Mirabeau ou l’intermittent du Panthéon en quête de CDI ?
Avec la vague de panthéonisation actuelle, reconnaissons que les places sont chères, parce que rares. De ce point de vue, la proposition déposée à l’Assemblée nationale le 29 mars 2024 (N° 2420 rectifiée) par un groupe de députés Les Républicains, conduits par le député des Hauts-de-Seine Philippe Juvin, d’offrir une seconde chance à Mirabeau peut se comprendre.
Mirabeau avait été le premier locataire du Panthéon le 5 avril 1791, où il était entré entouré d’une foule immense. Il a été aussi le premier à en sortir le 21 septembre 1794, sur une décision prise le 25 novembre 1793, motivée – avec un certain délai - par la découverte, en décembre 1792, de papiers trouvés dans l’« armoire de fer » des Tuileries qui établissait la réalité de ses relations rémunérées avec le roi.
De là à lui accorder une seconde chance, la réponse n’est pas simple. D’autant que Marat a eu lui aussi le statut d’intermittent de la panthéonisation : rentré le 21 septembre 1794 et sorti le 8 février 1795. La gauche républicano-révolutionnaire serait en droit de demander que si Mirabeau entre au Panthéon à nouveau, Marat le remplace au bout d’un certain temps – durée à négocier – en bref qu’il y ait le respect de l’alternance, le duo Mirabeau-Marat incarnant, si l’on peut dire, la parité dans la diversité.
P. Juvin et ses collègues n’en sont pas encore là. Ils insistent sur le rôle clé de Mirabeau en 1789 ce qui n’est pas faux, notamment lors de la fameuse séance du 23 juin où il aurait résisté à l’ordre du roi en assurant que les députés ne se retireraient que par la force des baïonnettes. On ne chipotera pas sur l’authenticité de la chose.
Mirabeau a tiré de nombreuses ficelles, aidé par un puissant réseau et a participé indéniablement à la victoire du Tiers aux Etats généraux devenus Assemblée nationale. Mais il n’était pas le seul acteur loin de là et pour faire bref il n’a pas été suivi quand il a voulu préserver le pouvoir royal, pas plus qu’il n’a réussi à aider le roi à manipuler l’opinion.
Ses talents oratoires indéniables lui ont valu une popularité durable, mais aussi les réticences persistantes de nombre de députés, lui reprochant, non sans raison, des ambitions personnelles inextinguibles.
La prise de la Bastille lui avait fait prendre conscience du risque de laisser les émeutes populaires profiter du vide du pouvoir ; il n’arriva pas cependant à inspirer une politique qui puisse les contenir et il y a fort à parier que sa mort précoce, en 1791, lui aura évité la guillotine qu'il aurait rencontrée deux ou trois ans plus tard.
Quant à en faire l’un des protagonistes essentiels de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen serait oublier les conflits qui opposèrent les bureaux chargés de la rédaction et le résultat né d’un compromis qui ne satisfit personne. Faut-il aussi rappeler que la Constitution des Etats-Unis fut écrite en 1787 et qu’elle servit de modèle au monde entier, que celle de la Pologne fut adoptée en mai 1791, quatre mois avant celle de la France ?
Quant à le présenter comme un trait d’union entre les « révolutionnaires » et le roi, commençons par dire que parler de « révolutionnaires » avant la fin 1790 et le début de 1791 est une facilité de langage qui ne correspond pas à la réalité politique de la France.
En juillet 1791 encore, Mirabeau étant déjà au Panthéon, Robespierre lui-même n’était pas favorable à une république - que très peu de militants réclamaient. La constitution de 1791 a installé une monarchie parlementaire, fragile institutionnellement mais approuvée par la quasi-totalité de l’opinion. Le 10 août 1792 est largement dû à la maladresse et au double jeu du roi et de la reine, payant ensuite de leurs têtes leur refus de suivre les conseils, forts onéreux, de Mirabeau.
Dernier point, non des moindres en notre XXIe siècle voulant que morale se conjugue, au moins officiellement, avec politique : la vie privée de Mirabeau est littéralement hors norme. Sauf à le faire entrer au Panthéon avec deux autres grands hommes d’Etat, amateurs d’argent et de femmes, Danton et Talleyrand, il paraît difficile d’excuser le machisme de Mirabeau en invoquant ses talents d’orateur, comme d’autres le font à propos de grands artistes…
Il est alors difficile de ne pas voir dans cette initiative une volonté de réécrire l’histoire de France en proposant un « grand homme », un « people », issu de la noblesse mais aimé du populo et populo lui-même, réformateur déterminé mais opposé aux « excès », capable de nouer l’ancien et le nouveau, tout cela pour assurer que la République continue bien d’être dans la suite de la Révolution.
L’hypocrisie étant un vice qui rend hommage à la vertu, faut-il comprendre que la Révolution reste encore si vivace et si attractive pour qu’il faille tordre le bras à l’histoire pour faire de Mirabeau un panthéonisable à contrat à durée indéterminée, en CDI ?
Dans cette perspective, le retour de Mirabeau au Panthéon ne serait pas « symbolique » mais plutôt symptomatique de la période dans laquelle nous vivons et dans laquelle les promoteurs de la panthéonisation veulent nous maintenir.