Tout l'intérêt de la situation, c'est qu'elle est potentiellement explosive. C'est aussi son danger. Redoutable.
La capacité détonnante du coktail dépend de sa complexité, en l'occurrence une accumulation d'ingrédients "inédite".
Pour faire court (je laisse les amateurs de détails aux subtils délices de la nuance), disons que la toupine est déjà pas mal :
- fond et parois en capitalisme financiarisé et mondialisé, complètement déréglé (soyons clairs, c'est à dire qu'il ne fonctionne plus à notre avantage)
- revêtement de crises écologiques et humanitaires à répétition,
- et comme couvercle, foyers conflictuels purulents et contagieux un peu partout.
Là dedans, je vous mets :
- une bonne louche, voire une louchasse de désespérance nationale et grosse trouille sociale (ou trouillasse pour l'unité de style) avec son assortiment d'injustices et de ghettos à boucs émissaires,
- quelques cuillères (à soupe) d'une offre politique indigente et bavarde, sur fond de brutalité et d'irresponsabilité gouvernementale,
- et cerise sur la gateau : une giclée de conduite en état d'ivresse du véhicule national, par un excité frapadingue de première.
Et... dans ce joyeux foutoir... nous allons... nous allons... nous allons... touiller !
Délicatement, d'une main experte... un touillage... à la 6ème ! dernier modèle.
Du grand art.
Avec obligation de résultat.
Si non ? .
..ça pète.
Et alors là... ! (voir Maurice, c'est l'homme des situations extrêmes)
Mais, justement nous n'en sommes pas là.
Nous en sommes juste avant.
Nous en sommes au moment où il faut prendre la touilleuse, et la plonger dans la toupine puis amorcer un mouvement de rotation délicat mais ferme et régulier.
Il s'agit simultanément, d'éviter que ça accroche et que ça rabastine, de favoriser cependant la montée en température et donc d'assurer sa répartition homogène pour une maturation exquise et surprenante à la fois, gage du succès.
Honnêtement... va falloir du doigté (façon tôle ondulée et camion de TNT). Le challenge est passionnant.
Un vrai défi.
C'est pas un truc pour branleurs.
C'est pourquoi j'ai convoqué Maurice et Félix, afin de constituer à nous trois une cellule d'expertise.
Nous avons décidé deux choses très importantes :
- donner notre avis
- et le partager.
Allons-y.
Pour nous, la 6ème République doit être la république de la défragmentation, il est donc indispensable que sa propre genèse procède de pensées et de stratégies défragmentées.(Pour ceux qui débarqueraient, je propose une introduction à la fragmentation ici, il faut en principe suivre le lien sur 5 épisodes sans pour autant voir le bout de la question.)
Donc. Selon le principe de défragmentation, il faut en premier lieu contourner le piège tendu de l'évidence et nous dérourner du méccano institutionnel et de sa lorgnette comme de la peste. C'est une question certes importante mais ce n'est pas l'essentiel.
Il faudrait au préalable recoller les morceaux.
Ce n'est pas une mince affaire.
Car un autre danger nous guette, celui de l'enfermement et de la démesure.
En réalité toute la difficulté est là.
Nous départir des dichotomies, reconstruire l'unité mais, sans clôture.
Pour mesurer cette difficulté il faut revenir à la toupine et à notre petite sauce nationale et concevoir que pour avoir quelque sens, notre chère 6ème doit :
- s'inscrire dans la perspective d'une alternative à l'anarchie capitaliste et d'une véritable tranformation civilisationnelle, restaurer l'espérance des générations contre le cynisme et la mécréance mortifères et enfin, décliner en effet la règle du jeu qui permette de cultiver ce nouveau contrat social en devenir, conçu comme un processus et non comme une fin en soi.
- ne pas clôturer ses ambitions dans le périmètre dérisoire d'un hexagone anecdotique, mais ne pas déborder cependant du cadre légitime quoique temporaire (du moins faut-il le souhaiter) qui est le sien.
C'est que nous ne sommes pas les seuls à chercher et qu'il n'y rien d'autre à trouver que le partage et l'élargissement continu d'un horizon unique c'est à dire commun.
C'est en réalité une aventure passionnante, une épopée à nulle autre pareille, qu'il convient enfin de pacifier et de cultiver avec soin.
La 6ème doit être ambitieuse et modeste tout à la fois, universaliste et contributive, attentive et bienveillante, exigeante et généreuse.
Maurice a osé une synthèse hardie : "la 6ème sera éducative ou ne sera pas".
Maurice est audacieux.
Et pour faire le malin en se la jouant elliptique Félix a poussé le bouchon : "La 6ème doit mettre enfin un terme à l'ancien régime."
Félix est mélancolique.
Là dessus, nous avons longuement discuté pour convenir que le tricamérisme s'imposait afin de consacrer les trois sources évidentes de légitimité : politique, territoriale et sociale.
En conclusion nous avons décidé que c'était assez pour aujourd'hui.
Et nous en avons gardé sous la pédale.