Les violences policières sont de nouveau au premier plan de l'actualité des luttes. Leur dénonciation est nécessaire, mais tant que le diagnostic ne sera pas complet, s'indigner ne servira à rien. Un remarquable témoignage sur le comportement d'une brigade de la BRAV-M paru dans Le Monde électronique du 24 mars [Quand une équipe des BRAV-M dérape au cours d’une interpellation : « Je peux te dire qu’on en a cassé, des coudes et des gueules Dans un enregistrement sonore que « Le Monde » s’est procuré, plusieurs policiers des brigades de répression de l’action violente motorisées, dont l’action est de plus en plus décriée, menacent et intimident sept jeunes gens interpellés dans la nuit du lundi 20 mars. A cette occasion, un jeune homme a été frappé à deux reprises.] attire l'attention sur le niveau où ont lieu ces violences: la base des exécutants.
Les chercheurs spécialistes de la police et certains journalistes ont depuis longtemps montré que les violences, qui se sont multipliées et aggravées sous Macron I et II, sont de nature structurelle; ce qui veut dire qu'en dernière analyse les raisons de ces violences ne doivent pas être recherchées chez les individus, mais dans une politique qui inscrit l'action répressive de la police dans une"doctrine" du maintien de l'ordre et de la sécurité. Cela signifie qu'il y a des personnes, anonymes, qui, au sein du ministère de l'intérieur, élaborent une doctrine: finalités, moyens, justification, communication, que les Ministres sont chargés avec leurs fonctionnaires de mettre en musique. Cette doctrine est répercutée sous forme de consignes aux différents corps et diverses forces qui seront appelés à agir, ces consignes descendent ensuite jusqu'aux instructions données à la troupe avant l'action, se traduisant par des incitations aux groupes et aux individus à "y aller", à "aller au contact". Les individus exécutants exécutent.
Certains médias, mais aussi des ONG, des associations et récemment le Conseil de l'Europe alertent sur le degré de violences. Régulièrement des actes violents, illégaux, cruels, sont commis. Quand le ministre de l'intérieur ou le Préfet de Police ne peuvent pas les ignorer ou tourner en dérision ceux qui les dénoncent, ils parlent de "dérapages", d'"actes isolés", ils montent en épingle les rares cas qui ont donné lieu à une sanction et, dernière parade en date, ils visent la fatigue des agents. Ou bien, ils ont recours à la bonne vieille tactique de la diversion: regardez les violences et déprédations des manifestations. Enfin, se souvenant mal de leurs cours à l'ENA, ils vont répétant que l'État a le monopole de la "violence légitime", signifiant par là que les violences de la police sont légitimes (ce que l'auteur de la formule, le sociologue Max Weber n'a évidemment pas dit).
Faire le diagnostic du comportement violent des forces de police est une nécessité politique absolue pour chaque citoyen, dont les impôts payent les salaires, le matériel, etc., mais surtout pour la gauche. Si une coalition de gauche est élue et gouverne ce pays, la question de la police sera une question ultra sensible. Rappelons-nous que c'est sous la présidence "normale" de Hollande et sous le ministère de Bernard Cazeneuve que Rémi Fraisse a été tué à Lisle-sur-Tarn et que les manifestations contre le projet de loi démantelant le Droit du travail de la ministre socialiste El Khomri, ont subi la pratique systématique de la nasse et l'humiliation des trajets imposés. Si un jour un ministre de l'intérieur de gauche est au gouvernement, que fera-t-il? Comment s'y prendra-t-il pour changer du tout au tout le comportement d'une police qui fait de la France une exception par rapport à d'autres pays européens et qui est arrivée à susciter colère et haine (ACAB). Les habitants jeunes racisés savent depuis longtemps ce qu'est réellement la police: réellement, c'est-à-dire quotidiennement, avec les mêmes membres des BAC, subissant les mêmes contrôles maintes fois répétés, les tutoiements, les insultes racistes, homophobes, sexistes, les gestes d'humiliation, jusqu'à la mort.
Les récentes violences attirent l'attention sur le comportement des individus. L'enquête du Monde est suffisamment éloquente pour qu'on se dispense de faire la liste des illégalismes commis. Ce qui mérite réflexion c'est que si ces individus se permettent ce qu'ils se permettent, c'est parce qu'ils se sentent hors du droit, hors de la loi, bénéficiant d'une impunité due à leur force brute: uniforme, meute, armes. Ils donnent libre cours à des paroles, des menaces et des gestes que la "civilisation des mœurs" condamne, certes, mais que leur fonction devrait interdire. Leur fonction: en théorie, un policier n'est pas une personne particulière animée par des sentiments qui le placent sur le même plan que les personnes auxquelles il peut avoir affaire. Le policier est une fonction définie par le droit, il représente la loi et il agit selon l'usage de la force permis par la loi. Parler de "vengeances", comme dans l'enregistrement du Monde, interdire à quelqu'un de sourire et le frapper pour cela, ces comportements sont ceux des gamins des cour de récréation ou de bandes de voyou. Les politiques devraient demander comment cela est possible, comment on en est arrivé là.
Ce qui est encore plus troublant c'est que les policiers sont issus de catégorie sociales populaires, qu'ils ont des revendications portant sur leurs salaires et leurs conditions de travail, qu'ils sont à l'évidence concernés par la réforme des retraites de ce gouvernement. Pendant le mai 68 en Italie, le poète et cinéaste italien Pasolini s'en étaient pris aux étudiants, très largement issus de la bourgeoisie, grande et moyenne, qui méprisaient les policiers, en qui ils auraient dû voir des prolétaires exploités.Pasolini avait raison, il appuyait là où la théorie militante est en défaut. Mais le problème qu'il soulevait n'a pas de solution, c'est une véritable antinomie. Car, tout salarié, tout prolétaire exploité qu'est le policier, il est aussi policier, c'est-à-dire appartenant à un corps qui le met en dehors de la société commune, pour le placer dans la société particulière de la police. La militarisation croissante des forces de police fait de la discipline, de leur encadrement et endoctrinement, l'un des nerfs de leur efficacité. À partir de là, l'obéissance aux consignes efface tout autre considération. Et leur hiérarchie sait très bien que pour obtenir cette obéissance elle doit tolérer, quand elle ne les courage pas, des "valeurs" qui renforcent la discipline du et dans le groupe: virilisme, donc homophobie et sexisme, culte de la force qui suppose des plus faibles, sentiment de supériorité sur les Noirs, les Arabes, les journalistes, les intellos, les street medics, sentiment de cohésion interne, omerta, et, pour finir, haine de la Justice et des avocats.
L'insurrection ouvrière de juin 1848 fut écrasée violemment par l'armée dirigée par des généraux républicains qui avaient fait leurs classes en Algérie, par les gardes nationaux bourgeois et un corps récemment créé, les gardes mobiles, recrutés parmi les prolétaires les plus pauvres, parmi ce que Marx et Engels appelaient le Lumpenprolétariat (prolétariat en guenilles). Les témoignages de la violence des gardes mobiles font penser à ceux des BRAV-M et autres corps de répression. Marx et Engels ont essayé de comprendre comment de jeunes ouvriers, souvent au chômage, peu scolarisés, se sont retrouvés à tuer leurs frères de classe. On voit que la question se repose.