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Billet de blog 27 janvier 2017

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Les pièges du "réalisme"

Lors du deuxième tour de la primaire de la gauche l’alternative suivante est mise en avant : réalisme de Valls (dans son vocabulaire c'est « pragmatisme ») contre lyrisme de Hamon (irresponsabilité, rêve de changement). Est-ce une bonne alternative? Un brouillon d'essai pour s'orienter dans notre actualité électorale et commencer à convaincre du bienfondé de l'abstention aux présidentielles.

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Les pièges du « réalisme »

JC Bourdin

Dans les débats du deuxième tour de la primaire de la gauche l’alternative suivante est mise en avant par ls commentateurs: réalisme ou lyrisme, réalisme de Valls (dans son vocabulaire ça s’appelle « pragmatisme ») contre lyrisme de Hamon (entendons irresponsabilité, rêve de changement). « Telerama » a rendu compte de la machine à déconsidérer Hamon et au-delà de son cas, l’extrême-gauche, chez des commentateurs auto autorisés. Didier Porte a ici-même (lundi 23) raconté comment à BFMTV on se gausse de Hamon. «  Le Monde » a anticipé parfaitement ce cadre du deuxième tour en écrivant dans son édition de dimanche 22:

« Les débats de la primaire l’ont confirmé : entre le pragmatisme, le respect d’un minimum de sérieux budgétaire, le souci d’adapter la France aux contraintes de la mondialisation d’un côté et, de l’autre, les illusions lyriques, les promesses de changer la vie ou la propension à prendre ses désirs pour la réalité, la synthèse est difficilement concevable. Faute de réalisme, l’on n’est pas crédible, disent les uns. Le réalisme conduit au renoncement, accusent les autres. »

On aura relevé comment la présentation qui veut respecter une symétrie est totalement déséquilibrée en faveur du « réalisme ». Ce n’est pas très honnête mais c’est le droit du « Monde » de faire la propagande de Valls. S’il vaut la peine de s’attarder un peu sur ce point c’est parce qu’il rencontre sans doute des échos chez les électeurs de la primaire de la gauche; comme il a dû être partagé par les participants à la primaire de droite et comme, à n’en point douter, il sera l’une des préoccupations des candidats de la présidentielle.  Quel est ce point, cette préoccupation? Il s’agit du « réalisme » des programmes, du degré de faisabilité des annonces et des promesses. Réalisme renvoie aussi aux individus candidats: sont-ils capables d’appliquer leurs mesures et de répondre aux attentes des électeurs: la face subjective du réalisme c’est la compétence, au-delà du caractère des individus.

Les thèmes de la compétence et du réalisme sont liés grâce à un troisième terme: l’expérience. Avoir passé tant de mois dans un ministère ou à Matignon vaut pour témoignage d’expérience. Laquelle suppose qu’une compétence a été acquise (« avoir été aux affaires ») qui garantit une vision responsable des choses et des hommes, bref le sens du réalisme. Remarquons que compétence et expérience sont agités sans qu’elles soient, en général, appuyées sur un bilan ou une évaluation des actions entreprises par ceux qui se réclament de cette compétence. En quoi on note une défaillance de notre démocratie: le Parlement n’exerce aucune fonction de contrôle et d’évaluation de l’action des ministres. On rêve de séances retransmises par les médias, en direct, de reddition des comptes devant la nation: où des parlementaires interrogeraient les ministres, leur demanderaient des comptes (financiers), un bilan de ce qui a été accompli, compareraient leurs résultats avec ce qu’ils avaient annoncé, s’interrogeraient avec eux sur les obstacles rencontrés. On imagine ce que cela donnerait pour la gestion par Cazeneuve de la crise de la loi El Khomri (les violences policières), des massacres terroristes, de l’état d’urgence (les libertés publiques malmenées) ou la mort de Rémi Fraisse. Ou ce qu’auraient eu à nous dire Juppé, Fillon de l'intervention en Lybie et ses suites. Ou ce que Valls et Cazeneuve ont à nous dire de la calamiteuse gestion de l’évacuation et de la suppression de la « jungle de Calais ». Etc., etc., etc. Valls a de l’expérience et est compétent nous dit-on sur les écrans et à la radio. 

On voit bien que cette insistance sert à ne pas poser une question qui vaut bien celle de la compétence et du réalisme: en quoi la politique menée par Valls et ses ministres a-t-elle été une politique « de gauche »? La question est certes grossière, voire ringarde. Mais enfin, si les élections ne sont pas l’occasion de dessiner ce qui distingue et oppose les deux camps (au moins) qui ont dominé et structuré la politique officielle en France, à quoi servent-elles? Tant que le PS ne s’est pas auto dissous dans un mouvement sans rivages avec les radicaux, les centristes, les LR pour y constituer un courant interne, à côté des sarkozystes, des juppéistes, des bayrouistes, et autres fillonnistes, on a le droit et le devoir de lui demander ce qui fait qu’il est dit, qu’il se dit « socialiste ». Soyons plus précis: en quoi la gestion de l’intérieur avec Cazeneuve a-t-elle été « socialiste », en quoi a-t-il apporté quelque chose de « socialiste » dans l’utilisation par l’État de la violence légitime? En quoi le comportement de la police pourrait-il être modifié par la présence place Beauvau d’un ministre socialiste ? On sait que les mots qui empêchent qu’on pose ce genre de question est ceux de « République » et de « républicains ». La police a un comportement républicain. Autrement dit avec la droite elle se conduit républicainement comme elle le fait avec la gauche et réciproquement. Une idée « socialiste », ou de gauche, soyons modestes, aurait été de recréer et d’élargir sur le territoire la police de proximité supprimée d’un trait goguenard par Sarkozy. « Socialiste » ou de « gauche » aurait été d’appliquer l’annonce faite par Hollande  d’instituer des récioi « Socialiste » la loi El Khomri? La question est mal posée: la question est de modifier le code du travail pour en adapter les dispositions à la réalité. Les réformes de l’éducation? L’argent donné aux patrons pour soutenir la compétitivité? La gestion des réfugiés? Pour ne pas effrayer nos socialistes on ne leur parlera pas de « solidarité », de « fraternité », d’ « égalité », de droits de l’homme, simplement nous aimerions les entendre nous expliquer en quoi ils ont fait avancer le socialisme, quelle forme socialiste ont-ils donnée au gouvernement des affaires. Y a-t-il selon eux une façon qu’on qualifierait de « gauche », « progressiste », voire « socialiste » de diriger les grands ministères?  En fait ils nous répondraient que là n’est pas le problème, que le problème c’est la sacro sainte réalité économique, les défis de la globalisation, ceux du terrorisme, les engagements européens, car ils savent qu’à ne prendre en compte que ces terrains, seules comptent expérience,  compétence au nom du réalisme. Pas le fait de savoir si on est encore « de gauche » ou « socialiste ». Du reste la plupart s’en moquent un peu; témoin ce proche de Valls qui hésitait  pour qualifier Macron: « centre gauche avec un peu de droite »... Et cette compétence est décrétée par le jugement non pas des électeurs, mais de ceux qui font l’opinion: banquiers, financiers, think tanks, universitaires, journalistes et présentateurs, forums mondiaux. Comme électeur, si je dois me déterminer en fonction du réalisme supposé de tel candidat, peu devrait m’importer son étiquette de parti. Et s’il le brandit encore, s’il fait appel à un « patriotisme » de gauche pour attirer des voix, j’ai le droit de penser qu’il me ment.

Il est temps de refuser l’argument du réalisme et renvoyer ceux qui y ont recours à « gauche » à la simple question: que signifie pour vous le fait de vous dire socialiste?

Nous avons l’esprit mauvais, alors nous avons une réponse à leur proposer. Se dire socialiste, s’avancer socialiste sert d’abord à occuper un segment de l’offre politique. Je n’approuve pas l’importation de notions commerciales en politique mais il faut quelque fois accepter de le faire quand cela dévoile un pan de la réalité qu’on s’ingénie à masquer. Ainsi, vue sous la lumière crue des compétitions électorales, la politique est-elle une entreprise où luttent des groupes pour l’emporter par la fabrication d’une opinion qui se traduit par des suffrages. Ces groupes se présentent comme offrant une opinion à laquelle se rallier, et les médias dominants accordent un label, ou pas, à ces groupes et à leur offre. Socialiste définit donc une case, une fenêtre d’offre d’opinion. Deuxièmement, cela signifie organiser ou réorganiser les réseaux, lobbys, groupes de pression officieux, think tanks amis, syndicats de cogestion, amis francs-maçons, ex condisciples de l’ENA, de Sciences Po, et leur assurer qu’ils continueront à être associés à l’utilisation de l’État (ses ressources matérielles, financières, symboliques et de violence). Troisièmement et, au mieux, socialiste est le nom d’une nuance parmi la foire au opinions, la nuance « sociale ». Peu importe le vague de cette couleur des discours, la « sociale ». Car on sait qu’elle sert avant tout à introduire un correctif au capitalisme, un adoucissement qui permet de faire accepter la victoire en cours de la contre révolution néolibérale: le démantèlement du programme du CNR de 1945 est en marche, tâchons de retarder sa fin et par nos mesures sociales de rendre supportables des existences ravagées. Enfin, en occupant le créneau « socialiste » on est chargé de « valeurs » historiques. On ne sait plus trop lesquelles et il vaut mieux laisser la chose dans l’ombre car il ne serait pas ses risque de faire revivre, ne serait-ce que dans les discours, la lutte des classes, l’exploitation, l’abolition du salariat, la destruction de la machine d’État, la Commune de Paris, le Front populaire. Alors pourquoi s'encombrer des derniers liens qui rattachent la nuance « socialiste » mise en avant avec un passé que beaucoup avoueraient être caduc? C’est pour réaliser l’opération électorale jusqu’ici gagnante: le chantage à la victoire de l’extrême-droite. Cette opération repose, il est vrai, sur une ancienne maxime: « au premier tour on choisit, au second on élimine », en votant pour le moins mauvais qui empêcherait le pire d’être élu. L’ennui c’est que selon les sondages, qui participent à la fabrication de l’opinion, il n’y aura pas de candidat socialiste au second tour de la présidentielle. Mais un candidat socialiste battu se prévaudra de sa nuance pour appeler à voter le candidat « républicain ». Et pour éviter d’avoir Mme Le Pen comme présidente nous aurons soit un LR soit Macron. Et nous aurons bouclé le cycle dans lequel la politique nous enferme, nous ces électeurs-hamsters, en votant pour ceux qui perpétuent l’état de choses actuelles, appelés à le faire par ceux qui n’auraient pas fait mieux, au vu de ce qu’ils ont déjà fait. 

Que faire? À part dénoncer cette mystification et éteindre son poste de télévision? Doit-on, par réaction, soutenir le candidat Hamon, pour faire savoir qu’un « autre monde » que ce monde-ci néolibéral est une aspiration légitime ? Ou Mélenchon? Ou l’un des candidats trotskistes? Quel que soit le crédit qu’on peut leur faire (un « autre monde » a-t-il un sens chez eux? et que veut dire cette expression?), la réponse est non. Ce n’est pas à l’occasion d’une élection qu’une politique qui rompe avec l’ordre néo libéral, dans les limites de la France et selon le rapport de forces actuel en Europe, peut se définir. Un programme n’est pas une politique, il la présuppose. Et la politique progressiste, émancipatrice, internationaliste n’existe pas. On peut même penser que les partis ne sont pas, ne sont plus, les lieux où la politique révolutionnaire se fait. Et tant qu’on ne fera pas un diagnostic précis du néo libéralisme dans nos esprits, on restera prisonnier du « système » politico-médiatique où domine sa logique qui a pour effet de délégitimer des candidats tels que Hamon, Mélenchon et les autres et de légitimer Mme Le Pen en ayant contribué à la « dédiabolisation » de son parti (remarquons en passant que la question de la compétence ne lui est pas posée...).

L’idée est de justifier l’abstention aux présidentielles et de prôner une longue retraite et une longue marche pour la politique révolutionnaire et internationaliste, avec tous ceux qui déjà s’organisent, luttent dans l’ombre et qui déjà créent des rapports nouveaux communistes. C’est dire que la primauté de la réponse revient une fois de plus à la pratique qui sous des formes très diverses se situent au-delà du néolibéralisme triomphant. À suivre.

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