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Billet de blog 30 août 2022

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Rodéos urbains, la vérité révélée

La véritable histoire de rodéos urbains, bien loin des discours entendus à la télévision et sur les réseaux sociaux.

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Il y a une dizaine d'années, quand le président du comité de jumelage a proposé la candidature de Zaporija, aucun des membres de l'association ne savait où cette ville pouvait se trouver. Un cabinet conseil sollicité pour l'occasion avait recommandé cette ville qui se trouvait dans une province russe nommée Ukraine et qui abritait sur son territoire une centrale nucléaire. Zaporija ce n'était même pas Tchernobyl dont la célébrité est synonyme de fréquentation touristique à venir. Quand on rêve d'un jumelage avec Acapulco ou Ipanema, il y a de quoi être déçu. Deux arguments nous firent cependant avaler la décision du président, l'assurance d’une abondance de vodka de qualité et la promesse de pêches miraculeuses dans le Dniepr, grâce au rejet des eaux de la centrale, sans oublier que les dimensions de l’usine à électricité lui avaient valu de remporter le titre de recordwoman d'Europe et d’entrer dans le Smirnoff book des records. Contre mauvaise fortune, nous fimes bon cœur.
Quelques années plus tsar, en 2022, la Russie déclarait la guerre à l'Ukraine, la conséquence pour les habitants de notre ville étant l'arrivée de quelques dizaines de réfugiés qui par chance, n'étaient ni syriens ni afghans. L’été suivant, nous constatames avec plaisir que les reportages sur Zaporija battaient le tour de France en audience cumulée chez les ménagères de plus de cinquante ans et les glandeurs de moins de vingt ans. Les télévisions prononcèrent régulièrement le nom de Zaporija tout en en diffusant des images. En revanche, la mention de notre cité et du dynamisme de son comité de jumelage était totalement passée sous silence et que nous ne bénéficierions pas de la moindre retombée médiatique. Réuni en urgence, le comité de jumelage plancha pour essayer de bénéficier de retombées qui promettaient d'être importantes et durables. Aucune des pistes formulées ne souleva le moindre intérêt, pas davantage un koh lanta devant la centrale qu'un Interville pourtant animé par un hologramme de Guy Lux jusqu'à ce qu'un représentant du club des « Jeunes en scooter » évoque un rodéo sans frontière qui poursuivrait un but humanitaire, délivrer la planète de l'angoisse d'une catastrophe planétaire en mettant fin au chantage nucléaire du dictateur russe et aux conséquences d'un accident que les troupes qui occupent la centrale risquent de provoquer, de façon délibérée ou par inadvertance.

Illustration 1
Club des "Jeunes en scooter" by l'armée © Jean Claude Lénervé

cette proposition recueillit d'autant plus facilement l’unanimité qu’on était en période de vacances scolaires et que l'inoccupation de jeunes gens aux poussées de testostérone ravageuses laissaient redouter un été chaud avec les conséquences qu'on devine. En éloignant du quartier les kamikazes motorisés, au moins le temps de  l’opération « scooter sans frontières » n'était pas sans rappeler les croisades du moyen-âge. Encore fallait-il suivre un entraînement strict et rigoureux à base de roues arrière et autres acrobaties pour espérer  éviter les pièges et les tirs meurtriers des troupes russes. Ces jeunes, souvent taxés de pusillanimité, savaient que la réussite de leur mission était à cette condition. On les vit fréquenter régulièrement des parcours où ils respectaient scrupuleusement les consignes de sécurité données par des policiers volontaires et détachés par le commissariat voisin. A cause d'un problème d'effectif, ces fonctionnaires devaient également jouer le rôle de militaires russes devant empêcher nos vaillants jeunes gens d’atteindre leur but en les faisant tomber, une décision qui entraîna quelques frictions vite résolues avec le syndicat majoritaire à propos d'heures supplémentaires. Ces entraînements quotidiens se déroulaient dans le plus grand secret, de jour comme de nuit. Seule la population du quartier était dans la confidence, son accord tacite étant primordial à la réussite de l'opération. Au cas où l'expédition se révélait concluante, il était également prévu qu'un escadron de voitures bélier compléte le dispositif en vue de dégarnir le front de Poutine. Inévitablement, des photos et des vidéos tournèrent sur les réseaux sociaux donnant l'idée à d’autres quartiers de reprendre l'initiative à leur compte. Cette publicité, ni désirée ni désirable, attira des journalistes curieux. L’un d'eux utilisa le terme de rodéos urbains dont le succès fut immédiat. Les chaînes de Désinfo décrétèrent la mobilisation du stock de généraux à la retraite qu’elles avaient en réserve pour les enrôler dans des « débats » évitant toujours de mettre en avant les risques découlant de l'énergie nucléaire civile. La question de savoir si le rodéo urbain était une arme de dissuasion routière enflamma les passions de Brocéliande à l'Ardèche en passant par les Landes, des présentateurs interrogèrent des experts sur l’utilité de ce nouveau fer de lance de l'armée française destiné à servir de force d'appui à sa grande soeur nucléaire qu'on découvrait subitement fatiguée. Des élus locaux et des représentants de syndicats de policiers stigmatisèrent le laxisme de la justice, soulignant les risque que les dépositaires de la force publique prenaient en s'interposant face aux sauvageons. Ce qu'entendant, un ministre de l'intérieur très quelconque, se mit en quête d'un micro pour menacer les fauteurs de troubles de participer à un koh-lanta carcéral. Il profita de l'occasion pour annoncer le rétablissement de la paix dans les quartiers et la protection de la population des violences sociales. Le tintamarre médiatique et les réactions indignées qui en résultaient signèrent l'arrêt immédiat des entraînements et par voie de conséquence l'abandon du projet de sauvetage planétaire. Une illustration supplémentaire des nuisances qui résultent de l'indigestion de chaînes d'information et de la consultation de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux.
La participation des membres du club des "Jeunes en scooter" de notre ville au défilé du quatorze juillet est évidemment compromise, de même que l’invitation à la garden party, lancée par le président de la république, chef des armées et au cours de laquelle il devait décorer les survivants. Une cellule de soutien psychologique a tout de même été dépêchée sur place. Reste à espérer qu’elle puisse aider ces chevau-légers modernes à surmonter leur déception et éviter qu'elle se transforme en amertume;

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