La constitution du Nouveau Front Populaire après le succès écrasant du RN a rappelé un moment héroïque du mouvement ouvrier et républicain progressiste en France face au fascisme. C'est que de plus en plus de commentateurs font des rapprochements avec la conjoncture des années qui ont précédé la défaite militaire et l'effondrement de la République pour laisser place à Pétain et sa clique d'antisémites frénétiques, de contre révolutionnaires, de favorables à " Hitler, plutôt que le Front populaire". Il y avait urgence à réunir les partis de gauche après les relents fratricides de la campagne pour les européennes et à conclure une alliance programmatique sérieuse. Les regards étaient et sont toujours tournés vers les chiffres du premier tour et les probabilités de freiner l'ascension du parti fasciste. La campagne politique électorale avive comme il est ordinaire les clivages politiques et idéologiques. Blocs contre blocs. Et déjà des chercheurs essayent de répondre à nos questions effarées et angoissées: comment cela a-t-il été possible? Le livre de Félicien Faury, Des électeurs ordinaires: Enquête sur la normalisation de l'extrême droite, (Le Seuil), paru le 3 mai 2024, avant le choc donc, contribue à nous donner une représentation juste, non fantasmée de la réalité. Il sera toujours temps pour les politiques et les militants sur le terrain des luttes à venir d'en tirer des enseignements. Il me semble cependant qu'on peut déjà être attentif à un problème que l'auteur souligne (encore récemment sur l'excellente site de David Dufresne "Au poste"): beaucoup d'électeurs du RN vivent une situation de souffrance sociale de non reconnaissance de la part de ce qu'ils identifient comme étant les "élites" (politiques, intellectuelles, culturelles). Il y aurait beaucoup à dire pour expliquer que cette souffrance trouve dans le vote extrême-droite un remède. En tout cas, Félicien Faury met en garde contre le caractère contreproductif des critiques et de leurs formes des électeurs RN. En disant cela il soulève le problème éminemment politique de savoir comment leur parler. Cette question sera d'actualité quels que soient les résultats du 7 Juillet, si la gauche a toujours le projet d'unir le peuple contre le capitalisme néolibéral et sa version fascisante. Ne pas se résigner au fait que les catégories populaires (visées par l'enquête de F. Faury) sont à l'extrême-droite, de l'extrême-droite. Au-delà des scores électoraux et des sondages, il y va de notre vivre-ensemble démocratique. Questions très difficiles, et je salue François Ruffin pour avoir fortement insisté là-dessus: ne pas abandonner les électeurs et électrices actuels au RN.
En 1936, en pleine campagne électorale, le 17 avril à la radio, Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français, termine son allocution par cet appel dont voici un passage:
" Nous te tendons la main, catholique, ouvrier, employé, artisan, paysan, nous qui sommes des laïques, parce que tu es notre frère. [...] Nous te tendons la main, volontaire national, ancien combattant devenu Croix-de-Feu, parce que tu es un fils de notre peuple. [...] Nous sommes le grand Parti communiste, aux militants dévoués et pauvres, dont les noms n'ont jamais été mêlés à aucun scandale et que la corruption ne peut atteindre. Nous sommes les partisans du plus pur et du plus noble idéal que puissent se proposer les hommes. "
Nous n'usons plus de cette rhétorique aujourd'hui. Restent l'esprit, l'inspiration de cet appel. Qui sera capable de les relever dans les conditions actuelles?