Quand 1789 était devenu contre-révolutionnaire en 1793 : la destruction de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
Déclaration des droits de l’homme de 1791 pilonnée par le mouton national.
Comment comprendre que la plaque de cuivre qui servit à imprimer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, comme préambule à la Constitution de 1791, a été tordue et cassée avant d’être conservée aux Archives nationales à Paris. Comment comprendre que cette déclaration, qui est l’un des principaux symboles de la Révolution et l’une des fiertés nationales, ne serait-ce que pour avoir inspiré la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 des Nations unies, ait pu être répudiée et détruite en 1793 ? Et pourquoi cet événement, peu fréquemment rappelé, a-t-il été contredit aussitôt par la conservation de la plaque martelée ?
Commençons par le pilonnage réalisé en utilisant le « mouton » national. Le 25 avril 1793, la Convention nationale décrète que « le coffre de bois de fer déposé & enfermé le 14 juillet dernier, dans une des pierres fondamentales de la colonne de la liberté, qui doit être élevée sur les ruines de la Bastille, en sera retiré ; que les monuments qu’il contient, qui présentent des caractères contraires au système général de la liberté, de l’égalité de la république une & indivisible, seront brisés en présence des citoyens Cambacerès, Charlier, Ruhl & Legendre, membres de la Convention nationale, & qu’il ne pourra en être substitué d’autres que ceux qui auront été désignés par le comité d’ins truction publique, & décrétés par la convention nationale ».
Ce fut Palloy, bien connu à l’occasion de la démolition de la Bastille, qui exécuta l’opération le 5 mai 1793. À cette date, non seulement l’édification de la colonne de la Liberté à l’emplacement de la Bastille n’a pas commencé, mais la rédaction de la Constitution de l’an I de la Liberté bute sur les divergences d’opinions entre Girondins et Montagnards. Il faut attendre l’éviction des Girondins de la Convention le 2 juin 1793, puis la rédaction d’une nouvelle constitution par les seuls Montagnards, Robespierre parmi eux, pour que, le 24 juin 1793, cette nouvelle constitution – avec la nouvelle Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en préambule – soit acceptée. Elle est solennellement célébrée le 10 août 1793, avant d’être, deux mois plus tard, suspendue et mise à son tour dans une « arche de cèdre », pour n’être finalement jamais appliquée.
Le « gouvernement révolutionnaire » dure deux années jusqu’en août 1795, date à laquelle une nouvelle constitution permet l’installation du Directoire, ce nouveau régime politique qui durera jusqu’en 1799. Quant à la colonne, il faudra attendre 1831 pour que les premières pierres soient posées et 1840 pour qu’elle soit achevée.
La radicalité de la mesure prise en 1793 peut se comprendre ainsi : le 10 août 1792 puis la proclamation de la République le 5 septembre suivant avaient balayé la monarchie parlementaire installée le 14 septembre 1791, quand le roi Louis XVI avait approuvé ensemble la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Constitution. Pour autant, la condamnation de la Déclaration de 1789 est injustifiable, puisque les Conventionnels n’ont pas pu s’accorder sur une nouvelle déclaration des droits ni sur la constitution, ce qui discrédite le jugement porté sur la plaque d’impression et sa destruction.
Cette plaque pilonnée, mais conservée, rappelle la fragilité de toutes nos institutions et la nécessité de les protéger. Une fragilité qui justifie, paradoxalement, que cette plaque figure dans ce livre comme l’un des objets essentiels de la Révolution française.
Texte extrait du livre paru aux Editions Eyrolles, Paris, 50 objets racontent la Révolution française, 2025, p. 188-190