Jouant une fois de plus l'opposition entre soins palliatif et aide à mourir, Bayrou semble disposé à enterrer cette dernière. S'il est vrai qu'il cède aux vœux des courants de pensée conservateurs, religieux ou non, il fait une mauvaise action. On se rappelle le travail remarquable de la convention citoyenne sur la fin de vie, voulue par Emmanuel Macron, ses résultats, et on sait qu'une majorité de personnes approuvent la mise à disposition des volontaires d'une aide à mourir. En enterrant la loi attendue, Bayrou et son gouvernement si peu représentatif du résultat des urnes, montre qu'ils sont au service d'une lutte idéologique contre la liberté de choisir la manière de mettre fin à sa vie et le droit d'être aidé. Autrement dit de se suicider avec une assistance.
On peine à savoir pourquoi il existe une telle opposition contre cette demande, sinon un attachement plus ou moins conscient à la condamnation religieuse du suicide. Qui dit ceci: les hommes n'ont pas le droit de disposer de leur vie, laquelle ne leur appartient pas, car elle appartient à Dieu.
Or personne n'est tenu de partager ce principe, indépendamment de sa croyance en Dieu ou de sa négation.
On peut argumenter que chaque individu construit au cours de sa vie des rapports entre lui et son corps et sa vie, qui font de l'individu un sujet qui répond de son corps et de sa vie. Que veut dire "répondre" de sa vie? Cela veut dire être en état de juger si, compte tenu de handicaps divers dus à la vieillesse et à des maladies, compte tenu de la qualité de la vie qu'affectent diverses pathologies neurologiques, des douleurs chroniques nécessitant l'ingestion déraisonnable d'antalgiques divers, le sujet veut continuer comme ça. Le sujet est le mieux placé pour savoir s'il lui reste un désir de continuer de vivre dans des conditions qui empirent (se réveiller chaque jour en sachant qu'aujourd'hui sera pire qu'hier). Dans la qualité de vie est incluse l'existence avec ses proches, le sens de son utilité sociale personnelle. Et qu'on ne vienne pas dénoncer un utilitarisme qui dénie toute dignité aux personnes; l'utilité sociale ici visée est celle que se reconnaît le sujet, et elle n'est pas économique. Elle consiste dans la quantité de bonheur qu'il est capable d'apporter pour lui et pour les autres. Et qui mieux que le sujet peut en juger?
Bref, parvenu à un certain état, une certaine qualité de MA vie, que je suis seul apte à juger, qu'est-ce qui effraie tant que cela que je veuille mettre fin à cette vie? Que je préfère cette issue aux perspectives offertes par les soins palliatifs avec le terme permis par la loi Claeys/Leonetti, ne regarde que moi. C'est l'affirmation du principe de liberté de pensée, de vouloir, de délibération, de décision de l'individu adulte. Notre culture morale et juridique repose, ou devrait reposer sur ce principe.
Ce dont ont besoin ceux et celles qui sont épuisés de vivre une vie qui à leurs yeux ne valent plus d'être appelée une vie, c'est de leur permettre d'y mettre fin proprement, efficacement.
Pouvoir prévoir le lieu et la date de sa mort, permet d'organiser avec sa famille et ses proches une veillée anthume où l'on se sépare définitivement dans la plus grande légèreté possible.