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Billet de blog 10 décembre 2022

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Pourquoi la « fin de vie » relève-t-elle d’un débat public ?

Une nouvelle invitation à débattre publiquement nous est adressée par l'Etat. Une convention citoyenne est-elle un bon cadre pour discuter de la « fin de vie » ? De quoi s'agit-il dans la « fin de vie » ? N'est-il pas étrange que je ne sois pas seul juge du désir de mettre fin à ma vie ?

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Le Président de la République a jugé bon de lancer une Convention citoyenne sur la fin de vie. Il faudra un jour s’interroger sur la gouvernementalité macronienne qui multiplie conventions citoyennes de toute sorte, Grenelle de ceci et Ségur de cela, sans parler des innombrables rapports demandés à des personnalités ou à des cabinets privés à propos de services publics et de l’organisation de l’Etat lui-même. En attendant, on s’intéressera à la dernière convention sur ce qu’il est convenu désormais d’appeler “ la fin de vie” (FdV). Un débat public est-il le bon format pour discuter, débattre, parler, de la FdV? 

Pourquoi en débattre alors qu’il existe un Parlement dont c’est la mission de voter des lois après un processus bien connu de large écoute et d’échanges? Enfin, quel est l’objet de cette nouvelle Convention? Faisons l’hypothèse charitable selon laquelle il ne s’agit pas de distraire les Français avec un sujet présenté comme clivant pour détourner notre attention des multiples questions explosives. Les Français aiment bien se disputer sur des questions de société où chacun est invité à faire valoir ses valeurs. 

La convention proposée pourrait avoir trois ou quatre objectifs: viser un large consensus sur la FdV, donner le spectacle du pluralisme des opinions et donner de l’audibilité à des positions religieuses que notre laïcité condamne à une certaine discrétion, procurer au législateur quand il votera une nouvelle loi après la loi Leonetti-Clayes, l’assurance qu’il exprime bien la volonté des citoyens. Peut-être, plus simplement, le Président a-t-il compris que sur un sujet aussi sensible, le plus important est d’en parler, de laisser dire tout et n’importe quoi, afin que s’extériorise le complexe de sentiments et de pensées que la FdV de chacun suscite en chacun -la mise en mots de l’indicible et du non communicable faisant génialement office de “faire avancer le schmilblick”.

En effet, il ne s’agit peut-être que de cela, et certains penseront que c’est beaucoup, Et dans ce cas, on peut passer outre les questions avancées en commençant.

La seule qui vaille la peine de poser reste celle-ci: mais sur quoi exactement y a-t-il lieu de débattre quand on parle de FdV? Le seul enjeu est de rendre possible l’aide active à mourir et/ou l’euthanasie. Et en les rendant possibles, il s’agit de rendre compatibles les gestes réalisant cette aide ou l’euthanasie avec la déontologie médicale et à mettre les personnels à l’abri de toute poursuite pénale. Si c’est bien de cela dont il s’agit, on voit bien qu’un débat national qui mobilise des conventions citoyennes n’est pas pertinent. D’abord parce que, comme le soulignent fortement des associations comme l’ADMD, recourir à une aide à mourir relève du jugement et de la décision des individus. Face à leur volonté, il n’y a aucun argument qu’il soit philosophique, religieux ou juridique qui ait une quelconque valeur. On peut certes fonder sa volonté de mourir en étant aidé sur des considérations éthiques, sur une conception de la façon d’habiter le monde à partir de sa vie. De même on peut justifier le refus de l’aide à mourir pour soi au nom de considérations religieuses. Mais bien de nos contemporains ont du mal à accepter que chaque individu est, concernant ce qu’il veut faire avec la qualité de vie dont il dispose du fait de la maladie, de l’âge, de l’usure de l’existence, le seul habilité à juger et décider.

Leur difficulté à accorder à chacun la capacité de juger de l’usage qu’il veut faire de sa vie compte tenu de ce que sa vie singulière lui réserve de possibilités, tient à la focalisation de la FdV sur la question de la souffrance. Certes on commence à élargir la réflexion sur la FdV en prenant en compte les pathologies multiples qui n’entraînent pas que des souffrances mais qui rétrécissent les puissances de la  vie, jusqu’à rendre inimaginable par le malade la possibilité, mise en évidence par le philosophe Georges Canguilhem, de créer des normes, d’inventer des formes de vie dans la maladie. Il conviendrait, pour prendre en compte le jugement et la décision de chacun, de mettre la question du rétrécissement de la vie sur le même plan que celle de la souffrance intolérable et sans remède. Bien entendu, il est ici question de la dignité des personnes, dont je constate avec effarement, que certains refusent que “mourir dans la dignité” ait un sens.

On peut lire dans l’avis du CCNE qu’il faut écarter le principe de la dignité, parce qu’il ne fait pas consensus ! Si c’est pour cette faible raison, je vois mal au nom de quoi la volonté du malade, par ailleurs toujours proclamée,  doit être respectée. A moins que, justement, certains pensent que le malade souffrant et le malade épuisé et usé, n’a pas à être tenu pour une subjectivité jugeante et voulante. D’autres s’insurgent contre le fait de réclamer un droit à être aidé pour mourir, parce qu’il s’agirait d’“ouvrir un droit à la mort” (Corine Pelluchon, Libération, 6, XII, 2022). Le formulation un peu grandiloquente ne parvient pas à évacuer ce fait : il ne s’agit pas de droit à la mort, mais de pouvoir disposer de moyens de mettre fin à sa vie efficacement et proprement. Si le mot droit est utilisé c’est parce que la loi, donc l’Etat, ont arraisonné nos vies, non contents de contrôler nos existences.

Il serait utile de revenir à ce que Michel Foucault avait appelé le biopouvoir, mais il suffit peut-être de se borner à signaler l’emprise du complexe médical sur les malades pour comprendre que la personne qui demande à finir sa vie en soumettant le processus de la fin à sa volonté, parlera de son droit, pour être en position de résister aux obligations professionnelles et éthiques du personnel médical qui manifeste réticences, voire hostilité, et aux ressources de la technologie (médicaments et appareillages) qui nourrissent la déontologie des soins palliatifs. Il s’agit non d’un droit, mais de la souveraineté des individus à décider de l’usage de leur vie, non d’un droit à la mort, mais du désir de continuer ou non à vivre.

Cessons de parler de droit (même si je suis adhérent à l’ADMD), parce que la situation de vie d’où s’énonce le désir de partir qualifie la vie, en fait partie, et pour cette raison relève du désir de chacun : on est devant la rencontre de l’ontologie de la vie et de l’éthique qui s’en déduit, et non du côté du droit. A écouter certains discours, le ou la malade qui souffre sans espoir de guérison, celui ou celle dont des polypathologies font de sa vie et de son existence une non existence, celui ou celle qui est parvenu à un état d’épuisement qui vide sa vie quotidienne de tout sens, celui ou celle enfin qui ne veut pas vivre dans un état de dépendance, le désir de ces personnes, leur appréciation de ce qu’il vaut la peine d’accepter, ne peuvent pas être pris au sérieux. Il faut voir là un effet des discours sur la vulnérabilité qui ont essayé de nous convaincre que la maladie fait passer les individus du statut de sujet autonome à celui de personne à assister.

Je sais que les approches par la vulnérabilité, la faiblesse, les états de dépendance avaient pour but de protéger les personnes supposées incapables, d’empêcher qu’elles soient traitées comme des unités surnuméraires, des déchets jetables. Mais cette opération a un coût, elle retire à certains malades, certaines vieilles personnes la capacité à décider comment mener leur vie, y compris d’y mettre fin. Qui a la légitimité de ne pas écouter la personne qui dit qu’elle ne veut pas être un poids inutile pour sa famille et pour la société ? Pourquoi sa parole ne devrait-elle pas être reçue, crue, quand bien même elle est très perturbante ? 

Parce que ce qu’on appelle la fin de vie dans les conditions de souffrances, de maladies incurables, d’épuisement qui manifestent chez certains le désir d’en finir, est l’affaire des individus dans leur singularité, un débat national ne se justifie pas : quel consensus, et sur quoi, peut-il en sortir ? Le seul objet important relevant d’un débat dans des conventions citoyennes et au Parlement, c’est celui qui concerne les personnels soignants, ce qu’ils ont le droit de faire, dans quelles conditions, et grâce à quels dispositifs (qui existent déjà, mais qu’il faut sans doute améliorer) ils peuvent répondre à des demandes d’individus singuliers qui ont décidé de ne plus vivre. Pour soulager les réticences d’une partie de ces personnels, pourquoi ne pas favoriser, par des subventions publiques, la création d’associations privées d’aide à la mort auxquelles seraient reconnus l’aptitude et le droit de réaliser sous contrôle médical les actes en question ? Et cette initiative, dans la mesure où elle reposerait sur l’argent public et la validation par l’Etat, cette initiative, elle, pourrait faire l’objet d’un débat public.

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