L’histoire en toute liberté
à propos de La Femme aux Doigts d’Or de Jean-Christophe Portes, City Editions, 2022, 345 pages.
Après une carrière télévisuelle, Jean-Christophe Portes est connu pour ses romans policiers et notamment pour la série qu’il consacre à la Révolution française. Le personnage central est un jeune officier de la gendarmerie qui se fait appeler Dauterive, en un seul mot, pour faire oublier qu’il est un cadet de petite noblesse rallié à la Révolution, partagé entre ses engagements et son attachement à l’ordre et à la justice.
Une suite, déjà impressionnante, de livres présente les enquêtes de ce héros, retraçant l’histoire de la Révolution elle-même. Dauterive est en effet confronté à des meurtres stupéfiants lui faisant découvrir les réseaux qui agissent en sous-main et orientent le cours des événements. Ainsi notre officier a-t-il été amené à mettre en doute la probité des vainqueurs de la Bastille, à se méfier de tous les partis liés à la fuite du roi arrêtée à Varennes, à prendre le parti de la Révolution (et de Danton) au moment du 10 août 1792, ou encore à sauver la face de l’armée révolutionnaire juste avant Valmy. Chaque ouvrage correspond – raconte - ainsi un épisode essentiel de la Révolution.
Dans ce roman, la trame de l’enquête enclenchée par la mort suspecte de la jeune domestique d’une actrice appartenant à la célèbre troupe dirigée par la Montansier est l’occasion de voir ce qui se joue dans les coulisses du procès du roi, de novembre 1792 à 1793. Si bien que, sans « spoiler » le livre, celui-ci se clôture le 21 janvier précisément en nouant fermement l’Histoire avec sa grande hache - l’expression a tout son sens ici - avec l’histoire personnelle, intime même d’un personnage de fiction.
C’est d’ailleurs ce que l’auteur revendique hautement, et à raison, dans les ultimes pages en dévoilant ses arrangements avec les faits attestés ou au moins acceptés par l’historiographie – ce que n’auraient pas fait ni Balzac, ni Dumas, ni Hugo pour ne citer que ces trois grands inventeurs de l’histoire romancée. Et reconnaissons que J.-C. Portes respecte le contrat qu’il s’assigne.
La trame romanesque, bien appuyée sur la reconstitution de la vie de l’époque, s’inscrit habilement dans les trois mois du procès, dont les grands traits sont rappelés sans accabler le lecteur. Dauterive peut ainsi aller de Paris à Bruxelles, où il rencontre Danton – ce qui est crédible -, puis à Londres, où il voit Talleyrand – ce qui ne l’est pas -, avant de revenir en France jusqu’au scrutin qui décide de la mort du roi, sur l’intervention de Danton – ce qui éminemment crédible -, le tout créant une trame fictionnelle, pleine de rebondissements romanesques au sens plein de l’adjectif, en donnant une explication très politique, et très historique, de l’exécution du roi, puisque la corruption toujours mystérieuse des députés de la Convention est évoquée !
L’aveu ultime des inventions du livre (notamment l’emploi de personnages eux aussi bien mystérieux du baron de Batz et de Madame de Bonneuil) donne une épaisseur au roman qu’il faut apprécier à sa valeur, en insistant sur ce qui reste - et restera sans doute - inconnu. Débrouillera-t-on un jour les arrangements financiers autour de la Compagnie des Indes, de la suppression des offices et du ravitaillement des armées de la Révolution ?
On ne peut que féliciter J.-C. Portes pour s’être tiré aussi habilement de ce grand micmac de 1792-1793, et conclure que chacun, universitaire/auteur de fiction, restant à sa place, les protagonistes - de l’histoire et de la fiction - peuvent cohabiter, se combiner, s’échanger en faisant rêver l’amateur de roman historique (souvent un homme) et s’interroger les professionnels de l’histoire universitaire sur les limites de leurs investigations.
Jean-Clément Martin