Les ministres Borne et Darmanin ont trouvé un nouveau moyen pour nier à la France Insoumise le caractère de parti politique acceptable, mettant à profit une lamentable aphasie locale de certains de ses membres. Quiconque ne dit pas que le Hamas est un groupe terroriste sera poursuivi par la justice et voué à l'exécration républicaine. La FI a tort de s'interdire de dire que les massacres du 7 octobre sont des actes terroristes et Darmanin et Borne jouent un jeu dangereux en voulant contraindre à le dire.
Quand la question, " qualifierez-vous le Hamas de groupe terroriste?", est posée à des gens de la FI, à des gens de gauche, à des personnes solidaires de la lutte des Palestiniens, et qu'ils s'efforcent d'éviter de prononcer les mots "terroriste, terrorisme", que se passe-t-il?
Quels mots trouver pour qualifier ce que les commandos du Hamas ont commis? Il est, il devrait être évident pour tout le monde, que terrorisme est un bon qualificatif. D'ailleurs, c'est très exactement ce que le Hamas a voulu faire, terroriser les Israéliens vivant autour de la bande de Gaza, les Israéliens d'Israël et du monde entier, Israéliens et Juifs. Personne ne soutiendra sérieusement que ces attaques mettaient en péril l'existence de l'État, de la nation, du peuple israéliens. Rien à voir avec la guerre du Kippour. Le 7 octobre ont été exécutés des civils désarmés, des bébés, des enfants décapités, des femmes ont été violées, le tout avec la volonté de ne rien cacher, contrairement aux nazis qui ont essayé d'effacer leurs crimes. Pogroms avec le maximum de publicité. Si certains ne voient pas que terroriser a été l'effet recherché, et ce dont nous avons été témoins, on ne peut rien pour eux.
"Mais non, ce n'est pas cela! Vous n'y êtes pas! Oui, d'accord, c'est affreux, horrible, mais dans toute guerre il y a des actes répugnants dont les civil(e)s font les frais. Mais appeler ça "terrorisme" reviendrait à discréditer le Hamas. Or le Hamas est un mouvement palestinien, dont les actes semblent approuvés par une partie de la population, et les Palestiniens luttent contre le sort dramatique, inique, imposé aux populations des territoires occupés, etc.Nous ne voulons pas renier notre solidarité à leur égard." Et bien, ceux qui pensent ainsi se trompent, sur ce point très précis, fondamental: le Hamas est, après les gouvernements israéliens et surtout l'actuel, le deuxième ennemi des Palestiniens des territoires et de Gaza. Lancer des roquettes sur Israël, enlever des soldats même, n'a jamais fait avancer d'un pas la Cause palestinienne. Le Hamas rend des services insignes à Netanyahu, qui est bien content de son côté de savoir que le Hamas se charge de maintenir un couvercle solide sur la cocotte explosive de Gaza, grâce à l'argent du Qatar. L'aide de l'Iran des tueurs de femmes est toléré, en partie parce qu'elle est difficile à empêcher, en partie parce que Netanyahu pense que recevoir des roquettes est le prix à accepter de payer pour entretenir au sud une menace, dans une guerre de basse intensité, toujours contrôlable et prétexte à accroître l'inflation sécuritaire dont les Palestiniens qui résistent chaque jour dans les territoires, font les frais. Alors, oui, dites que le 7 octobre fut une journée de terreur démesurée et que le Hamas n'est pas qu'une organisation religieuse fanatique, politique et militaire qui veut la destruction d'Israël et use de moyens terroristes, mais qu'il est un poison toxique pour la Cause palestinienne. Ajoutez, si vous le voulez, que la politique d'Israël envers les Palestiniens est inhumaine, humiliante, meurtrière, qu'elle ne fait pas avancer la Cause de la sécurité des Israéliens, mais cela n'excuse en rien ce qu'a fait le Hamas. Et la solidarité avec les Gazaouis sous le blocus et les bombes israéliennes n'exclut pas de dénoncer le Hamas.
Passons à la dernière trouvaille de M. Darmanin et Mme Borne. Si on a bien compris, la députée Danielle Obono, de la FI, est l'objet d'une plainte devant la justice parce qu'elle a évité d'utiliser le mot terrorisme et qu'à la place elle s'est cru obligée de donner la traduction de Hamas, en insistant sur le mot "résistance". Ainsi, la réaction de Darmanin dit ceci: un mouvement en temps de conflit, est soit résistant, soit terroriste; à la question,: "considérez-vous le Hamas comme un mouvement terroriste ?", il n'y a qu'une réponse qui met à l'abri de poursuites judiciaires, c'est "oui"; enfin, ne pas dire le mot, revient à en faire l'apologie, surtout si on lui préfère celui de "résistance".
Darmanin est donc partisan d'une République où la parole de certains mots est contrainte et où la notion d'éloge du terrorisme dépend de l'arbitraire puisque ne pas dire ce qu'il faut dire suppose une adhésion à ce qui est tu, éloge par le "silence". Il n'est pas la peine d'ouvrir une discussion sur la compatibilité, ou non, du "terrorisme" et des mouvements de libération, de résistance à l'occupant , du "terrorisme" et du bombardement de Dresde (février 1945) par l'aviation d'États qui contribuèrent à mettre à genoux le régime nazi. Relevons seulement que l'initiative de Darmanin attente évidemment à la liberté d'expression et qu'elle fait peser sur elle une menace, qu'il serait excessif de qualifier de "terroriste", mais qui dont le but est d'exclure de ce qu'on appelle maintenant "l'arc républicain" celles et ceux qui parlent mal. Heureux le RN d'extrême-droite, bénéficiaire un moment de l'argent de Moscou, qui est maintenu dans le-dit arc par Mme Borne, laquelle sait être reconnaissante, elle et la macronie, à Mme le Pen de l'aide qu'elle a apportée à l'élection de Macron.
L'attitude de Darmanin et Borne fait penser à l'épisode biblique, sous les "Juges", où Jephté chef des Galaadites, battit les Éphraïmites et s'empara des gués du Jourdain. " Et quand l'un des fuyards d' Éphraïm disait : « Laissez-moi passer! », les hommes de Galaad demandaient : « Es-tu Éphraïmite ? » Il répondait « Non ». Ils lui disaient alors : « Eh bien, dis « schibboleth » ! » Et il disait « sibboleth », car il ne pouvait pas bien prononcer. Sur quoi les hommes de Galaad le saisissaient et l'égorgeaient près des gués du Jourdain." (Juges, 12 4-6)
La République n'égorge pas ses citoyens, elle ostracise celles et ceux qui n'ont pas les bons éléments de langage, qui ne parlent pas la langue officielle. La triste conséquence est que de cette façon certains peuvent toujours dire "Shibboleth" et n'en penser pas moins. Et c'est le débat public qui s'étiole encore un peu plus.