Ça commençait pourtant plutôt bien. «Appporter des solutions de mobilité au plus grand nombre », « partout et pour tous », « au plus près des habitants », le site internet de la collectivité affiche des objectifs précis et des ambitions prometteuses. Y a pas, une majorité de gauche, ça vous change le quotidien. Évidemment, la question des moyens reste comme toujours l'objet d'adaptations ou si on préfère, de renoncements. C'est d'ailleurs le rôle de l’adjoint aux transports dont le nom ne mérite pas d'être retenu, que de tempérer les enthousiasmes. Il s'y emploie dans la nuance et sans brutalité. « Les lignes régulières dans l’Yonne ont été remaniées et des services de transport à la demande ont été créés », suivi d'un « pour les transports à la demande et les lignes de marché … la baisse est majoritairement de 25% ».
Pas d'inquietude il s'agit probablement d'une coquille laissé par un correcteur distrait pas d'un propos annonciateur de suppressions à venir. En effet, sauf à être climato-sceptique ou éloigné des réalités, aucun responsable n'oserait aujourd'hui réduire l’offre de transports en commun sur son territoire quand la logique la plus élémentaire voudrait qu'au contraire elle soit revue à la hausse. Les raisons ne manquent pas : desastres environnementaux, flambée des prix du carburant, pénuries annoncées, appels à la sobriété énergétique etc. Les élus et les responsables exhortent enfin la population à privilégier les transports en commun afin d'affronter entre autres les défis notamment climatiques à venir.
Le 18 août dernier, le verdict est rendu. Peine capitale pour dix bourgs de la communauté de communes de la haute vallée du Serein et la suppression de leurs d'arrêts. Le changement c'est pour maintenant, disait l'autre. Le « remaniement » de l’itinéraire Avallon-Tonnerre (L807), celle qui me concerne, impose de prendre sa voiture pour parcourir deux fois la dizaine de kilomètres qui me sépare de l’arrêt le plus proche sans compterque les nouveaux horaires m'imposeraient de rester neuf heures sur place avant de pouvoir regagner mon point de départ. Le recours aux navettes s'avère donc problématique et vraiment pas pratique. Si ces horaires répondent quasi-exclusivement aux besoins des travailleurs, les autres sont assignés à résidence. Les autres, les oublieux de la bagnole, les bourses trop plates, les retraités, les vieux, les chômeurs, tous ces inutiles qui coûtent un pognon de dingue à s'incruster sur un territoire déshérité. Qu'ils dégagent et laissent la place aux vacanciers européens et nationaux qui passeront des vacances dans une maisonnette décorée façon rustique dont les volets resteront fermés onze mois par an.
On peut s'interroger sur les raisons de « remaniements » qui seront vraisemblablement suivis par d'autres, sur cette ligne et sur d'autres. Une fréquentation trop faible et qui pouvait être nulle certains jours (l’obligation d'effectuer une réservation préalable évitait toutefois le gaspillage de carburant) ? Des pinailleurs dont je fais partie feront remarquer que la fréquentation en berne doit probablement beaucoup au manque de souplesse dans les procédures utilisées par les TAD, quand dans d'autres régions elles sont plus souples, plus efficaces et que les lignes régulières leur sont préférées, ce qui contribue à fidéliser les usagers. La fréquence réduite des navettes fait partie des éléments qui ont pu inciter les habitants à utiliser leur véhicule personnel aux dépens des navettes.
La gauche réaliste façon SNCF. Dans votre décision, quelle part revient à l'abus de consommation d’un poison nommé RGPP, une substance hallucinogène bien connue des plateaux de télévision ? A la priorité donnée à la rationalisation des plannings des navettes et des conducteurs ? A l'influence des cellules de réflexion et aux conclusions d’un cabinet de conseil, aux amicales pressions d'un groupe d'élus et à un appel d'offres privilégiant le moins onéreux mais moins disant, qui remanie les lignes et donne la priorité selon des indices de rentabilité ? Nous ne sommes pas très nombreux comme habitants et comme usagers mais garantir l'accès pour tous aux transports en commun m'avait semblé relever d'un objectif de service public.
Chacun connaissant les contraintes budgétaires des collectivités, le poids des transferts de charges iniques et les lois fiscales scélérates mais électoralistes, il aurait sans doute été facile de mobiliser la population pour vous accompagner dans des actions menées face à l'état. Gauche de gouvernement, vous avez préféré endosser les frusques en lambeaux d'une gauche responsable et supprimer une colonne sur un tableau Excel, limitant ainsi le droit au transport pour certains habitants de la haute vallée du Serein.
La gauche pragmatique et gestionnaire. Il sera plus difficile aux habitants de ces territoires déshérités au carré de fréquenter les marchés et les centres commerciaux des villes de Tonnerre et d'Avallon et d’emprunter un TER dans l’une de ces deux gares. Pour se déplacer, il faudra payer un taxi, faire du stop, utiliser son véhicule (electrique ), les plus ingambes pouvant utiliser leur vélo (électrique ) voire une trottinette (electrique ). Il y aurait bien les transports scolaires si des questions d'assurance n'empêchaient pas les sièges vides d'être occupés par des adultes même quand ils font partie du cercle familial. Les marcheurs commanderont leurs chaussures sur une plateforme qui les livreront par camionnette spéciale. La solution du co-voiturage enfin mais ici, elle relève d'une douce utopie surtout pour se rendre dans un cabinet dentaire ou médical. Dernière option, chacun chez soi à rester sur le pas de la porte (couper la climatisation et éteindre le chauffage pour éviter les amendes) dans l'attente du passage d'une employée d'un service d'assistance dans sa voiture (electrique ), preuve de l'engagement de la région dans la poursuite d'objectifs écologiques, même si aujourd'hui, l'électricité.... quoiqu'il en soit, l'aspect positif des emprisonnements sanitaires de 2020 est qu'ils nous entraînent à supporter ces enfermements.
Quand à Saint Denis la Poste refuse de livrer les colis à Saint Denis, les transports du conseil régional refusent de s'arrêter dans les bourgs de la haute vallée du Serein. Pour nous consoler de ne plus voir circuler les cars de la ligne L807, l'augmentation du trafic routier et de la pollution sonore dans notre hameau qui participe au concours des villages fleuris ( 1 fleur - 4 boules Quies) nous rappelle que nous bénéficions toujours du Progrès et de la Civilisation. De l'aube jusqu'au soir, des mastodontes tirent des remorques métalliques chargées de lourds blocs de pierre qui tressautent joyeusement sur les cahots et les trous de routes rapiecées à la va vite, des utilitaires aux dimensions plus classiques mais dont les remorques sont tout aussi brinquebalantes, les véhicules personnels et les pots d'échappement de motos pétaradantes. Les machines agricoles triple XL qui traversent dédaigneusement le village dans un boucan d'enfer remportent le décibel d'or (fréquence, amplitude des passages), d'ailleurs ici, c'est leur domaine réservé. Qu'ils soient tous remerciés de nous rappeler que ce territoire n'est pas un oublié de la république. L'été prochain, j'espère avoir achevé le concerto pour remorques et pots d'échappement avec ramdam continu et incessant.
Madame, la seule réponse que ce long courrier pourrait attendre serait l'annulation des "remaniements", une décision qui vous permettrait de rester cohérente avec les objectifs « d'accès à la mobilité pour tous et partout » qui décorent le fronton du site internet de la région, quand ces mots n'empêchent en rien nos maux, question transports tout au moins. D’autre part, cette décision vous permettrait d'empêcher votre possible traduction devant le conseil de défense énergétique.
Jean-Claude Lénervé, un habitant pourtant placide de la vallée du ...Serein.