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Billet de blog 29 juillet 2023

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Gabriel Attal : la laïcité déjà malmenée

Le nouveau ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, ancien  élève de l’École alsacienne, n’a pas pris beaucoup de temps pour commencer sa fonction par une grosse sottise sur la laïcité. Tant mieux, comme cela on ne sera pas déçu, puisqu’il est clair qu’il n’y a pas grand'chose à attendre de lui.

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Le nouveau ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, ancien élève de l’École alsacienne, n’a pas pris beaucoup de temps pour commencer sa fonction par une grosse sottise sur la laïcité. Tant mieux, comme cela on ne sera pas déçu, puisqu’il est clair qu’il n’y a pas grand chose à attendre de lui.

Selon Libération en  ligne du 28 juillet, il a déclaré ceci à La Dépêche du midi : « Venir à l’école en abaya est un geste religieux, visant à tester la résistance de la République sur le sanctuaire laïque que doit constituer l’Ecole », dit-il, promettant d’être « ferme sur ce sujet ».

Après bien d’autres qui pensent que la laïcité est la religion officielle de la République, il parle de l’École comme étant un « sanctuaire ». Ironisons en passant sur le recours à un terme religieux pour qualifier une École qui étant laïque est indifférente aux religions et relève donc elle-même d’une institution non religieuse, ni dans son contenu, ni dans sa forme. Parler de « sanctuaire » à propos de l’École qu’on proclame laïque est le signe d’une indigence de pensée.

Mais, plus grave, vouloir sanctuariser l’École, vouloir donc que n’y pénètre rien qui la profane, est commettre un contre sens sur l’École laïque, sur la République laïque et sur la laïcité. On est lassé, après tant de travaux d’historiens et de philosophes, d’avoir à répéter la même chose, pourtant simple : la laïcité à l’École et dans les institutions de la République signifie très exactement que dans les espaces qui sont sous l’autorité de l’État, aucune religion n’est présente au titre du-dit État. Ce qui se voit à l’absence de signe religieux dans les bâtiments, à la neutralité des agents qui, en toute rigueur, sont indifférents aux religions, s’abstiennent évidemment de faire du prosélytisme. Il n’est jamais compris dans ce concept que les personnes qui ont recours aux services et aux institutions de l’État doivent adopter la même conduite que celle des agents, sauf à répondre du respect de « l’ordre public ». Autrement dit, ce qui affirme et maintient le caractère laïque de l’École, pour se limiter à ce cas, ce sont les agents de l’école ; il n’y a aucun sens à attendre et exiger des élèves qu’ils adoptent le comportement qui est celui des agents qui se comportent en respectant un principe. Les élèves emportent avec eux venant à l’école depuis la société civile, des traits particuliers qui font le concret de leur vie (famille, religion, ou absence de religion, etc.) et le fond de leur conscience. Que l’École laïque forme le projet d’instruire quiconque en faisant abstraction des particularités des uns et des autres et de conduire tout le monde à exercer son jugement, est sans doute une tâche qu’on peut accepter et saluer. Mais le principe de laïcité n’est pas, n’a jamais été et ne doit pas être, un « mot de passe », un « code » exigé pour entrer à l’École. Il n’est pas attendu des élèves qu’ils soient laïques, si tant est que cette expression ait un sens.

Admettons un moment que l’École laïque doive être sanctuarisée. Il faudrait alors interdire non seulement tous ces signes par lesquels les élèves cherchent à se singulariser et simultanément à se conformer, d’où la « solution » par l’uniforme, mais tout ce qui vient de l’industrie pédagogique et du commerce. Chiche! L’État qui doit assurer l’égalité de tous les élèves est-il prêt à distribuer à chacun l’habillement, les fournitures, les tenues sportives en les rendant obligatoires? 

Mais là n’est pas le cœur de la déclaration du nouveau ministre. Comme il est devenu normal, acceptable, en France, ce qu’il dit, c’est que si l’École est un sanctuaire à protéger, c’est parce qu’elle est attaquée par des ... On ne sait plus très bien par qui. Des musulmans? Des islamistes? Des « Frères musulmans »? Des salafistes? L’islam comme Grande Menace contre l’Occident chrétien? En tout cas, relevons le vocabulaire militaire: il y a une stratégie: « tester la résistance de la République ». L’École n’est plus un sanctuaire, c’est un bastion avancé de la République dans des territoires hostiles, où se mijote une perverse « décivilisation ». Bref, on nous vend un projet de renversement de la République par de jeunes élèves ou des adolescent(e)s, portant des abayas aujourd’hui, après des foulards et des burkini. Décidément, on ne sait pas ce qu’« iels » sont capables d'inventer pour « tester la résistance de la République ». 

On ne sait plus s’il faut déplorer une conception religieuse de la laïcité, imposée aux élèves, ce penchant empoisonné à fabriquer des complots, sur la petite musique zemmouriste, ou s’il faut tout simplement rire du ridicule de ce genre de déclaration. Car il faut ne pas redouter d’être tué par lui, quand on ose affirmer que la République est menacée en permanence par des vêtements ou des accessoires vestimentaires.

Le ministre comme toutes et tous ceux qui parlent comme lui, utilisent à tort et à travers la notion de « signes religieux ». Depuis l’agitation autour des foulards de Creil (1989!), c’est fou combien de sémiologues, spécialité religions, mention islam, sont apparus dans l’espace public! 

En deux mots : un  signe est un rapport, avant d’être une chose ; en outre il n’est pas constitué par le rapport entre un objet physique et son référent (physique ou pas), il suppose un troisième terme, un interprétant qui le reconnaît comme « signe de ... ». Si je ne reconnais pas une chose comme signe, elle n’est pas signe pour moi. Supposons que, me promenant dans un endroit isolé, sur une montagne, je tombe sur plusieurs tiges, issues de branchettes grossièrement reliées entre elles par une tige plus souple. Supposons que, par ignorance (je viens d’une lointaine galaxie),  je ne sache pas que deux bouts de bois de taille inégale, reliés de façon à figurer une petite droite formant un angle droit avec la grande, se coupant au point médian de chacun, est une image de croix et que la croix est pour des gens de confession chrétienne le signe (symbole) de leur foi, je passerais à côté d’une intéressante hypothèse concernant la présence en ce lieu d’une communauté chrétienne, hypothèse qui me pousserait à explorer les environs. Je les garderais en souvenir ou je les laisserais dans les fourrés.

On dira que le caractère religieux de certains signes n’ont pas besoin d’être reconnus comme tels, puisque celles et ceux qui les portent le disent. Mieux, ou pire, ils reconnaissent qu’iels les portent pour qu’on sache quelle est leur confession, et pour susciter une curiosité qui pourra déboucher sur une conversion. Soit, admettons que c’est ainsi que cela se passe et qu’il y a quelque part, hors de l’École, des gens qui planifient des opérations de ce genre et envoient en mission des personnes exhibant leur confession aux fins de prosélytisme. Rappelons que l’École est laïque, c'est-à-dire qu’elle ne porte pas attention à la religion de ses élèves. Alors la bonne attitude laïque devant des abayas, des foulards et autres burkini, est de ne pas les percevoir comme ces « signes religieux ». Y être indifférents, ne pas les reconnaître. Laissez faire. C’est votre affaire, cela ne nous regarde pas, si votre vêtement n’est pas une gêne dans vos études. Car, enfin, il faut tout de même rappeler que l’École n’est ni un sanctuaire de Sainte Laïcité, ni un bastion, fort Laïcité, mais un lieu où on vient pour s’instruire, pour apprendre à exercer son jugement. L’École de M. Attal et de celles et de ceux qui le suivent, est le lieu où on persécute, voire exclut des élèves pour port de signes religieux, c’est ce que les historiens du futur retiendront de la pénible et ridicule séquence où une République, si peu sûre d’elle-même et de ses principes, tremble face à des tissus.

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