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Billet de blog 13 mars 2022

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"Coco et Cocorico" de Fabien Roiussel - suite

Dans un précédent post j'ai donné une interprétation charitable à l'alliance "Coco et Cocorico" avancée par le candidat communiste. J'en viens aujourd'hui au choix des mots pour dire la nécessité de réconcilier le peuple de gauche, celui de l'émancipation et de la révolution et le peuple séduit depuis des années par le FN (RN) et Zemmour.

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Dans une précédent post j'ai donné une interprétation charitable de l'alliance "Coco et Cocorico" avancée par le candidat communiste. Elle reprend la "main tendue" de Maurice Thorez en avril 1936 aux catholiques et aux Croix de feu, main tendue fondée sur la solidarité de classe des ouvriers, des artisans, des employés: " Nous te tendons la main, catholique, ouvrier, employé, artisan, paysan, nous qui sommes des laïques, parce que tu es notre frère. [...]", et l'engagement dans la guerre: " Nous te tendons la main, volontaire national, ancien combattant devenu Croix-de-Feu, parce que tu es un fils de notre peuple." La lecture charitable proposée se fondait sur le fait que l'alliance répondait, politiquement, à l'incompréhensible bascule à l'extrême-droite de nombreux ouvriers, employés, chômeurs, précaires, etc.: la question nationale, aujourd'hui en France doit être reprise et assumée par la gauche, en mettant en avant le peuple comme marqueur de l'unité contre le nationalisme et le racisme, contre les identitaires. 

J'ai pointé également les risques de bascule du discours et de la pratique du PCF, de l'union populaire vers un nationalisme rétrograde et des positions sur le nucléaire, la laïcité qui ne tiennent pas compte de la réalité de notre peuple et qui font l'impasse sur la crise énergétique, climatique et environnementale.

J'en viens aujourd'hui au choix des mots pour dire la nécessité de réconcilier le peuple de gauche, de l'émancipation et de la révolution et le peuple séduit depuis des années par le FN (RN) et  maintenant par Zemmour. 

Coco et Cocorico, donc.

On est d'abord frappé par l'aspect inoffensif, presque ludique et enfantin des deux mots. On le sait, "Coco" a été une dénomination péjorative venant des anti-communistes, assimilant communistes et individus mauvais ("un sacré coco"). Puis il a été repris par les communistes eux-mêmes investi de la valeur affectueuse régnant entre camarades. "Coco" en est venu à perdre toute valeur, son origine étymologique étant neutralisée". Inoffensif donc. Inutile d'insister sur "Cocorico", onomatopée du cri du coq, tardivement il semble, il exprime la fierté chauvine. Mais, là aussi, son usage humoristique en est venu à neutraliser sa charge ridiculement cocardière. Si ces remarques sont justes, il est clair que le candidat communiste a choisi des vocables dont le sens et la valeur sont singulièrement neutralisés. Sans prétendre sonder la pensée de Roussel, on peut affirmer que le choix de ces mots servent d'écran à d'autres mots qui engagent politiquement plus fortement: communiste et patriote. Pourquoi s'avancer masqué? Pour ne pas braquer l'écoute des gens? Mais tout le monde sait que Fabien Roussel est communiste et, depuis ses propos sur la gastronomie française, qu'il assume la position de défense patriotique d'un "art de vivre" à-la-française. Si "Coco" ne fait que déclarer ce qui est déjà, "cocorico" est plus ambigu. Car il fait signe vers la récupération des thèmes de la nation par l'extrême-droite et signifie la volonté d'en inverser la valeur grâce à l'association ("alliance", dit-il) avec "Coco". Mais toute la question est de savoir si la thématique nationale est simplement récupérée par transfert, de l'extrême-droite au PCF, ou si cette alliance change le sens du concept de nation. Dérisoirement, la promotion publique, donc politique, du beefsteak et du fromage, dans les circonstances actuelles, avec les débats sur les modes alimentaires, semble indiquer que c'est la même nation qui est invoquée. Auquel cas, se vérifierait l'idée que cette tentative de réconcilier le drapeau rouge et le drapeau tricolore court le risquer de s'échouer dans les impasses et les dangers du nationalisme identitaire. Impasses d'où l'idée communiste (pour parler comme Alain Badiou) ressortirait affublée d'attitudes régressives et réactionnaires.

Tel est le prix à payer quand une politique a les yeux tournés vers les succès des adversaires et cherche à en détourner les méthodes.

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