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Billet de blog 13 avril 2022

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Pour l'abstention le 24 avril

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Pas une voix à Macron, pas une voix à Le Pen.

Alors?

Tout le monde à gauche, électeurs des candidats de gauche surtout, s’accorde à penser que nous nous trouvons dans un moment grave, crucial, lourd de menaces si Le Pen est élue, et assurance de la poursuite aggravée de la même politique si c’est Macron.

À situation grave et cruciale, c'est-à-dire située à la croisée des chemins, devraient répondre des décisions qui seraient, au moins, à la même hauteur. Ce qui n’est pas le cas des ralliements immédiats et sans condition de Roussel, Hidalgo et Jadot à Macron. On a envie de dire « tout ça pour ça », pour en arriver à ce « réflexe républicain », comme seule riposte au piège qui se referme sur la gauche.

Qualifier la situation dans laquelle nous sommes placés, avoir à choisir entre le pire, Le Pen, et dans un autre genre, le pire, Macron (cinq ans en ont fait la démonstration), c’est souligner à quel point il est insupportable de se trouver contraints de s’exprimer entre deux termes qui nous sont imposés (comme l’a dit Annie Ernaux dans Libération  du 12 avril). C’est que nous sommes pris dans un piège qui a été voulu et organisé par le pouvoir politique et les media dominants depuis longtemps: pour Macron le meilleur adversaire au second tour est Le Pen. En outre en facilitant sa présence,  Macron confère un label de respectabilité à ses thèmes qui sont étrangers aux principes constitutionnels de la République et à une forme humaine de faire société. Le piège est aussi d’avaliser cette défaite politique.

Dans cette situation, il n’est pas facile de se déterminer. 2017 a été une sorte de répétition de ce qui se joue aujourd’hui: voter Macron pour empêcher Le Pen, ou s’abstenir et risquer par son abstention de laisser celle-ci accéder à la présidence? Que faire? On peut au moins écarter deux réponses, assez proches l’une de l’autre, consistant à conditionner son vote Macron à des gestes ou des engagements de sa part en direction de l’électorat de gauche: voir la tribune de Dominique Méda et celle de Anne-Laure Delatte et Stefano Palombarini dans Libération des 12 avril et 13 avril. Par rapport à ceux qui, en 2017, appelaient à un vote massif de la gauche en faveur de Macron argumentant que celui-ci devra en tenir compte et « gauchir » son programme, ces deux propositions sont plus précises puisqu’elles énumèrent les points sur lesquels le candidat devrait s’engager. On parle ainsi « de revenir de façon concrète sur trois marqueurs politiques cruciaux dans son programme : il doit déclarer qu’il renonce à sa réforme des retraites, qu’il renonce à sa proposition de conditionner le RSA à des heures d’activité ; et enfin qu’il renonce à conditionner l’augmentation des enseignants à des heures de travail supplémentaire. » (Libé, 13 avril) Pourquoi ne pas inclure la mise en œuvre immédiate d’une politique en faveur de l’hôpital public et des soignant(e)s? Pourquoi ne pas parler de l’augmentation du SMIC? Des engagements pour le climat et l’environnement? Pourquoi considérer que les violences policières  n’appellent pas de « revenir » sur la « doctrine du maintien de l’ordre » dont on connaît les résultats? Au caractère étrangement sélectionné des engagements proposés, s’ajoute la naïveté qui consiste à croire que le Président de la République se sentira lié, obligé s’il acceptait de faire un « geste ». Le Président fera ce qu’il voudra, ce que la Constitution et la mise à sa disposition des forces de répression lui permettront. Dire que s’il n’accomplissait pas ces promesses il aura à faire à des luttes dans la rue, c’est oublier la façon dont, sous son précédent patron, Hollande, et sous son propre gouvernement, les luttes sociales ont été traitées. En réalité ces deux tribunes disent autre chose. On peut en proposer la traduction suivante: nous ne voterons jamais pour un candidat d’extrême-droite, nous ne voulons pas voter pour vous puisque nous condamnons votre politique, et nous ne voulons pas nous abstenir car si la candidate du RN était élue nous nous couvrirons la tête de cendres et nous nous flagellerons. Aidez-nous à voter pour vous en faisant un geste. « De façon concrète » doit-il signifier: en signant devant la Nation tout entière un engagement ?

Quelle pourrait être la réponse qui soit à la hauteur du piège qu’on nous invite à avaliser? La seule est l’abstention. Et la seule objection à laquelle il faut répondre est celle qui fait de l’abstention de chacun un élément qui contribuera, indirectement, éventuellement, à l’élection de Le Pen. Et de souligner la responsabilité de chaque électeur (l’argument de la responsabilité a été utilisé en 2017 comme chantage). On répondra à l’objection qu’il est impossible de savoir quel non-vote, à quel moment du décompte a favorisé la candidate néo-fasciste et fait perdre le candidat néo-libéral ou libéral-autoritaire. Et si l’objection met en cause la responsabilité des tous les abstentionnistes, pris comme collectif, on répondra que notre conception du vote repose sur le principe une personne=une voix.

Alors plutôt que d’épiloguer sur les interprétations de la signification de l’abstention et sur la responsabilité éventuelle des abstentionnistes, disons quels effets politiques produira l’abstention. Son effet sera d’affaiblir dès le départ la légitimité de l’élu(e) et de donner aux luttes à venir leur espace et leur force. Il est vrai que l’abstention cesse  alors d’être envisagée du point de vue de l’individu pour être pensée comme un acte collectif visant le plus grand nombre. Nous ne sommes pas familiers avec cette présentation de l’abstention qu’il faudrait mieux appeler un boycott de l’élection. C’est parce que nous avons oublié que chaque citoyen-électeur est plus fort que le Président ou la Présidente, ou n’importe quel(le) élu(e) parce qu’il possède la puissance d’élire et la puissance de ne pas élire. Cette puissance est la puissance instituante des institutions: par le vote nous ne faisons pas qu’élire un représentant ou donner notre avis sur une question, nous faisons exister à chaque fois le système du gouvernement représentatif et le légitimons. C’est pourquoi certains peuvent appeler à ne jamais voter; c’est pourquoi aussi l’abstention provoque un malaise profond dans la classe politique qui cherche à l’exorciser. Mais la position exprimée ici ne prétend à nulle généralisation: elle se veut plus modestement une réponse, discutable sans doute, aux enjeux de ce second tour de l’élection à la Présidence de la République.

Jean-Claude Bourdin

Philosophe 

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