L’Histoire en marche arrière ? Emmanuel Macron: « La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif »
(Cité notamment par L’Express, le 08/07/2015.)
C’était il y a deux ans ; déjà le souverain perçait sous le conseiller, mais la phrase vient de ressortir sur l’antenne de France-Culture, ce jour, 13 juin 2016 à 7 heures 27 dans la revue de presse. Elle fait partie d’une déclaration plus large : « Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le Roi n'est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d'y placer d'autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l'espace. »
Chacun, président ou pas, a le droit irréfragable de penser et de dire ce qu’il veut – dans le respect des lois ; personne en revanche n’est obligé de répéter les propos d’un président ou d’un non-président en faisant abstraction d’esprit critique.
On peut ne pas rappeler que ce genre de réflexions a été tenu notamment par le philosophe Claude Lefort il y a une trentaine d’années pour souligner le risque porté en soi par la démocratie, régime qu’il estimait né de la disparition du corps politique du chef et dont il liait la survie à la lutte contre les tendances totalitaires, désireuses de bâtir le peuple-un, au prix de « la terreur ».
A ce moment là, la dénonciation de la Terreur unissait les anciens contempteurs du système soviétique avec les plus anciens dénonciateurs de la Révolution française, tous reprenant les non moins vieilles descriptions de la Terreur, régime qui aurait détruit l’ordre des choses et traumatisé les Français sur au moins sept générations.
Face à cela, deux attitudes auraient pu prévaloir. La première, la plus simple, aurait été de rappeler que la mort du roi avait été manifestement acceptée par la grande majorité de la Nation ; preuve étant donnée par la défense du pays contre les ennemis étrangers, les émigrés et les royalistes. La phrase de Balzac « en coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé la tête à tous les pères de famille » ne peut pas faire oublier qu’un autre mythe bien vivace est né de l’engagement, bien réel, des volontaires de l’an II, auquel l’actuel président fera peut-être appel bientôt pour justifier l’état d’urgence permanent. Que la mémoire de Louis XVI ait été renforcée par la fermeté manifestée sur l’échafaud n’enlève rien à l’abandon de la monarchie manifestée par les Français du XIXe siècle après les échecs de la Restauration, de la Monarchie de Juillet et du second Empire. Que les présidents républicains aient hérité des fastes du pouvoir royal ne veut pas dire pour autant qu’ils se moulent dans l’habitus monarchique. L’autoritarisme républicain a d’autres racines potentielles que l’imitation du Roi-Soleil.
Quant à la terreur, que l’on peut illustrer par la guillotine et par Robespierre, il est difficile de la voir comme un vide émotionnel, alors qu’elle est plutôt du côté du trop-plein. Elle demeure une source continuelle de nos références et notamment un enracinement privilégié pour parler de la vie politique, voire des relations sociales les plus élémentaires. Qui n’a pas été menacé de la guillotine sur son lieu de travail, dans une soirée entre amis, ou n’a pas vu l’instrument exhibé fièrement dans les fêtes (pseudo) historiques ? Que notre pays ait fait le deuil des violences révolutionnaires, sûrement pas ; qu’il y ait toujours des effets de sidération devant les mises à mort politiques, est l’évidence. Car précisément les passions demeurent et c’est de cela qu’il faut se préoccuper.
Cette préoccupation justifie que l’on adopte une autre attitude face à ce genre d’affirmation. Combien de fois faudra-t-il rappeler que « la Terreur » n’a pas été un système politique institué en France, que ce soit en 1792, 1793 ou 1794, que la Convention n’a jamais mis la Terreur à l’ordre du jour, que Robespierre le 8 thermidor la refuse expressément à deux reprises et que ce ne fut qu’un mois après son exécution que la période imprécise qui venait de s’achever fut baptisée « la Terreur » par les Thermidoriens pour accuser ceux qu’ils venaient d’abattre et s’exonérer de toutes responsabilités dans la répression qui avait eu lieu ?
Cette répression, dont les excès les plus connus ont eu lieu en Vendée, était due aux luttes internes entre révolutionnaires, à leur volonté de s’emparer du pouvoir central ; elle fut progressivement limitée au fur et à mesure de la centralisation opérée par les députés à partir du printemps 1794. En aucun cas il n’y eut de vide émotionnel dans ces moments là, tout au contraire le pays vivait-il sur la rencontre d’expérimentations politiques contradictoires, dont le souvenir allait irriguer les réflexions politiques pendant plus d’un siècle.
Parler de « la terreur » ainsi c’est opérer une diversion pour éviter de voir la politique comme elle a été, dans sa quotidienneté et ses contraintes, dans ses règlements de compte et ses exigences ? C’est continuer à croire que les discours d’assemblée sont toute la politique, que les idées mènent le monde et que les hommes exceptionnels surgissent quand il le faut ! Arrivera-t-on à vivre sans ce « roman national » éculé qui agite des marionnettes de héros et de victimes et à considérer la Révolution comme une période historique « normale » ?
Parler de la terreur et de la mort du roi de cette façon c’est donc simplement reprendre des clichés sans fondements ni valeurs, c’est encore une fois donner de l’histoire de la Révolution une image inversée de la réalité en transformant Robespierre en monstre et la Terreur en système totalitaire. C’est aussi empêcher de comprendre ce qui s’est effectivement passé et plus gravement interdire de faire le deuil des affrontements qui ont eu lieu et dont les souvenirs n’arrivent toujours pas à être intégrés correctement dans l’histoire nationale. Quitte à renouveler le personnel politique, oublions aussi les Thermidoriens et leur invention de la Terreur !
Que l’histoire soit en marche, pourquoi pas, encore ne faudrait-il pas que ce soit en marche arrière.