Six ans après les révélations d’un « scandale dans vos tuyaux « , par l’émission Cash Investigation, les affaires du SIAAP (le syndicat chargé du traitement des eaux usées de la région parisienne) remontent à la surface. Cette fois, c’est un article de Médiapart qui révèle un rapport de l’Autorité de la concurrence sur « un sujet explosif »: les stratégies d’entente dans le domaine de l’eau et leurs conséquences sur l’augmentation des factures payées par les usagers. Pour la première fois, l’Autorité de la concurrence établit une relation de cause à effet entre la corruption systémique sur les marchés de l’eau et la surfacturation dont sont victimes les usager.e.s domestiques! En effet, ces cinq dernières années, l’augmentation du tarif pour l’assainissement a été de plus de 45% dans les départements de Grande couronne et de près de 33% à Paris et dans les départements de Petite couronne.
En 2018, les révélations de Cash Investigation concernaient le marché pour la réfection de l’usine Seine Amont à Valenton, attribué à Veolia en 2015 pour un montant de 400 millions d’euros. Cette fois, il s’agit de l’usine Seine Aval près d’Achères. Le rapport de l’Autorité de la concurrence caractérise une entente occulte entre les trois trois leaders français du secteur de l’eau (Veolia, Suez et la Saur) pour remporter, en 2011, ce marché géant de près d’un milliard d’euros en Île-de-France, selon les informations de Médiapart. Le coût de l’opération est passé de 545 millions d’euros à 929 millions d’euros dès la phase d’appel d’offres. Ces surcoûts n’ont pu être supportés que par une « augmentation substantielle » de la redevance payée par les usagers, insiste le rapport de l’Autorité de la concurrence.
L’explosion des tarifs de l’assainissement
Voici le tableau des évolutions des tarifs du SIAAP en € / m3 HT (la TVA est de 10%) depuis cinq ans:

Soit une hausse de plus de 45% pour la Grande couronne et de près de 33% pour Paris et la Petite couronne.
L’association Eau publique Orge Essonne et la Coordination EAU Île-de-France avaient dénoncé le racket de Veolia avec la complicité du SIAAP en janvier 2023 (Lire ici : SIAAP hausse effarante et révoltante)
Le Conseil de Territoire d’Est Ensemble avait réagi en adoptant un vœu (Lire ici SIAAP une hausse insupportable). A un peu plus d’un an de nouvelles élections municipales, les forces politiques et citoyennes doivent réagir à ces nouvelles révélations publiques. En tout cas, notre association fera tout pour porter ces questions, la corruption systémique sur les marchés de l’eau, la mainmise des groupes privés, l’organisation de la gestion de l’eau à l’échelle de l’Île-de-France, dans le débat politique et citoyen qui s’amorce.
La justice doit passer. Mais il faut pousser aussi la réflexion sur les causes systémiques de cette situation pour repartir sur d’autres bases.
Les causes systémiques de la corruption généralisée
Une des caractéristiques du SIAAP est sa taille, il recueille les eaux usées de 9 millions d’usagers. Dans la même catégorie des grands syndicats, il y a le SYCTOM (Syndicat mixte central de traitement des ordures ménagères) qui traite les déchets de 6 millions d’habitant-es et le SEDIF (syndicat des eaux d’Île-de-France) qui fournit l’eau potable à 4 millions d’usagers. Ce gigantisme est souvent présenté comme un gage d’efficacité voire d’économie d’échelle. Ainsi un rapport de la Cour des comptes suggérait d’aller vers un transfert de la compétence eau à la métropole du Grand Paris pour avoir une autorité organisatrice unique pour 7 millions d’usagers. Dans la réalité, l’économie d’échelle n’est jamais au rendez-vous pour les usagers. D’autant que du fait de ce gigantisme, des sommes faramineuses sont en jeu. Le SIAAP est le premier commanditaire pour l’environnement en France. Le SEDIF est le premier contrat de délégation de service public de l’eau en Europe, ce dont se vante son président, M. Santini. Si cette taille est propice aux bonnes affaires, elle n’est pas favorable aux usagers. Les tarifs du SEDIF sont beaucoup plus élevés que ceux d’Eau de Paris et ceux du SIAAP se sont envolés au fil des années, faisant des eaux usées le premier poste de la facture d’eau.
Corollaire de ce gigantisme, la gestion s’est éloignée des citoyen-nes. D’énormes pouvoirs sont concentrés entre les mains de quelques élu-es, peu connus pour leur rôle dans la gestion de ces grands organismes. Au SIAAP, ce sont des conseillers départementaux qui siègent. Au SEDIF, ce sont maintenant des représentants des établissements publics territoriaux qui n’ont donc pas été directement désignés par les électeurs-rices. Au SEDIF, le conseil syndical ne constitue qu’une chambre d’enregistrement, le vrai lieu de décision est le bureau qui regroupe le président et les vice-présidents, en nombre beaucoup plus réduits (une quinzaine de personnes). De fait, ce sont quelques « spécialistes », toujours les mêmes, qui occupent les postes-clés. Ainsi André Santini, le président du SEDIF est toujours le 3e vice-président du SYCTOM! André Santini, à la tête du SEDIF depuis 41 ans, bat tous les records de longévité politique. Cette situation favorise également les arrangements discrets entre forces politiques. L’éloignement des citoyen-nes, l’opacité entretenue sur les décisions font partie du paysage: on se souvient encore du vote à bulletins secrets et à huis clos pour le renouvellement de la délégation de service public au SEDIF en 2008.
Cette situation hors de tout contrôle réel explique aussi les liens troubles entre les gestionnaires publics et les mêmes multinationales, Veolia, Suez et la Saur, que l’on retrouve dans l’eau, l’assainissement et les déchets. Au-delà de ces affaires qui défraient la chronique, il faut aussi voir que ces grands organismes publics privilégient des choix industriels productivistes. Le SEDIF a l’intensité capitalistique la plus élevée (des trois principaux distributeurs d’eau en Île-de-France) notait la Chambre régionale des comptes en juillet 2017. Le SIAAP fonctionne avec une méga-usine qui traite à elle seule environ 60% des eaux usées franciliennes. La seconde en traite 20%. Deux usines traitent donc 80% des effluents de 6 millions d’habitant-es! Pour arriver à ce résultat, le SIAAP s’est livré à une véritable course au raccordement pour augmenter le volume d’effluents traités, moyennant des centaines de kilomètres de canalisations. Le SEDIF projette d’interconnecter les différentes usines de production d’eau potable pour un coût évalué à plus de 500 millions d’euros. L’un comme l’autre arrivent aux limites de cette fuite en avant. Pour faire face à l’augmentation des volumes d’eaux pluviales ou relever le défi de la qualité de l’eau, il faut un autre type de solutions, en amont et dans la proximité. des solutions qui ne font pas appel à des installations lourdes et donc n’intéressent pas les industriels.
C’est une autre raison pour laquelle, s’il faut d’abord que la justice suive son cours et que les corrompus et les corrupteurs soient sévèrement sanctionnés, cela ne suffira pas. Ces syndicats géants doivent être remis en question dans leur structure et dans leur fonctionnement pour faire une place importante à une gestion de proximité, plus écologique et plus démocratique. Plus vite la transition sera engagée, moins son coût sera élevé pour les habitant-es. L’échelle des territoires de la métropole semble de plus en plus pertinente pour aborder les défis actuels. Ainsi dans le domaine de l’eau, nous imaginons volontiers de nouveaux établissements publics à l’échelle humaine, sous le contrôle des citoyen-nes et des élu-es et coopérant entre eux.