C'est en suivant le fil de discussion de l'article de François BONNET "Les syndicats gagnent, l'Elysée provoque, le PS se cherche." que je suis tombé sur un commentaire de Corinne ESCAFFIT. Lequel m'a suggéré non pas une réponse mais un prolongement que je réédite ici en forme de billet.
Mais d'abord Corinne :
"Je pense aussi - surtout - qu'il est grand temps de repenser le lien mouvement social / mouvement politique, qu'on a distingué depuis au moins deux siècles, coupure (sans doute compréhensible et légitime, ou efficace, en d'autres époques) qui nous mène aujourd'hui dans une véritable impasse. Les manifestants font de la politique, le social est politique, nous nous réapproprions la politique en refusant le monde que ces élites nous tricotent.
Et le leitmotiv "incapacité à trouver un débouché politique à ces luttes" met bien en évidence la crise fracassante de la (soi-disant) démocratie représentative.
Le mouvement, s'il s'amplifie et se radicalise (y a de bonnes chances !), va simplement un peu plus vite que la réflexion à ce sujet, mais tant pis ! ou tant mieux ! s'il nous oblige à penser neuf.
Le débouché politique ? c'est à nous de le créer."
Merci Corinne j'étouffais.
Cela dit, au delà du juste constat de cette fracture imbécile entre le social et le politique quelle est sa signification ?
Ou, en quoi consiste son imbécilité ?
Il faut je pense remonter aux sources, faire un peu de généalogie.
Si je ne me trompe, cette fracture est advenue à une époque où les termes du combat politique posaient une alternative radicale : capitalisme ou socialisme - propriété privée ou socialisation des moyens de production.
L'essort indépendant du mouvement social inscrit dans le syndicalisme, posa alors le principe de la négociation acceptée, comme légitimation de la partie adverse (autrement dite : "le partenaire social" ce n'est pas rien !), c'est à dire de la propriété privée.
Soit de facto le renoncement à l'alternative fondatrice, et les bases posées de la social démocratie, comme compromis.
Le social prend le pas sur le politique comme moteur du progrès, le politique est à la remorque et vient sanctionner les avancées en les inscrivant dans la loi.
Dans un contexte de croissance des richesses redistribuables, il n'y a pas grand chose à dire, si ce n'est débatre des stratégies de la négociation sociale en vue d'arrêter la meilleure pour les meilleurs résultats possibles, puis de débatre des méthodes de gestion de l'opinion par le politique en vue de légitimer son action par la sanction électorale.
En revanche, dans un contexte de récession et de régression des conditions de vie, la donne change.
Il se pourrait que nous en soyons là, c'est du moins ce que je pense.
Et je crois que le sentiment majoritaire qui s'exprime aujourd'hui (à travers ces sondages qui révèlent l'hostilité populaire à plus de 60% à la réforme des retraite, et la défiance à l'égard de Sarkozy et de sa clique), c'est que de toute façon, le système actuel n'est plus en mesure de garantir non seulement le progrès, mais tout simplement la stabilité de nos conditions de vie.
En cela, l'idée de la sagesse populaire, ou de l'intelligence collective ne relève pas d'une simple formule démagogique.
Le peuple (nous tous), a été alphabétisé, éduqué bon an mal an..., les sources du savoir et de l'information ont été mises en partage. Plus personne n'ignore le principe de déséquilibre des flux économique planétaires comme sources d'enrichissements ou d'appauvrissements (relatifs), plus personne n'ignore la réalité de la compétition, ni également la réalité et l'ampleur des crises énergétiques, écologiques et humanitaires.
Plus personne en conséquence n'ignore l'impuissance du mouvement social réduit aux limites étroites et surréalistes de nos vieilles nations européennes. Et, plus personne en conséquence n'ignore l'impuissance du politique réduit aux mêmes limites.
Or ces limites relèvent du politique.
Nous sommes donc confronté non pas à une crise sociale mais à une crise du politique, à une crise de mutation du politique, à une crise puissante, la crise de la souveraineté... une métamorphose dans la douleur.
Car en vertu de la force d'inertie acquise depuis plus d'un siècle, le politique reste à la remorque, incapable de s'extraire de sa gangue, et de retouver sa place initiale, comme matrice ou ferment des projections collectives.
C'est pourquoi les procès en intention faits aux partis politiques en particulier au P.S. en tant que parti de gouvernement, même s'ils peuvent trouver quelques légitimations au droit des errements de leurs leaders, me semblent mal venus et contreproductifs ; ils nous entrainent sur de fausses pistes, vers des leurres.
Ce qui est en cause ce sont ces croyances sincères des militants (moyenne d'âge ?) auxquels s'adossent les leaders pour conserver leur pouvoir, croyances selon lesquelles, tout n'est pas perdu pour notre système et qu'il est encore possible de ne pas en changer.
(Ayant relu, je ne peux m'empêcher d'insister en remarquant la saveur amère de cette revendication de gauche, classique, du "politique qui doit primer sur l'économique"... qu'avons nous fait de nos désirs ? Des lanternes ?)
A suivre... ici