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Billet de blog 26 février 2022

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Un mauvais traitement médiatique

La presse française se décide à accorder une place de choix à Jean-Luc Mélenchon. On espère qu'elle consacrera autant d'énergie à décortiquer la prochaine émission consacrée au chiffrage de son programme qu'elle le fait pour essayer de prouver qu'il est un espion russe.

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Illustration 1
Quand nous chanterons au temps des cerises

Au début du mois, le président de la République Emmanuel Macron se rend à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine et tenter de trouver une issue diplomatique à la crise ukrainienne. Une initiative de bon aloi. Pas d’accueil officiel, pas de tapis rouge, rien. Le quotidien Le Monde titre « Emmanuel Macron pense pouvoir tirer profit de la crise ukrainienne, à deux mois de la présidentielle ».
Le 21 février, la plupart des quotidiens français annoncent que les présidents nord-américains et russes acceptent le principe d’un sommet proposé par le président français, si l’Ukraine n’est pas envahie d’ici-là.
Le 24 février, la Russie pénètre en Ukraine et déclenche une guerre. La décision semble surprendre toutes les chancelleries européennes, beaucoup moins les États-Unis d’Amérique. Les 27 pays membres annoncent des sanctions, mais celles-ci se font attendre.

On ignore si le président de la République française, par ailleurs président de l’Europe dans le cadre de la présidence tournante, voulait réellement instrumentaliser la situation en cas de solution diplomatique, toujours est-il que c’est manqué.

La presse française ne parle pas d’un éventuel défaut des services de renseignement justifiant la surprise des Européens, ni d’éventuelles conséquences de cet échec diplomatique pour le futur candidat, à part le journal Challenges qui se demande sous la plume de Maurice Szafran : Invasion russe en Ukraine: le conflit met-il en danger le candidat Macron ? La réponse est que les Français ne lui en voudront « sans doute pas » et que les candidats « pro-Russes » seront dans la tempérance… Ouf. Le Point, lui, interroge : « Quand l’Ukraine percute la présidentielle : avantage Macron ? ». Seul Courrier International joue les rabats-joie : « Vu d’Espagne. Nouvelle claque diplomatique pour Macron le “facilitateur” ».

Parmi les candidats « pro-Russes », Jean-Luc Mélenchon, uniquement député des Bouches-du-Rhône, a droit, lui, à une exposition médiatique de premier choix : France Inter : « De "la menace n'existe pas" à "la Russie agresse l'Ukraine" : sur la Russie, Mélenchon varie » (2548 mots, 15894 signes par « la rédaction numérique de France Inter » au grand complet), Le Monde : « Guerre en Ukraine : Jean-Luc Mélenchon contraint de changer de position face à la Russie » (913 mots, 5520 signes), Libération : « De l’Otan à Poutine, Mélenchon change de méchant sur l’Ukraine », Le Parisien : « Guerre en Ukraine : Zemmour, Mélenchon, Le Pen... le changement de pied des candidats pro-Russes », Le Huffington Post : « Guerre en Ukraine: Mélenchon multiplie les efforts pour relativiser son tropisme russe », France Infos : « Zemmour, Le Pen, Mélenchon : les ambiguïtés des candidats à la présidentielle face à la Russie de Vladimir Poutine », La voix du Nord : « Invasion russe en Ukraine: Le Pen, Zemmour et Mélenchon sur la défensive », le Huffington Post « Guerre en Ukraine: Mélenchon multiplie les efforts pour relativiser son tropisme russe », même Médiapart se joint à la farandole « Ukraine : Mélenchon aux prises avec son passé » et pour finir un communiqué de l’ambassade des U.S.A. en France relayé par M. Luc Bouriane dans l’Est Républicain : « Présidentielle 2022 : les complaisances coupables de Le Pen, Zemmour et Mélenchon avec Poutine »i.

Les Français ont de la chance, ils sont bien informés par une presse pluraliste.

Il est parfaitement légitime de connaître les convictions de celui ou celle que l'on va élire, mais pourquoi ne questionne-t-on jamais l'atlantisme d'un candidat (par exemple, personne, à part le Monde Diplomatique, n’avait remarqué un article très orienté de Yannick Jadot l’an passé alors qu'il était déjà virtuellement candidat) ? En revanche, on se demande si Mélenchon, à 70 ans et au cours de sa 3e campagne, ne serait pas, par hasard, un agent de Poutine. À l’heure où François Bayrou va demander à des élus de son bord de parrainer des candidats d’extrême-droite, on cherche à faire passer un candidat progressiste pour le complice d’un criminel de guerre... Que se passe-t-il en France en 2022 ?

Le candidat de l'Union Populaire a tout de même de la chance. Il n’a pas (encore) été rendu responsable de l’invasion russe, même si le premier secrétaire du Parti Socialiste l’a traité de « complice de Poutine ». Il n’a pas été frappé du sceau de l’infamie « antisémite » comme Jeremy Corbyn en Angleterreii, qualifié également d'« incompétent », de « dangereux radical », d'« illuminé » et d'« espion russe ». Ses idées ne sont pas jugées trop « dangereuses » comme celles de Bernie Sanders, traité de « socialiste » (dans son pays, c’est un gros mot comme chez nous mais pas pour les mêmes raisons). Enfin, il n’a pas été envoyé en taule comme Lula Da Silva ou contraint de s’exiler comme Rafael Correa.

On a fait peu de cas des récentes interviews de Messieurs Hubert Védrine le 22 février sur LCI et de Dominique de Villepin il y a deux semaines sur France Inter, avec des positions similaires à celles de Jean-Luc Mélenchoniii. Des propos intelligents et mesurés venant d’anciens ministres des Affaires étrangères française, notamment celui de Jacques Chirac ayant déjà fait la preuve de son sens des responsabilités. Et d’un certain sens de l’insoumission... En effet, lorsque France 2 diffuse une émission spéciale sur la guerre en Ukraine, au lieu d’inviter en duplex quelqu’un de la trempe de Noam Chomsky (par exemple), madame Léa Salamé trouve plus judicieux de convier un intellectuel du (petit) calibre de Bernard-Henri Lévy... Un choix particulièrement pertinent : qui de mieux que quelqu’un ayant milité pour le viol du territoire d’un État souverain – la Lybie – ayant conduit à l'assassinat de son dirigeant – le dictateur M. Khadafi – pour dénoncer la violation d’un État souverain par un dictateur ? Que « BHL » ait commis un reportage – contesté - sur la guerre en Ossétie du Sud en 2008 en compagnie de M. Raphael Glucksmann, le compagnon de Salamé Léa, est purement fortuit.

L’information est un spectacle. La suite au prochain épisode.

i  Morceaux choisis « L’échec de la voie diplomatique, défendue par Emmanuel Macron dans la crise ukrainienne, ne pénalise pas la future campagne présidentielle du chef de l’État. Au contraire, ce sont les candidats beaucoup plus dociles depuis des années avec Poutine et la Russie qui, aujourd’hui, sont contraints de rétropédaler (…) Quand, par nostalgie d’un gaullisme fantasmé ou par un antiaméricanisme primaire, ces démagogues vantent les charmes d’une ligne indépendante, ils ignorent les équilibres internationaux. Ils mentent sur la faiblesse de l’Europe, le nationalisme russe ou le poids d’une Amérique qui, même déclinante, demeure notre meilleure assurance vie. Ce constat ne doit pas exonérer l’Union européenne d’une rapide prise de conscience. Sans l’Otan et la tutelle américaine, elle serait dans l’incapacité de défendre ses frontières. Et le destin poignant de l’Ukraine menacerait aussi d’anciens pays satellites de l’URSS dont Poutine est si nostalgique : Pologne, Hongrie, Roumanie… François Hollande a raison de rappeler que « la sécurité des Européens doit être assurée par les Européens ». Et l’ancien président de préciser qu’un jour, les États-Unis pourraient être présidés par un dirigeant moins soucieux de ses alliés (...) »

ii  Enfin presque : https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/02/25/presidentielle-2022-le-crif-appellera-a-faire-barrage-a-tous-les-candidats-d-extreme-gauche-et-d-extreme-droite_6115153_823448.html

iii  Dominique de Villepin non plus ne croyait pas trop à une intervention russe et s’est donc trompé. Lui aussi évoquait le problème que posait une adhésion de l’OTAN de l’Ukraine en tenant compte des intérêts de cette dernière et de la Russie, notamment en ce qui concerne sa sécurité. Enfin, il évoquait lui aussi les problèmes que pouvait poser la présence des Etats-Unis d’Amérique dans cette affaire. Il n’est fort heureusement pas passé pour un suppôt de Vladimir Poutine.

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