L'article de Mediapart du 12 mai (https://www.mediapart.fr/journal/france/180522/zemmour-et-petain-une-relaxe-qui-interroge-des-motivations-qui-choquent) montre l'incompréhension et la consternation suivant la relaxe de Zemmour du 12 juin par les juges de la Cour d'appel de Paris.
L'aspect judiciaire importe et les juristes ont raison d'essayer de nous expliquer la nature du jugement exonérant Zemmour, au nom, si on comprend bien, d'une interprétation et d'une application mesurée de la loi Gayssot ("mesurée" ici, sonne étrangement).
Mais avec les Zemmour et leurs nombreux soutiens, il ne faut pas s'enfermer dans un débat juridique. Ce qui n'empêche pas d'espérer le succès de la saisie de la Cour de Cassation par les associations. On doit se demander si le débat historique est pertinent. Pourquoi? Parce que l'entreprise politico-médiatique zemmourienne est sinon inaccessible à la vérité historique, du moins très habile pour ployer l'histoire à leurs fantasmes. Sans doute il est salutaire de montrer comment ils trafiquent l'histoire, il faut rappeler encore et encore ce que fut la réalité du régime de Vichy, le rappeler à la France et au monde. Et merci aux historiennes et historiens qui font ce travail. Mais le piège zemmourien est de mettre sur le tapis une thème, déjà vieux, celui du Pétain bouclier (un peu percé quand même), parallèle à de" Gaulle l'épée". Ce thème est parfait pour l'esprit conspirationniste qui sévit de nos jours, cette idée que ce qu'on nous apprend est faux, destiné à nous tromper, c'est un rideau de fumée, la réalité, le "réel" comme dit Zemmour, est dessous, cachée et tue car elle dérange. Discuter avec ces arguments est peine perdue et contribue à les légitimer comme des opinions acceptables. Mais puisque de réel il s'agit, il faut dire que la nationalité française et le nombre de Juifs, soi-disant sauvés par Pétain, ne sont pas la question: la question est l'antisémitisme structurel du régime de Vichy, et l'antisémitisme d'une grande partie des élites françaises, sa tolérance étrange, pendant l'Occupation et après, jusqu'à l'entreprise zemmourienne de le recycler en islamophobie.
Ainsi, on peut être surpris du fait que, lorsqu'il est question de Pétain et de son régime, en plus de disputer sur le nombre de Juifs français livrés aux nazis, on ne fait pas remarquer ces deux faits qui condamnent absolument ce régime: 1°) la loi abjecte du 3 octobre 1940, "portant statut des Juifs". Signée par Pétain et une brochette de canailles collaborationnistes, elle est un crime civil et politique, que le "commissariat général aux questions juives" (quel intitulé!), du 29 mars 1941 saura appliquer avec le zèle servile des voyous collaborateurs. 2°) la mention du nombre de Juifs français que Pétain aurait sauvés, ne devrait pas oblitérer ce second fait: les Juifs étrangers ont été systématiquement pourchassés et expédiés dans les camps de la mort. Il est vrai que le radical-socialiste Daladier (le même que celui qui a signé les accords de Munich livrant la Tchécoslovaquie à Hitler) avait pris engagé une politique de répression contre les Juifs étrangers. Il n'importe, cela ne diminue en rien l'ignominie pétainiste.
On dira peut-être que je me place sur le terrain de la morale. C'est exact. Pour paraître objective, scientifique, la gauche a tendance à se dispenser de juger la valeur morale de certains actes et certaines personnes de l'histoire encore vive, brûlante (la guerre d'Algérie, par exemple). Ce faisant on laisse le champ libre à la publicité de jugements ignobles, sous couvert de respect de la réalité, ce qui s'appelle du cynisme. Voir Zemmour approuvant, sans choquer les présents, les atrocités de l'armée de Bugeaud au début de la conquête de l'Algérie, au nom des cet adage gros bourgeois: on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. Mais il reste encore, au moins, un recours à l'histoire qui peut se révéler très gênant pour Zemmour, rappeler ce que fut le régime instauré par Pétain, ce qui s'est écrit sous le couvert de sa politique, ce qui s'est fait, avec des Juifs, français ou étrangers. Il faudrait que Zemmour dise que cela a moins de valeur d'être "étranger" que "français" quand on est Juif.
La prochaine fois que des gens estimeront bienséant de discuter avec Zemmour, je les invite à rappeler ces deux faits. Ils permettent de placer le régime de Vichy sur son vrai terrain: non plus la fable du "bouclier" Pétain, mais celui de la "Révolution nationale", autrement dit un projet politique, élaboré avant la défaite de 40, projet nourri, comme les historiens l'ont bien documenté, par les traditions contre-révolutionnaires (celles de 1789, 1848, 1871), catholiques anti-républicains, nationalistes raciales et antisémites (nb: ce n'est pas une lubie de sa part que Zemmour "doute" de l'innocence du capitaine Dreyfus), colonialistes racistes, impérialistes, capitalistes "plutôt Hitler que le Front populaire", etc. La participation du régime de Vichy à la "destruction des Juifs d'Europe" est une composante d'une politique qui voulait, comme Zemmour et les zemmouriens, façonner une France fantasmée autour de noyaux criminels. Sommez-nous assez libres pour regarder les moments de notre histoire où l'abjection fut affirmée, mise en action et somme toute acceptée? Ceux qui résistèrent, les "Justes", les anonymes qui prévinrent les Juifs avant la rafle du Vel'd'Hiv, ceux qui les soutinrent de mille façons en méritent d'autant plus notre admiration et notre reconnaissance.