que le rapport de force »i, il dénonçait déjà le péril Poutinien et partait en croisade contre les « fake news » : « Ils [Les Russes et les Chinois] s’efforcent aussi de fragiliser nos démocraties en y diffusant de fausses nouvelles, en y soutenant des mouvements extrémistes, en rachetant nos entreprises-clés ou en ayant recours à des cyberattaques. »

Il y a fort à parier que la diplomatie façon « viens t’battre si t’es un homme » à 3000 km de Moscou de Yannick Jadot peine à impressionner un Vladimir Poutine qui doit ignorer jusqu’à l’existence du candidat des Verts et a déjà ridiculisé notre Président de la République. Mais l’essentiel est évidemment ailleurs : il s’agit de seriner la petite musique que Jean-Luc Mélenchon soutiendrait Poutine parce qu’il est nostalgique de la grande Russie et appliquerait ses méthodes en cas d’élection. On lui a déjà fait le coup avec le Vénézuéla (dictature rouge où manque le papier toilette) et sur son caractère tempétueux, suggérant qu’à peine installé à l’Élysée, il appuierait frénétiquement sur le bouton de la dissuasion nucléaire. La France a peur.

Au fond, qu’importe ce que le pauvre Mélenchon peut répéter depuis des annéesii… Son refus d’une vision simpliste des évènements géopolitiques, celui de se plier à certaines injonctions du monde médiatiqueiii et surtout la difficulté de critiquer la politique étrangère des États-Unis d’Amérique sans risquer l’excommunication représenteront toujours un angle d’attaque pour la plupart de ses opposants.
Le leader Insoumis n’est pas le premier à subir ce genre de calomnies et d’intimidation médiatique : on se souvient que l’hebdomadaire L’Événement du jeudi avait accusé Noam Chomsky, Régis Debray, Pierre Bourdieu, Serge Halimi et même l'abbé Pierre de complicité envers un criminel de guerre (le Serbe Slobodan Milosevic) parce qu’ils ne s’étaient pas joints à la brigade d’acclamation de l’intervention de l’O.T.A.N. en ex-Yougoslavie. « Complicité avec Poutine », c’est l’accusation imbécile portée récemment par le premier secrétaire d’un Parti Socialiste en perdition, monsieur Olivier Faure, à l’encontre de Jean-Luc Mélenchoniv.
Distiller le poison du doute prévaut ainsi sur la réalité des faits. Une méthode qui n’honore pas davantage monsieur Jadot que madame Hidalgov. Appelons ça pour ce que c’est : une « Fake news ».

Les ingérences russes sur les élections en Occident sont une réalité, Yannick Jadot a raison de le souligner, mais retournons-lui un de ses arguments : « La démocratie, on doit la défendre dans l’Union européenne, à Kiev, à Moscou, à Pékin ». Si le candidat des Verts le permet, on étendra la zone de chalandise de la démocratie partout, à l’Asie, aux Proche et Moyen-Orient, à l’Afrique et à tout le continent Américain puisque les U.S.A. y ont soutenu plusieurs coups d’État ces dernières années et reconnu des gouvernements putschistesvi sans générer de cris d’orfraie dans les émissions de divertissements de France Télévision. Le peuple panaméen paie encore, dans l’indifférence générale, les conséquences de l’invasion des États-Unis d’Amérique il y a plus de trente ans. L’ingérence du département d’État Nord-Américain dans le renversement de monsieur Evo Moralès en Bolivie et le saccage de l’économie du paysvii n’a pas été relevé par grand monde et, à part Jean-Luc Mélenchon sur sa chaîne youtube, il s’est trouvé peu de responsables politiques pour dénoncer la couverture médiatique scandaleuse de l’évènement.
En 2016, on somme ce dernier de condamner « les crimes de guerre commis par la Russie » lors de bombardements à Alep par les MIG de M. Poutineviii, mais jamais ceux commis par la coalition occidentaleix. On ne le demandera pas davantage à messieurs Hamon, Fillon ou Macron.
Les drones de messieurs Obamax et Trump auraient, en Irak, en Afghanistan et en Syrie, quelque 1600 innocents (dont des enfants) à leur tableau de chasse sans que personne réclame la moindre sanction. Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite tue des civils au Yemen avec des armes américaines, nous continuons pourtant à entretenir d’excellentes relations commerciales avec eux. Personne n’a déclenché d’embargo, sans doute parce que « la démocratie et la paix en Europe » ne sont pas menacées.
Enfin, sur les « Fake News » qui semblent tant faire horreur à Yannick Jadot quand il n’en est pas la source, permettons-nous un rappel : les modèle du genre, c'est-à-dire les bobards de l’O.T.A.N. lors de l’intervention en ex-Yougoslavie et les armes de destructions massives © de Saddam Hussein en 2003 ne sont pas l’œuvre de Vladimir Poutine, mais de l’administration de George Bush Jr avec le renfort de Tony Blairxi et de Colin Powell featuring sa fausse fiole d’anthrax devant le conseil de sécurité de l’O.N.U. en special guest star.
Risquons une suggestion à M. Jadot : peut-être pourrait-on a minima s’éviter quelques leçons de principes démocratiques légèrement déplacés afin de rester crédibles ?

Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas une nouveauté : dans les années 70, les Occidentaux pleuraient à chaudes larmes de sauriens les victimes du génocide au Cambodge orchestré pas les Khmers Rouges, mais restaient maîtres de leurs émotions face à celui commis par l’armée Indonésienne au Timor-Oriental. Il convient de préciser toutefois que Français et Américains fournissaient les armes au dictateur Indonésien Suharto.
L’histoire se répète, les indignations restent à géométrie variablexii, seuls changent les protagonistes.

Le 18 février dernier lors de son meeting à Tours devant 150 personnes, Yannick Jadot enjoignait de décarboner notre production d’énergie et « d’arrêter d’acheter du gaz à Poutine ». On attend désormais de savoir ce qu’il va penser du gaz (de schiste) qu’on va sûrement devoir importer des États-Unis.
On ne sait pas si aujourd’hui quelqu’un exprime réellement « un délire anti-américain », mais Yannick Jadot semble avoir des vapeurs lorsqu’il entend le blaze du peu recommandable Vladimir Poutine. C’est recevable. Les intentions du programme d’E.E.L.V sont dignes et pertinentes, mais, que son candidat soit un candide en matière de géopolitique, un béni-oui-oui atlantiste, un cynique ou même tout ça à la fois, est-il bien raisonnable d’envoyer un type pareil à l’Élysée ?

i Lire Vous avez dit unité ?, Serge Halimi, Le Monde Diplomatique, mai 2021 : « (…) M. Yannick Jadot, a publié une analyse de politique étrangère néoconservatrice, son contenu est passé inaperçu (1). Pourtant, plusieurs passages, qu’on croirait rédigés dans un bureau du Pentagone, situent le dirigeant écologiste à droite de M. Macron (...) ». À noter que le texte de M. Jadot a été renommé ultérieurement « Faire reculer l’influence des régimes autoritaires ne doit pas signifier s’engager dans une nouvelle guerre froide » dans l'édition en ligne par rapport à la version papier.
ii Il déclare soutenir Sergueï Oudaltsov, leader du Front de Gauche Russe, dont les quatre années dans les geôles du leader russe entre 2014 et 2017 ont assez peu émues l’intelligentsia française, au contraire du très controversé Navalny
iii Revoir l’affligeante séquence face à J-M Grossiore sur Public Sénat en 2016i ou la récente interview de Maryse Burgot dans Elysée 2022
iv Ce dernier, toutefois, n’est pas le plus à plaindre des leaders progressistes : on a envoyé Lula Da Silva en prison, Jeremy Corbyn s’est vu frapper du sceau de l’infamie antisémite, Bernie Sanders a essuyé les vents d’une campagne médiatique dégoutante, Rafael Correa est réfugié politique en Belgique.
v https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/02/23/presidentielle-2022-sur-fond-de-crise-ukrainienne-hidalgo-et-jadot-visent-le-danger-melenchon_6114993_823448.html
vi La tentative ratée au Vénézuela en 2002, le Honduras en 2009, la Bolivie en 2019. On rajoutera à la liste le coup d’état en Haïti de février 2004… Pour ne parler que des plus récents.
vii Notamment en ce qui concerne l’extraction du lithium et du chlorure de potassium
viii Entre 2000 et 9000 victimes civils selon les estimations
ix Entre 4000 et 12 000 victimes selon les estimations.
x Prix Nobel de la Paix 2009.
xi La guerre en Irak c’est entre 100 000 et 1 000 000 de morts sur la période 2003/2011 (une paille), une région du Monde durablement déstabilisée, quelques crimes de guerre, Abu Ghraïb, Gantanamo
xii Lire Si Assange s’appelait Navalny, Serge Halimi & Pierre Rimbert, Le Monde Diplomatique, novembre 2021

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