Aurait-on demandé de se calmer en 1789 ?
Évidemment les coïncidences ne portent pas toujours de sens, mais quelle note aurait eu au baccalauréat, dont les résultats viennent de tomber, l’élève qui aurait assuré, froidement, qu’en 1789, il avait été impossible de dire aux émeutiers – responsables de la prise de la Bastille évidemment – qu’il fallait se calmer, comme vient de le dire une députée récemment ?
Prononcée pendant un « grand oral », la phrase aurait sûrement été prise avec modération, les membres du jury auraient rappelé que si l’on peut toujours garder en tête les « grands récits » collectifs, il vaut mieux quand même se méfier des légendes, roses ou noires, génératrices d’idées fausses et de convictions simplistes.
Dans les quelques minutes d’échange, les mêmes auraient incité l’élève à relire plus attentivement les livres d’histoire et lui auraient signalé, rapidement, quelques points :
- La prise de la Bastille du 14 juillet a été précédée, entourée et débordée, par les mouvements collectifs qui dès le 10 ont brûlé et détruit les barrières d’octroi, permettant que des foules de milliers de personnes fassent passer toutes sortes de marchandises sans payer les taxes indispensables au fonctionnement des services de la ville.
- Si dans l’immédiat, l’octroi n’avait pas été rétabli, la municipalité, dirigée par le maire Bailly, s’était employée à le remettre en usage et à renforcer le contrôle confié à des unités spécialisées.
- Le 13 juillet, les pillages effectués aux Invalides ou dans le couvent Saint-Lazare avaient suscité des craintes sur l’emploi des armes si bien que des patrouilles de « patriotes » avaient sillonné Paris pour éviter des désordres ;
- Le 14, la mise à mort du gouverneur de la Bastille, Launay, s’était effectuée au cours d’un mouvement de foule que les principaux responsables de la prise de la forteresse avaient contenu tant bien que mal d’une part. Si bien que d’autre part, les manifestations qui partent de la Bastille pour aller vers l’hôtel de ville et le Palais royal distinguent celle qui composée de « patriotes » revendique la victoire symbolique, de celle qui promène des têtes coupées au bout des piques.
- Dans les jours suivants, la municipalité et tous les élus parisiens s’emploient à contrôler et à limiter la circulation des armes.
- La pendaison et la décapitation, le 23 à Paris, de deux proches de Louis XVI, Foulon et Berthier, par une foule que ni Bailly, ni La Fayette, n’avaient réussi à calmer, employons le mot, provoquent des condamnations parmi les députés des États généraux. Barnave s’étonne certes que les députés réagissent ainsi en considérant sans doute que ce sang était si pur, avant de regretter sa parole. Comme il le dira plus tard, il s’agissait de dire que cette émeute contre deux personnages particulièrement odieux ne devait pas se reproduire et qu’il convenait que les représentants de la nation prennent les mesures adéquates pour régler à l’avenir l’emploi de la violence – position que Robespierre partage. La violence doit être comprise et contrôlée.
- Les révoltes parfois très importantes qui touchent des régions entières, Bourgogne, Franche-Comté, Dauphiné, sont dans les semaines qui suivent réprimées avec une grande force. Des paysans sont pendus à Tournus…, autour de Bourgoin, leurs corps restant exposés plusieurs jours.
- Les violences exercées en Lorraine et dans la Haute-Alsace contre les communautés juives, des milliers de personnes étant chassées vers Bâle, sont couvertes par une grande partie de la population, qui s’émeut en revanche quand les émeutiers s’en prennent aux biens des « chrétiens » comme on le dit alors, mettant fin aux exactions.
- Pour aller vite, la nuit du 4 août n’abolit les « privilèges » que sur le papier, la suppression de la dîme due à l’Église entrainant le cours de l’histoire dans une aventure dangereuse sans donner de réels profits aux ruraux les plus pauvres. De l’avis de Marat, de Robespierre et de Louis XVI, la fameuse nuit profite d’abord aux « capitalistes » (le mot est d’époque) et il faut attendre 1793 pour que les droits « féodaux » soient supprimés, la Convention ayant besoin de la masse paysanne pour les guerres en cours.
- Dès le 10 août, l’Assemblée nationale rétablit l’ordre en réprimant tout désordre, un certain nombre de meneurs « populaires » étant alors poursuivis et certains pendus ou envoyés aux galères à la suite de procès menés et conclus en 24 heures.
On comprend pourquoi le « peuple » n’a pas eu de définition bien claire, non pas qu’il soit « insaisissable » mais bien parce que c’était en fonction de son rôle dans le déroulement de la vie politique qu’il était utile, donc louangé, ou rejeté, et déprécié. Si 1789 est un exemple à citer c’est pour la complexité qu’il portait et dont nous sommes toujours dépendants.
Ce qu’une petite chronologie rappelle
- 5 mai, les magistrats de la Cour des Aides parlent du « droit du Peuple ».
- 8 juillet, Mirabeau dénonce ceux qui veulent soumettre « le Peuple au despotisme ».
- 17 juillet, Louis XVI est accueilli à Paris comme « père des Français, et Roi d’un Peuple libre ».
- 5 et 6 août, des journalistes dénoncent les manœuvres des « ennemis de la liberté » qui « arment le Peuple contre le Peuple »…
- 14 septembre, d’autres veulent unir « le Peuple » et le roi contre les « riches ».
- 16 septembre, Marat change le titre du Publiciste Parisien qui devient L’Ami du Peuple.
- 20 octobre, après le meurtre du boulanger François, le « peuple » est opposé aux « méchants » responsables de l’assassinat…
- 6 novembre, à quoi Mirabeau répond en défendant « les parties du Peuple [qui sont] appelées la canaille » par « les ennemis de la liberté ».
- 28 décembre, des députés « patriotes » craignent que « le peuple » se joignent à la populace ».
On n’évoque que pour mémoire les débats relatifs aux massacres de septembre 1792, à la « terreur », etc.
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Sans doute, pour finir, les membres du jury ont-ils élagué un peu les faits, avant de souhaiter de bonnes vacances studieuses à l’élève un peu imprudent.e.