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Billet de blog 3 juillet 2017

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Violences populaires, violences d’Etat. A propos de deux livres récents

Alors que se diffuse l'idée que la politique doit se rénover en prenant en compte le conflit, les passions et les émotions, il est nécessaire de revenir sur les expériences vécues pendant les guerres civiles et les moments pendant lesquels la "justice" populaire était réclamée. Deux livres récents nous apportent leur éclairage.

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Violences populaires, violences d’Etat

A propos de deux livres récents.

Sommes nous entrés dans une vie politique conflictuelle, comme le théorisent Chantal Mouffe et Íñigo Errejón dans leur livre Construire un peuple. Pour une radicalisation de la démocratie, paru aux Editions du Cerf, en 2015 (notamment pages 90-91) ? Va-t-on libérer les passions et « l’énergie de la plèbe » (p. 99) ?

A côté des exemples bien connus, trop débattus peut-être des guerres de religion ou de la Révolution française, la réflexion sur le recours à la violence « populaire » et son articulation avec la violence d’Etat peut s’alimenter à deux livres récents, celui de Pierre Triomphe, 1815. La Terreur blanche, Privat, 2017 et celui d’Hélène Ménégaldo, Diana Nikiforoff. De la Russie en révolution à la Cité interdite, Vendémiaire, 2017.

Les deux ouvrages n’ont aucun point commun : étude archivistique des événements survenus dans le Midi de la France entre 1814 et 1815 d’un côté, itinéraire, présenté à partir de ses souvenirs, d’une jeune femme née en Ukraine en 1914, prise dans les bouleversements de la Russie jusqu’en 1824, date à laquelle elle réussit à retrouver sa mère à Pékin, avant de repartir, toujours seule jusqu’à Paris où elle s’établit, de l’autre. Au-delà des différences d’écriture, ces deux textes livrent ici et là, dans leurs interstices peut-on dire, des témoignages sur la réalité la plus nue des expériences vécues dans des moments de grande conflictualité.

Remarquons bien que les exemples qui suivent n’apparaissent qu’au détour des démonstrations, comme ces choses vues, sur lesquelles on tourne la tête et qui restent cependant dans les mémoires. Ce n’est que dans les pages 195-197 que Pierre Triomphe rapporte que certaines fêtes organisées par les royalistes dans l’été et l’automne 1815 sont accompagnées « d’excès collectifs », pillant les biens et les maisons des protestants, mais aussi de supplices comme à Nîmes, ces femmes « mises à nud, qu’on fouette avec des battoir armés de clous, qu’on meurtrir jusqu’à danger de mort, qu’on épile, sans pudeur en montrant chaque pincée au public et s’écriant ‘voyez, voyez, elle a le poil tricolore’ », épisode qui annonce fâcheusement les humiliations infligées aux femmes accusées de collaboration en 1944.

En Vaucluse, ces actes sont dus au fait que « le peuple, ou plutôt une douzaine de furieux, déclarèrent que puisque le gouvernement ne punissait point, il fallait qu’ils se fissent justice eux-mêmes », justice qui s’affranchit des ordres royaux mais qui répondent à ceux de Dieu ! Comme l’écrit P. Triomphe : « le peuple royaliste revendique ainsi le droit, non pas de remettre en cause les fondements de l’ordre social, mais d’éliminer de son sein ceux qui occupent indument leur place », ce qui concerne éventuellement le duc d’Angoulême lui-même (p. 207). Le « dégagisme » ne s’arrêtera qu’après une mise au pas des royalistes par les agents du roi, situation qui en rappelle bien d’autres.

C’est un épisode plus dramatique qui est rapporté, au fil d’une vingtaine de pages, par H. Ménégaldo présentant les souvenirs de sa mère alors qu’elle vivait à Nikolaïev dans les années 1920 :

« Toute petite j’ai vu des choses terribles : des gens brûlés vifs, dépecés, emmurés vivants, pendus par les pieds tête en bas, ébouillantés dans des chaudrons comme des porcs. Des gens à qui on avait coupé le nez et la langue, ôté toute la peau comme un gant » ( p. 49).

« Un gamin d’une douzaine d’années se présenta comme volontaire à la Garde rouge. On l’inscrivit, on lui donna une arme. Cigarette au bec, ce jeune héros se rendit à l’école où il pointa son révolver sur l’instituteur – un représentant typique de « l’intelligentsia pourrie » - qui refusait de respecter la liberté des élèves dont la conscience révolutionnaire exigeait un réaménagement des heures de cours compatible avec la présence aux réunions des innombrables comités du Parti » (p. 51).

« On se levait le matin, sans savoir qui était le maître de la ville… Les vaincus de la veille, les fuyards tâchaient de dissimuler un peu les traces de leurs atrocités. Ils vidaient les caves où avaient eu lieu les tueries, chargeaient les cadavres dans les camions et les jetant en passant dans les fosses communes des cimetières, surtout celles du nouveau cimetière où, après chaque départ des Rouges, on trouvait enfouis des notables et des intellectuels. Quant aux Blancs, ils pendaient les blocheviques et les makhnovistes aux poteaux télégraphiques… Chaque changement de pouvoir commençait par des dénonciations, des représailles, une chasse à l’homme » (p. 66).

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