Préface au livre de Xavier Maudet et Bernard Aumond
Patriotes et crimes de guerre en Vendée militaire
Le district de Châtillon-Bressuire 1789-1799
Juillet 2023
Editions Claude Le Mastin
La Favrière, 30 route de Bressuire
79250 Nueil-les-Aubiers
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9 782952 181051
Deux siècles se sont écoulés et la guerre de Vendée demeure d’actualité. Mais si elle est toujours un des enjeux importants de la mémoire nationale, elle est loin d’être connue dans sa complexité. Malgré les dizaines de milliers de publications, livres et articles, qu’elle a suscitées, beaucoup reste à faire pour comprendre comment cette guerre a été vécue au sein des communautés de la région. A côté des grands récits, qui sont autant de visions globales souvent liées à des positions personnelles, l’histoire « locale » - adjectif régulièrement utilisé de façon dépréciative - se révèle essentielle. C’est en étudiant les relations entre les habitants d’une ville ou d’un « pays », qu’il est possible de voir les raisons de leurs engagements, les motifs de leurs querelles et les conséquences de leurs affrontements, donc le sens de leurs destins. Ce qui ne veut pas dire que nos analyses soient facilitées. Les archives donnent à lire des documents écrits par des personnes confrontées aux horreurs d’une guerre civile, ce qui oblige à interpréter avec beaucoup de prudence leurs témoignages, leurs déclarations et même les renseignements apparemment les plus insignifiants.
Une communauté déchirée par une guerre fratricide
C’est dans ce genre d’entreprise que Xavier Maudet et Bernard Aumond se sont lancés à propos du district de Bressuire et de Châtillon. Cette partie « vendéenne » des Deux-Sèvres n’est pas la plus connue ; mais c’est de là que partit Henri de La Rochejaquelein, généralissime de l’Armée catholique et royale, mort à vingt et un ans ; c’est à Châtillon que cette armée établit son Conseil supérieur ; ce fut une zone lourdement éprouvée par les combats et par les dévastations. Les auteurs se sont attachés à suivre des itinéraires personnels et familiaux, à établir les généalogies et les parentèles pour comprendre comment les habitants de ce district ont traversé cette guerre. Le foisonnement que ces pages révèlent pourra effrayer un peu le lecteur tant les pistes sont nombreuses, souvent imprévues, plus souvent encore touchantes ou accablantes, nombre d’entre elles s’étant achevées tragiquement.
Pour cette recherche, les deux auteurs ont balayé large, de 1792 jusque dans les années 1830, pour mettre en perspective les années 1793-1794. Cette attention à la longue durée est importante parce qu’elle montre que des vengeances et des règlements de compte s’effectuèrent parfois trente ou quarante ans après les événements qui les avaient suscités. Surtout ce travail corrige l’idée trop répandue qui veut que le voile de l’oubli aurait été jeté délibérément sur des crimes de 1793-1794 afin qu’ils restent hors des mémoires. Xavier Maudet et Bernard Aumont le rappellent à raison : la guerre a laissé derrière elle de longues inimitiés qui ont façonné les relations familiales et de voisinage, si bien que les violences peuvent ne pas être dites, sans qu’elles soient oubliées. Elles sont, même, comme tout le monde le sait ici, au cœur des identités familiales, leurs souvenirs se transmettant, tant bien que mal, au fil des générations. Comment comprendre sans cela la création dans la Vendée comme dans la Bretagne chouanne, donc dans tout l’Ouest insurgé, de ces sociétés où, jusqu’à aujourd’hui encore, des familles continuent à fonder leurs modes de vie sur le rappel, plus ou moins explicite, de ce qui s’est passé pendant la Révolution ?
Il faut se garder cependant d’aller trop vite, en aucun cas ces transmissions mémorielles n’ont été simples. L’histoire de l’humanité apprend que pour sortir des divisions effroyables causées par une guerre civile il ne faut pas raviver les traumatismes, ce qui n’est ni silence, ni oubli ; la Vendée n’a pas échappé à la règle. Ce livre montre comment dès 1795, tout ayant changé avec les traités de paix inouïs, la reconstruction impose des arrangements et des négociations. D’autant que les ruptures entre les camps n’ont eu aucune simplicité : des nobles furent patriotes et des protestants vendéens, des « familles recomposées », formule d’aujourd’hui judicieusement employée, naquirent de mariages entre une « blanche » et un « bleu », une Vendéenne et un soldat de la République, sans parler des familles qui firent tout pour laisser dans l’ombre tel ancêtre qui avaient eu des responsabilités dans un camp ou l’autre – toutes situations qui ne sont pas spécifiques à la Vendée loin s’en faut. Xavier Maudet et Bernard Aumont estiment même que les Mémoires de la marquise de La Rochejaquelein, ce best-seller des années 1820, a joué un rôle paradoxal dans la fabrication des souvenirs en insistant surtout sur les responsabilités des généraux et des soldats républicains venus de toute la France, minorant d’autant le rôle des républicains originaires de la Vendée et en l’occurrence, ici, des Deux-Sèvres.
Comment qualifier ces événements dramatiques ?
C’est la question la plus grave que pose, avec justesse, ce livre. Il n’est pas anodin qu’il commence par le rappel des oppositions politiques et religieuses qui jettent les habitants les uns contre les autres dès 1791. Le soulèvement qui se produit ici en août 1792 fait suite à toutes les bagarres parfois mortelles qui opposaient déjà depuis plusieurs mois les partisans de la Révolution aux soutiens des prêtres réfractaires et aux contre-révolutionnaires convaincus. Cette rébellion était aussi manifestement liée à des manœuvres de quelques seigneurs liés aux réseaux contre-révolutionnaires, puisqu’au même moment une révolte semblable avait lieu aux limites de la Bretagne et de la Mayenne, dans ce qui allait être ensuite le point de départ de la chouannerie. La répression féroce qui s’abat sur les paysans insurgés près de Bressuire en août 1792 marque les esprits et radicalisent les opinions, même si les archives semblent peu loquaces. Il convient d’en dire un mot pour comprendre la différence avec ce qui se passe l’année suivante.
L’opération répressive a été menée, comme tant d’autres depuis des siècles, selon les pratiques exagérément violentes exercées par toutes les troupes convaincues de leur bon droit contre des populations insurgées - celles-ci étant, faut-il l’ajouter, considérées avec mépris et crainte. Il suffit de remonter le temps sans aller jusqu’au Moyen-Âge pour citer l’incroyable brutalité des répressions qui ont écrasé les révoltes des gueux, des bonnets rouges bretons ou des camisards cévenols. L’entrée en Révolution n’a changé ni les mœurs ni les habitudes.
Faut-il aussi souligner, ce qui apparaît bien dans ce livre, que les Bressuirais ne partirent pas « en guerre » en 1793 mais qu’ils se soulevèrent contre des lois qu’ils refusaient, s’inscrivant dans la grande tradition des communautés rurales osant le coup de force contre un abus de pouvoir ? La violence la plus nue qui court dans toutes les sociétés de cette époque nous est inconnue et difficilement compréhensible. Les mises à mort de rivaux, de voisins détestés, de garde-chasse trop tatillons ou de gros fermiers trop intransigeants sont monnaie courante quand les mécontentements font exploser les règles ordinaires de la vie communautaire. Or depuis 1790 les tensions existantes avaient été aggravées par toutes les mesures prises pour changer l’organisation politique, sociale, religieuse. L’obligation d’envoyer des jeunes gens dans l’armée, la fameuse « levée des 300 000 hommes » a été la goutte qui a fait déborder le vase.
Le changement vient du contexte politique de mars 1793 et des luttes entre révolutionnaires. Si la politisation des antagonismes n’a pas encore totalement modifié les mentalités, des élites, comme le jeune Henri de La Rochejaquelein, savent bien dans quel combat elles s’engagent, même si leurs réseaux clairement contre-révolutionnaires furent débordés par les initiatives paysannes. La mutation déterminante vint de Paris, quand la Convention se mit à parler, après le 19 mars 1793, de « la guerre de Vendée et des départements circumvoisins ». Alors que tout l’Ouest était soulevé, comme une partie de l’Alsace, sans parler de zones dans le Nord, dans le Massif central… contre la levée des 300 000 hommes et contre la Constitution civile du clergé, ce ne fut qu’au sud de la Loire que l’état de guerre fut proclamé. Une défaite, à vrai dire peu importante au centre de la Vendée, fut utilisée par des députés de la Convention pour régler les conflits internes qui les divisaient entre eux – conflits mortels. En parlant de « guerre de Vendée et des départements circumvoisins » les montagnards désavouaient les girondins et entamaient leur élimination politique et physique. Ce qu’ils n’avaient pas prévu était que cette qualification prise sans précaution allait avoir des conséquences effroyables sur place. La révolte des paysans du sud de Loire transformée en « guerre de la Vendée » – les autres départements ne sont plus nommés – crée une guerre politique dans laquelle sont envoyées des troupes de toutes les régions, parmi lesquelles nombre de mauvais soldats et de jeunes gens ambitieux et peu scrupuleux, venus satisfaire leur goût de la violence et du pouvoir. Ce sont ces Grignon, ces Augé, que le livre cite, les uns originaires de la région, les autres d’ailleurs, qui vont commettre ou laisser commettre des crimes de guerre, au sens où l’expression désigne bien les « assassinats, mauvais traitements […] des populations civiles dans les territoires occupés, […] des prisonniers de guerre […], exécutions des otages, pillages de biens publics ou privés, destruction sans motif des villes et des villages, ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires » pour reprendre une définition courante.
Le pire est commis dans l’automne 1794 et le printemps 1794, surtout quand les colonnes incendiaires, les fameuses colonnes infernales, ravagent le pays sans discernement sous la conduite de certains généraux comme Grignon. L’origine des soldats compte alors moins que leurs opinions radicales, que leur incompétence militaire et que leur sauvagerie. Non seulement ils échouent puisqu’ils relancent la guerre mais ils trouvent même contre eux des républicains qui les dénoncent et arrivent à arrêter leurs marches dévastatrices, ce que ce livre rappelle. En résulte cependant la succession des combats qui détruisent notamment Châtillon et Bressuire à plusieurs reprises, une armée chassant l’autre.
C’est dans ce cadre que des patriotes locaux donnent la main à la répression en appliquant lourdement les procédures existantes à l’encontre de ceux qui sont entrés en rébellion. Ils appliquent avec sévérité un décret du 19 mars 1793 qui envoie immédiatement à la mort ceux qui portent des armes ou des signes contre-révolutionnaires. Si dans l’ensemble du pays tous les tribunaux et tous les juges n’ont pas appliqué ce décret à la lettre, dans le Bressuirais pris par la guerre, les lois les plus dures sont suivies. Ces décisions peuvent-elles être qualifiées de crimes de guerre ? Au-delà de l’effroi que ces mesures provoquent, la réponse n’est pas positive. Même si d’autres personnes que des insurgés armés sont emprisonnés et condamnés, que de simples suspects, hommes et femmes, en sont victimes, ces condamnations relèvent d’abord de l’arsenal législatif que les gouvernements emploient contre les révoltes et les insoumissions, hors de tout état de guerre. Il faut ici rappeler que tous les « brigands », « chauffeurs » et autres mécontents et opposants au régime, qu’ils soient dans les grandes plaines du Nord de la France, dans la vallée du Rhône ou dans le pays niçois, ont été poursuivis, parfois d’une façon féroce, jusqu’en 1804, au moins. Il est aussi évident que, en Vendée et notamment dans le Bressuirais, les représentants de l’autorité républicaine ont réglé des comptes personnels en profitant de la guerre en cours, commettant ce genre de crimes commun à toutes les guerres civiles du monde entier et de toute éternité. On voit bien alors, et c’est une des leçons de ce livre, comment les républicains qui ont participé à cette répression font marche arrière, voire cherchent à se faire oublier, après 1795 quand la pacification incertaine et fragile s’installe.
C’est toute cette épaisseur de la guerre de Vendée que ce livre révèle dans sa texture compliquée au point de le rendre difficilement résumable. Le dire ainsi n’est pas dénoncer un défaut. C’est parce que nos mémoires collectives n’ont pas réussi à prendre en considération toutes ces dimensions que cette guerre demeure au cœur de notre actualité. Il faut remercier Xavier Maudet et Bernard Aumond de cette enquête qui doit nous inciter à réfléchir ensemble sur cette guerre qui ne fut jamais oubliée mais jamais suffisamment insérée dans l’histoire compliquée de la Révolution française.
Jean-Clément Martin