Un tract aux objectifs précis et ambitieux est affiché sur le site internet de la région Bourgogne Franche Comté : "Apporter des solutions de mobilité au plus grand nombre », « partout et pour tous », « au plus près des habitants ». Il s'agit en réalité d'un acte de piratage informatique suite au non paiement d'une demande de rançon. Le libelle est suivi par ce message d'un corbeau, un « adjoint aux transports » masqué qui avertit la population des désagréments qui l'attendent : "les lignes régulières dans l’Yonne ont été remaniées et des services de transport à la demande ont été créés », « pour les transports à la demande et les lignes de marché … la baisse est majoritairement de 25% ». Il aura suffi d'une litote sournoise pour que l'inquiétude naisse chez les naïfs qui placent leurs espoirs dans des promesses d'élus. Le dix-huit août, un entrefilet paru sur le même site confirme le forfait. Suppression de dix dessertes sur les quinze de la ligne L807, Tonnerre-Avallon. Le service public de transport flingué par un sniper inconnu. Par chance, les victimes comptent pour rien ou pour si peu et ne devraient pas se plaindre. Les victimes ? Des oublieux de la bagnole, les bourses trop plates, les retraités, les vieux, les chômeurs, tout un monde d'inutiles qui coûtent un pognon de dingue à vouloir s'incruster sur un territoire déshérité et qui pour emprunter un TER à Tonnerre ou Avallon, pour fréquenter leurs marchés et leurs centres commerciaux, ceux qui le peuvent devront utiliser un véhicule individuel (électrique, évidemment) ou commander un taxi. Les autres, ceux qui sont ingambes, se rabattront sur le vélo (encore électrique ) et la trottinette (toujours électrique ). Les marcheurs pourront commander leurs chaussures sur une plateforme qui les fera livrer par camionnette spéciale dans un placard extérieur qui sert de dépôt de pain et de casier à pizza. Il serait possible d'envisager de compléter les sièges vides des transports scolaires mais les questions d'assurance empêchent pas qu’ils soient occupés par des adultes. Même s'ils font partie du cercle familial ? Même. Par chance, ces assignés à résidence qui ont connu les emprisonnements sanitaires de 2020, devraient patienter sans trop se plaindre en attendant le passage de la voiture (électrique, décidément) du service d'assistance ou celui d'un voisinage secourable et disponible.
Sensible à la limitation de l’autonomie de ces oubliés des transports en commun, un enquêteur, en l'espèce bibi, s’autosaisit du dossier pour que ce forfait ne reste pas impuni. Une fois le crime qualifié, « abandon de population en rase campagne isolée», reste à en chercher le mobile, explorer les pistes, recueillir les indices afin d'arrêter un suspect acceptable qui sera traduit devant le conseil de défense énergétique du caporal chef Macron.
Au bureau, une lettre dans laquelle un ami qui selon ses dires, me veut du bien conseille de chercher la coupable du côté de la Fréquentation. Je convoque celle-ci qui se met aussitôt à table (ce boulot perd de son intérêt ) sans qu'il y ait besoin d’agiter devant son nez le tableau d’un nombre d'usagers un peu plus faible chaque année voire nul certains jours. Son avocat, un commis d’au F.I.S. (ou du fils ?) demande que deux bâtons mis dans les roues des cars soient pris en considération : la faible fréquence des navettes et le manque de souplesse des procédures de réservation et d'annulation des T.A.D. (Transports A la Demande). Le bavard poursuit, arguant que les T.A.D ne circulent jamais à vide, une réservation au moins étant nécessaire pour circuler, ce qui limite les gaspillages de carburant. Pour cette raison, il demande les circonstances atténuantes pour sa cliente. Le procureur fait remarquer qu'une fréquentation pareille est une insulte à la rentabilité et qu'il vaut mieux en effet débrancher les bourgs desservis par la ligne L807 plutôt que de prolonger le coma dans lequel ils se trouvent.
Hier arrive un deuxième courrier sous la forme d'une pétition mais il s'agit vraisemblablement d’un canular rédigé par de mauvais plaisants, un groupuscule inconnu des fichiers qui serait composé d’énergumènes se présentant comme des djihaddistes du ballon rond et qui signent P.S.G. Difficilement crédible. Ils réclament la réouverture immédiate de la ligne de jets privés entre Paris et Dijon faute de quoi, ils appliqueront le châtiment barbare en cours au Qatar. On sait qu'au pays de la coupe du monde salafiste, un homme en noir condamne les balles infidèles à subir une longue et douloureuse série de coups de pied avant de trouver la mort au fond d'une cage adverse sous les sifflets ou les applaudissements de l'assistance. Dire qu'en France on plaint Jeanne d'arc…
Troisième enveloppe, celle d'un autre ami qui lui aussi me veut du bien (j'ai beau ne pas être sur Facebook, leur nombre augmente). Il me conseille de chercher du côté du R.G.P.P. , un groupe d'obédience sarkozyste qui opère depuis une vingtaine d'années, reprenant à son compte l’assassinat par administration de poison, la méthode préférée des espions russes. Hélas, trop de doses de cette substance hallucinogène sont injectées chaque jour par des «experts » sous les projecteurs des plateaux de télévision, comme dans le secret d'un cabinet de conseil ou l’intimité d'une citerne de pensée (en français, think tank), ce qui rend impossible la recherche des coupables.
Un soir, au cours de la réunion du bilan carbone habituelle, je décide de m'attaquer à la tête de réseau et ne pas me contenter de poursuivre les comparses. Direction, le quartier des élus. La haute sécurité et le silence qui y règnent rendent difficile l'écoute des prévenus, à moins d'avoir la chance de tomber sur un malade atteint de climato-scepticisme qui errerait dans les couloirs. Ce que confirme la lecture du nom des condamnés. Donald Trump, Claude Allègre, Eric Zemmour … de sérieux clients qu'il va être difficile de faire avouer ou dénoncer le coupable.
Reste une alerte enlèvement de dessertes de transport en commun. Les affichettes distribuées dans les bureaux de vote portent les avertissements suivants : « Recherche élu(e) climato-sceptique qui réduit l’offre de transport en commun quand les exhortations à utiliser les transports en commun pleuvent de toute part : envolée du prix des carburants, économies d'énergie obligées, pénuries annoncées, sobriété énergétique et situations de catastrophes naturelles et de changements climatiques... » La méthode est efficace, des noms sont prononcés et vingt-quatre heures plus tard, l'enquête est résolue. Certes, l'arme du crime n'a pas encore retrouvée mais on suppose qu'il s'agit d'un tableau Excel. En revanche, les coupables sont connus, le gang de gauche du conseil régional de Bourgogne Franche Comté avec Marie-Guite Dufay à sa tête, celle que d'aucuns surnomment la présidente dure avec la mobilité presque douce des transports en commun.
A peine le ministre des calamités intérieures a-t-il le temps de recevoir mon dossier qu’il m’appelle pour m'informer de sa décision d'expulser les coupables vers le Pakistan, sous réserve que l’extradition soit envisageable. En cas d'impossibilité, il m'assure qu’encadrés par une escorte de l'AIEA, les condamnés seront déportés dans une centrale ukrainienne où ils passeront quelques années.