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Billet de blog 14 novembre 2014

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L’assassin volant et les leçons de l’Histoire

Devant la polémique qui se développe autour du jeu d’Ubisoft, Assassin’s Creed, situé pendant la Révolution française, il me paraît souhaitable de proposer une rapide réflexion, à partir de ma relation personnelle avec ce jeu. J’ai été impliqué comme conseiller scientifique de ce jeu, ayant eu à donner un avis sur le scénario comme sur la réalisation technique d’une phase.

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Devant la polémique qui se développe autour du jeu d’Ubisoft, Assassin’s Creed, situé pendant la Révolution française, il me paraît souhaitable de proposer une rapide réflexion, à partir de ma relation personnelle avec ce jeu. J’ai été impliqué comme conseiller scientifique de ce jeu, ayant eu à donner un avis sur le scénario comme sur la réalisation technique d’une phase. Je n’ai joué pour autant qu’un rôle secondaire dans l’entreprise, n’ayant jamais eu ni l’intention ni la possibilité de prendre des décisions.

Alors que quelques bandes annonces ont apparemment suffi à enflammer le web, ma connaissance du scénario m’incite à proposer une sorte de vade mecum pour éviter d’inutiles malentendus. 

L’assassin était à tous les étages

Commençons par rappeler que cet épisode succède à un jeu qui se déroulait au temps de la piraterie, qui suivait lui-même un jeu se déroulant dans la Florence de Savonarole. Ce qui est visé est une longue guerre, quasi intemporelle, entre deux sectes, celle des « templiers » et celle des « assassins », qui traverse les siècles et les lieux ; la Révolution n’est qu’un théâtre approprié pour que soient mis en scène les actes violents qui sont la caractéristique principale de ce jeu. Inutile donc de chercher une dénonciation de la Révolution fabriquée par les complots templiers ou francs-maçons, ou d’une Révolution particulièrement sanguinaire. La trame même du jeu est le recours à l’extrême violence quelles que soient les situations, permettant de voir finalement comment l’histoire de l’humanité repose sur une guerre civile éternelle entre groupes rivaux.

Sans aucun jugement, ce parti pris n’a aucune originalité. La majorité des œuvres (séries ou jeux) qui s’inscrivent dans le domaine de la « fantasy », cette sorte de science-fiction « historique », utilise ce ressort dramatique. Il suffit de penser à la fresque monumentale de G.R.R. Martin, Games of Thrones (Le trône de fer) pour trouver son exact pendant. En France, les auteurs de fantasy Jean-Philippe Jaworski ou Pierre Bordage y recourent abondamment. C’est notamment le cas de Bordage dans sa trilogie L’enjomineur qui se passe pendant la Révolution, à Paris et en Vendée.

La violence en son miroir

Que la guillotine soit citée ne doit pas étonner personne. Reste à ne pas tomber dans le panneau et à voir là une horrible machination pour accabler la France. Encore aujourd’hui bien peu de manuels scolaires osent simplement rappeler que la machine à décapiter avait représenté un progrès dans la façon judiciaire de punir et que hormis quelques petits pays qui avaient aboli la peine capitale, les autres mettaient en œuvre des procédés bien plus effrayants. De ce point de vue, la France a précédé l’Angleterre d’une bonne trentaine d’années. Mais encore maintenant, l’image de la guillotine obsède tellement nos mémoires que nous ne pouvons pas imaginer qu’elle puisse incarner autre chose que le déchaînement formidable de la violence pendant une période supposément exceptionnelle dans le monde.

Il y eut bien un usage politique de la violence et il y eut bien une guerre terrible dans l’Ouest – dont le jeu ne dit rien du tout d’ailleurs. Mais rapporté aux guerres napoléoniennes ou à la répression menée là aussi par les Anglais en Irlande, la France révolutionnaire n’a pas fait pire. Nul motif de satisfaction ; nulle occasion non plus de sonner le tocsin ! Le jeu ne fait pas de french bashing et arrêtons de battre notre coulpe avec la guillotine.

Et si on relisait Propp ?

Que le jeu commette des invraisemblances, employant par exemple des piques à profusion, relève de la convention du genre. Après tout, il est inutile de chercher des assassins volants dans les archives, il n’y en a jamais eu, pas plus qu’il n’y eut de cheval volant comme le décrit Pierre Bordage. L’obsession de la machine volante serait peut-être à trouver dans le film Chouans de Philippe de Broca, qui faisait s’échapper le couple de héros jeunes et beaux dans un ULM à vapeur (!) du haut d’un château breton. Je ne souviens pas que nul, en 1988, soit allé protester à la télévision ou dans les colonnes de L’Humanité  ou du Figaro contre une aussi grossière invention. Reste qu'il s'agit d'un conte fantastique.

Le jeu est en définitive une histoire personnelle, d’un jeune garçon cherchant à comprendre l'histoire d’un père tué, qui après bien des épreuves, toutes plus violentes les unes que les autres, réussit à se retrouver lui-même en ayant été obligé de se battre contre de mauvais conseillers, des traîtres et des ennemis. La Révolution est évoquée dans ses moments les plus connus, Versailles en 1789, la prise de la Bastille, la chute de la royauté et les massacres de septembre, le printemps 1794 de la Fête de l’Etre suprême à la mort de Robespierre, mais acceptons de voir qu’il s’agit de la toile de fond devant laquelle les joueurs, car c’est bien de cela qu’il s’agit, peuvent s’identifier à un jeune homme sympathique et malheureux. Les personnages historiques sont secondaires et les événements rapportés sont présentés rapidement. De quoi s’agit-il sinon des éléments bien connus des contes populaires dont la théorie a été élaborée par Vladimir Propp dans un livre paru en 1928, intitulé Morphologie du conte ? Revenons donc aux études classiques.

La vérité et ses labyrinthes

Ne nous égarons pas non plus dans une recherche de « vérité » qui n’a pas lieu d’être ici. Demandons-nous au Quatre-vingt-treize de Victor Hugo de dire l’histoire de la Vendée placée abusivement au cœur de la Bretagne ? Estimons-nous que La semaine sainte de Louis Aragon dit tout des Cents-Jours ? Ces deux romans incontestablement réussis prennent des distances avec « la réalité » historique. Il est inutile de se formaliser du fait qu’un jeu, assimilé à un conte, ait un rapport très aléatoire à l’histoire, telle qu’on la raconte, car peut-être qu’en plus, on la raconte mal cette histoire que l’on prétend savoir !

D’un mot, j’aimerais bien rappeler que voilà près de dix ans j’ai pu montrer que la « Terreur » n’avait pas été « mise à l’ordre du jour », ou dit autrement qu’il n’y avait pas eu de système politique de gouvernement par la terreur, et que Robespierre fut abusivement accusé par ceux-là mêmes qui avaient gouverné avec lui et qui l’avaient tué d’en avoir été le seul responsable. Pourquoi ne pas remettre en cause tout ce qui se dit encore aujourd’hui sur les chaînes publiques pour discuter savamment de « Robespierre bourreau de la Vendée » ? Entre un jeu qui n’a pas de prétentions scientifiques et des émissions qui en ont, elles, des prétentions, qui est le plus fautif ?

Alors laissons le jeu utiliser à sa guise nos révolutionnaires. L’émotion a été soulevée autour de l’image de Robespierre. J’attends pire pour ce qui en sera de Napoléon dans un rôle inédit ! Mais l’historien que je suis, rappellera avec une malice assumée que personne ne s’insurge de l’image traditionnellement dévolue au roi Louis XVI, ce colosse d’un mètre 92 régulièrement présenté comme un individu mollasson et impuissant.

Si l’on veut rétablir la vérité, alors camarades, retroussons nos manches, et relisons là cette révolution, et comprenons au passage pourquoi elle a échoué. Cela nous évitera peut-être de recommencer, et on peut espérer, qu'une fois n’étant pas coutume, la leçon portera et que l’histoire sous forme de farce précédera une réalisation effective et efficace ! D’ici là, laissons les adolescents jeunes et vieux jouer ;  ils auront peut-être l’idée d’aller lire un manuel voire un livre d’histoire ; tout le monde y aura gagné. Il y a tellement de bonnes querelles dans lesquelles il faut s’engager, qu’il vaut mieux savoir éviter les mauvaises.

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Pour information, je renvoie au portrait  « Pierre Bordage, l’enjomineur » paru dans le magazine L’Histoire de mai 2014, n° 399.

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