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Billet de blog 18 octobre 2023

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Terrorisme, un nouveau Shibboleth

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M. Darmanin veut poursuivre en justice la députée de la FI Danielle Obono parce qu'elle a jugé bon de ne pas qualifier le Hamas de mouvement terroriste et a souligné le mot résistance. Elle a eu tort de s'interdire d'appeler un chat un chat et Darmanin comme Mme Borne jouent un jeu dangereux en contraignant la parole: il y a obligation républicaine à dire que le Hamas est terroriste.

Danielle Obono et ceux et celles qui sont pris d'une aphasie locale quand il s'agit de dire ce qu'est le Hamas, de qualifier ses actes, se trompent deux fois. La première parce qu'on ne voit pas quel mot utiliser pour parler des massacres du 7 octobre dans les localités autour de Gaza. Les massacres et la publicité que les commandos en ont fait; rappelons que les nazis d'efforçaient d'effacer leurs crimes et voulaient en enterrer le souvenir dans des "trous d'oubli" (Holes of Oblivion ). Terrorisme qui fait resurgir les pogroms de la fin du XIXè siècle dans l'Est européen, et les ratonnades policières d'octobre 1961. Deuxièmement, parce qu'en donnant l'impression de justifier les massacres, au nom de la légitimité de la lutte de résistance des Palestiniens contre l'occupation, la colonisation, on accepte sans examen de faire du Hamas un élément de  cette résistance. Or l'histoire du Hamas et l'analyse de ses actes, montrent qu'il est un mouvement hostile, contraire, aux intérêts des Palestiniens. Il est un élément du problème qui condamne les Palestiniens à un drame existentiel quotidien depuis soixante quinze ans, aux côtés des gouvernements israéliens qui refusent de reconnaître un peuple, ses droits, de travailler à une issue politique, un ou deux États (ce n''est pas à nous, en Europe, de décider à la place des Palestiniens). Le Hamas se conduit comme allié "objectif" de Netanyahu, gérant d'une main de fer la cocotte minute qu'est Gaza et justifiant la montée aux extrêmes dans les territoires occupés par l'État israélien. Soutenu par l'Iran tueur de femmes, le Hamas ne contribue pas à la solution de l'interminable crise palestino-israélienne, puisque son objectif est la destruction d'Israël et la haine des Juifs (=antisémitisme). Parler de "résistance" à l'occasion  de l'envoi de roquettes qui valent en retour un déchaînement de violence sur Gaza, déjà soumis à un blocus criminel, n'est pas sérieux. Pour ne rien dire de l'assassinat de civils. Terroriste le Hamas? Oui, et pire encore, ennemi de la Cause palestinienne.

Le ministre Darmanin a dit que ne pas prononcer le mot "terrorisme" pour parler du Hamas équivaut à en faire l'apologie et mérite les tribunaux. Le premier ministre Borne quant à elle, a déclaré que la députée de la FI se plaçait en dehors de la République. Nous connaissons déjà les limites de "l'arc républicain" selon les macronistes dans lequel figure le RN de Le Pen. Que dit Darmanin? Il dit clairement que dorénavant en France il existe une parole autorisée, mieux même, obligatoire, "fléchée" en somme; et une parole interdite relevant de la justice pénale. Il va plus loin, étendant l'incrimination pénale non à ce qui est dit, mais à ce qui est tu et qui doit être dit. Le soupçon sur la parole et les opinions vient de faire un grand progrès. Avec la déclaration de Borne, on assiste à l'instauration d'une sorte de laisser parler qui rappelle un épisode du Livre des Juges dans la Bible (12: 4-6) plus sanglant il est vrai. Jephté le Galaadite et ses soldats battent les hommes de la tribu d'Éphraïm et bloquent les gués du Jourdain. Quand un Éphraïmite est surpris en voulant traverser est arrêté, les Galaadites lui demandent s'il est d'Éphraïm. Il répondent "non" et les Galaadites lui disent: "Et bien, dis Shibboleth. Et il disait Sibboleth, car il ne pouvait pas bien prononcer. Sur quoi les hommes de Galaad le saisissaient et l'égorgeaient près des gués du Jourdain".

On n'égorge plus, on ostracise, on met au ban de la République, on voue à l'exécration publique celles et ceux qui ne veulent pas utiliser les mots  attendus comme preuve de leur conformité à une pensée devenue non seulement officielle mais obligatoire. Nouvelle Inquisition? On verra où cela nous mènera. En tout cas ni les Palestinien(ne)s aspirant à l'égalité et à la justice ni les Israélien(ne)s luttant pour une solution pacifique ne gagnent de soutien ni dans les cafouillages lamentables de certains à gauche, ni dans les tentatives inquisitoriales de Darmanin et de la macronerie. 

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