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Billet de blog 25 avril 2018

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De la perversité du protectionnisme.

"Ce sont presque toujours de bons sentiments mal dirigés qui font faire aux enfants le premier pas vers le mal."

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le protectionnisme a cette propriété qu'il n'est pas contrairement à ce que prétendent ses partisans une politique d'usages à vocation défensive des frontières (en l'occurrence et pour le moment douanières), mais une politique de construction des frontières.
Sa généalogie s'incarne dans la protection due par le suzerain à ses vassaux en échange de l'hommage qu'il avait préalablement reçu d'eux.
C'est ainsi qu'ont été peu à peu construites les frontières, sur le sable mouvant des rapports de forces et de l'équilibre fragile des jeux d'intérêts des possédants, cahin-caha au gré des changements et des retournements d'alliances depuis le fin fond de notre histoire.
Dans l'affaire ce qui est important, c'est la désignation de l'ennemi, cet autre qui nous veut du mal et contre lequel il faut se protéger en coalisant des forces supérieures aux siennes. Et il faut que cet ennemi soit commun à tous, pour que puisse naître ce "commun" qui nous fait "en commun".
Les ennemis de mes ennemis sont mes amis... etc.
Les capétiens ont été maîtres en la matière. Mais en la matière il faut aussi pouvoir compter sur de fidèles ennemis.
C'est bien pourquoi nous français et fiers de l'être ne remercieront jamais assez la maison d'Angleterre et le saint-empire germanique.
Il faut être lucide, il ne s'est jamais agit du sort des gueux, des serfs et des manants, mais seulement de "négociations" des droits de propriété et d'exploitation détenus sur eux par leurs maîtres. Jusqu'à ce que, pour les besoins de guerres toujours plus féroces, les impôts levés sur les assujettis puis finalement la levée des combattants par conscription étendue à tous, ne fasse germer la révolte dans la populace.
Alors il fallu concéder. Peu à peu, au bruit des armes s'est ajoutée la compétition des libertés octroyées aux sujets pour les maintenir dans le giron. On sent déjà poindre les motifs d'un art nouveau mais encore lointain : la démagogie clientéliste.
Il fera fortune, et la fortune des maîtres du futur.

Nous y voilà dans ce futur, depuis quelques temps il est vrai.
Précisément depuis cette invention révolutionnaire : la démocratie, et sa petite sœur : l'élection des représentants.

Nul ne l'ignore la politique est aussi un art de la pédagogie (et not' bon maît' Macron s'en goinfre et s'en pourlèche les badigoinces).
Autrement dit, en matière de politique, c'est l'art du discours performatif. Le discours qui parce qu'il le nomme fait advenir ce qu'il dit.
C'est proprement stupéfiant. Et à maints égards tout à fait heureux, ainsi pu naître la démocratie, depuis l'idée lointaine que certains eurent l'idée de s'en faire.
On n'ose y croire, un vrai miracle, Grec dit-on. Vive les grecs.

Mais il y a un revers au miracle... comme en toute chose ; le beau temps porte la sècheresse, le poison est aussi un remède, s'il n'y avait pas de riches il n'y aurait pas de pauvres et inversement (ça ruisselle bien mais pas dans le sens qu'il dit, et c'est, il faut le dire, une performance qui défie les lois de la physique)... la démocratie c'est pareil.
Le gouvernement de tous par tous et pour tous, et au revers de la médaille, la tyrannie, la capture du désir commun sous la loi du verbe, pourrait-on dire en empruntant au lexique lordonnien. Plus simplement un alliage subtil fait de démagogie et de pédagogie, soit "l'art de la conduite du peuple-enfant".
Kant nous a bien exhortés à sortir de notre minorité, en vain. Le peuple-roi reste un peuple-enfant, certes capricieux et capable d'encolèrement mais comme l'enfant-roi toujours soumis à ses pulsions, à ses désirs impérieux de l'instant et aux charmes des illusionnistes, bateleurs de foire et bonimenteurs, les talentueux démapédagogues... ou pédadémagogues, c'est comme on veut.

Les règles n'ont pas changé. Dans la lutte pour le pouvoir l'impétrant doit savoir désigner cet ennemi qui rassemble le troupeau derrière sa bannière et commande l'érection de la frontière protectrice. (Il doit y avoir quelque lointaine et tortueuse parenté avec l’ambiguïté mâle... angoisse et désir mélangés ???)
L'arme en tout cas est fort dangereuse et son usage est toujours fatale à la douce mais téméraire brebis qui voudrait s'en saisir. Au petit jeu de l'appel aux armes elle ne fait pas le poids, les bons sentiments n'y ont pas leur place et ce n'est pas "l'appel des 100 contre le séparatisme islamiste" ni le tout récent "manifeste contre le nouvel antisémitisme" qui vont, par exemple, nous démontrer le contraire.
Le rapprochement n'est ni hasardeux ni opportuniste, mais parfaitement choisi et opportun.

C'est qu'il y a des convergences "naturelles", des affinités quasi chimiques, et peut-être même des attirance atomiques.
Cocktails explosifs et réactions en chaînes ne sont plus très loin dès qu'il s'agit sur tous les fronts de "se protéger contre". L'agitation des peurs s'amalgame avec les sentiments victimaires, et la paranoïa tous azimuts a vite fait de subvertir les sentiments les plus généreux pour un glissement progressif vers l'horreur.
Le camarade Ruffin (car indéniablement s'en est un) et tous ses amis protectionnistes au grand cœur seraient bien inspirés de réfléchir un peu à l'air du temps et aux renforts qu'ils ne manqueront pas de trouver sur le chemin qu'ils nous invitent à suivre. Il sera bientôt trop tard.

(Au début de la séquence)

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