Le grave incident qui a eu lieu à l'Assemblée nationale après les insultes du ministre Dupont-Moretti relayant celles du député Habib Meyer contre la NUPES, donne l'occasion de se demander comment il faut parler de l'État israélien.
En effet, à moins de ne pas s'exprimer sur ce qui se passe dans les territoires palestiniens illégalement occupés, à moins de ne pas approuver la politique des gouvernements successifs depuis la mort d'Yitzhak Rabin, on risque d'être soupçonné d'antisémitisme.
On se trouve ainsi, par exemple, devant cette situation extravagante où critiquer le "sionisme" revient à être coupable d'antisémitisme. Même si des Juifs condamnent, pour des raisons religieuses relevant de l'eschatologie, la création de l'État israélien et l'idéologie sioniste; même si c'est au nom d'un courant, en général d'extrême-droite, du sionisme que les créations de colonies sont justifiées, contre le droit international. Et même si des Israéliens et des amis d'Israël déplorent "l’adoption, en juillet 2018 par le Parlement israélien, d’une loi dite « fondamentale » (le plus haut degré de valeur juridique en Israël), qui remplace la définition d’Israëlcomme « État juif et démocratique »par celle d’« Israël, État-nation du peuple juif »et qui stipule, dans son article premier que « le droit d’exercer l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël est exclusif au peuple juif » ( cf. l'article de Sarah Benichou et Mathieu Dejean dans Mediapart du 2/08), il est interdit de dire qu'un régime d'apartheid est mis en place dans ce pays. Il est sans doute proscrit de faire remarquer qu'affirmer que « le droit d’exercer l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël est exclusif au peuple juif », charrie une désagréable conception du peuple, qu'on n'ose pas qualifier d'éthno-religieuse, et qui fait penser à des conceptions remises en circulation par Poutine vis-à-vis de l'Ukraine. Bref, il y a des mots qui ne peuvent être utilisés dès qu'il s'agit d'Israël, qui pourtant entretient lui-même la confusion entre Israéliens et Juifs.
Il faut affirmer que l'État-nation israélienne est un État-nation comme les autres. Son existence relève du monde profane et ses actions sont justiciables de jugements exactement comme le sont celles des autres États-nations, au nom du droit international Au nom de la jurisprudence internationale et d'un travail d'usage analogique d'une catégorie, il est permis de qualifier d'apartheid sa politique à l'égard des Palestiniens des territoires occupés; quant aux Palestiniens (les "Arabes", dit-on en Israël) Israéliens, écoutons le chercheur Samy Cohen, auteur de Israël. Une démocratie fragile (Fayard) : « En ce qui concerne l’État d’Israël dans les frontières de 1967, qui comporte 20 % de population arabe, il n’y a pas la moindre trace d’apartheid », même s’il « existe des inégalités – si les Arabes d’Israël bénéficient de tous les droits économiques, civiques et politiques à titre d’individus, ils n’ont pas de droits politiques collectifs, comme le stipule la loi fondamentale de l’État-nation du peuple juif, de juillet 2018 ». Enfin, a-t-on le droit de qualifier d'"épuration ethnique" les opérations visant à expulser les Palestiniens de Jérusalem-est, par la force, l'intimidation, le recours au droit (ottoman!), la subornation et l'achat pur et simple de maisons ?
Certes apartheid, discrimination sur des bases ethnocentrismes-religieuses (dira-t-on racistes, raciales?), épuration ethnique sont des mots qui ne sont pas agréables à entendre. Du moins sont-ils soumis à la discussion, rugueuse, et sans échappatoire (il y va de la vie insupportable de milliers de personnes depuis des années, des années), même s'ils servent également d'armes pour discréditer des politiques et des institutions. Mais, cette ambivalence des notions, fait partie de la politique, surtout quand les enjeux sont vitaux, existentiels - en l'occurrence pour les Palestiniens et les Israéliens ! Il n'y a aucune raison de soustraire Israël à ce traitement. Il faut résister au chantage à l'antisémitisme et à la sacralisation de l'État israélien.