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Billet de blog 17 avril 2025

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Quelle est la France qui a imposé l'indemnité à Haïti pour son indépendance ?

Et quelle attitude doit avoir la France d'aujourd'hui devant cette histoire toujours présente ? Sans doute s'agit-il de la réouverture d'un débat qui court depuis des décennies, mais il ne peut pas faire l'économie des remises en cause de ses perspectives elles-mêmes. Au billet de Kenny Thelusma et Elmano Endara Joseph, j'ajoute une note écrite en 2013.

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Quelle est la France qui a imposé l'indemnité à HaïtI pour reconnaître son indépendance? 

Et quelle attitude doit avoir la France d'aujourd'hui devant cette histoire toujours présente?

16 avril 2025, le directeur adjoint de la Fondation pour la Mémoire de l'Esclavage rappelait, sur les ondes de France culture dans le journal de 12 h 30, que cette dette avait été imposée par le gouvernement "réactionnaire" de la Restauration en 1830, à l'encontre donc du sens de l'histoire, incarné en l'occurrence par l'indépendance d'Haïti.

Le rappel factuel n'est pas aussi complet qu'il pourrait l'être. Peut-on oublier un certain Napoléon Bonaparte ou un certain Dessalines ? Sans doute ne s'agit-il que de la réouverture d'un débat, qui court depuis des décennies et qui ne peut pas faire l'économie des remises en cause de ses perspectives elles-mêmes.

Ce qui est illustré, par exemple, par le billet dans Médiapart  de Kenny Thelusma et Elmano Endara Joseph "Hayti : la France profite-t-elle de la crise de sécurité pour se donner « bonne conscience » ?" blogs.mediapart.fr/kenny-thelusma-et-elmano-endara-joseph/blog/160425/hayti-la-france-profite-t-elle-de-la-crise-de-securite-pour-se-donner-bo

J'y ajoute une note écrite en 2013 et une citation de Wikipédia.... pour assurer que si la recherche scientifique a du sens, elle le prouvera en ne s’assujettissant pas à des « demandes » mémorielles, ou simplement politiciennes, mais en obligeant le regard à envisager les contextes des « passés qui ne passent pas » dans leurs complexités. Les « repentances » ou les réparations, dont on ne saurait exactement qui elles visent et qui en seraient les bénéficiaires, ne peuvent pas s’appuyer sur des récits historiques tronqués ou myopes.

Note de 2013 pour Liberté pour l'Histoire

A l’occasion de sa visite en Haïti, en avril 2010, après le tremblement de terre de janvier, le président N. Sarkozy avait rappelé que la France n’avait pas laissé que « de bons souvenirs » dans l’île et évoqué les négociations menées par le roi Charles X pour garantir l’indépendance d’Haïti après indemnisation des colons français. Mais dès 2003, le président haïtien Jean-Baptiste Aristide en 2003 avait adressé une requête publique à la France pour demander la restitution de cet argent. La demande avait été considérée comme inacceptable juridiquement et historiquement. 2010 a donc ravivé un contentieux qui alimente des polémiques et des rumeurs. L’exemple récent est donné par l’initiative du Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) qui a soutenu, avec le Correct (Collectif pour les Réparations Relatives à l'Esclavage Colonial Transatlantique) une journée de « procès », le 25 février 2013 organisé par le « tribunal de la dette d'Haïti ». L’objectif est que la France, et la Caisse des Dépôts et Consignations, restitue l’argent « extorqué ». Une pétition, signée par E. Morin, T. Negri et M. Abensour notamment, a circulé en février 2013 pour soutenir ces initiatives.

Est-il possible de reconnaître les faits dans leur brutalité, de laisser donc l’Histoire se faire, sans pour autant s’engager dans les voies de la repentance ou dans la question complexe de la définition des ayants droits ?

La république d’Haïti est née en 1804 transformant ainsi en territoire indépendant la colonie française de Saint-Domingue, après 13 ans d’insurrections et de guerres. La défaite des troupes envoyées par Bonaparte a été totale, mais la reconnaissance du nouvel Etat par la France n’a été entérinée qu’en 1825, par Charles X, qui imposa un dédommagement de 150 millions de Francs-or à la république haïtienne. Celle-ci paya 30 millions puis connut des difficultés malgré les emprunts souscrits sur la place de Paris ; au terme d’un accord conclu en 1838 le reliquat de la dette fut établi à 60 millions, liquidé dans les années 1880.    

L’énormité de la somme n’est pas niable et son poids sur l’histoire économique du pays évident, même si les historiens rappellent les interrelations bancaires complexes et les jeux politiques propres à Haïti pour souligner les difficultés à établir exactement les liens entre ce remboursement et l’état de l’île au XIXe et au XXe siècles. L’île a été inscrite par la communauté internationale dans des relations inégales, au-delà des relations privilégiées avec la France, il convient d’apprécier les responsabilités des différents pays, Haïti compris, et des différents groupes de pression qui ont tenu leur place dans ces jeux diplomatiques et économiques. L’Histoire doit également produire le récit des conditions de la colonisation et de la constitution d’une société composite dans l’île, ainsi que des modalités de la révolte des esclaves, des épisodes de la guerre achevée en 1804 dans la volonté de créer un Etat unifié, pour dresser le tableau complet de cette naissance exceptionnelle d’un Etat noir dans le monde du XIXe siècle. Les listes des « bénéficiaires » et des « ayants droits » ne pourront pas faire l’économie des examens et des débats contradictoires alors que le consensus, même sur les principes initiaux de l’enquête, est loin d’être en vue.

Et ce qu'en dit Wikipédia;

Indemnisation de la France

Indemnisation imposée en échange d'une reconnaissance d'indépendance

Ordonnance de Charles X, version manuscrite du 17 avril 1825

Pour les anciens propriétaires blancs, la création d'Haïti signifie la perte de leurs biens, répartis entre les officiers et soldats de l'armée insurrectionnelle. Après la chute de Napoléon, ils réclament une autre intervention militaire française pour soumettre l'ancienne colonie, que les traités de Paris de 1814 et 1815 déclaraient toujours française. Jean-Gabriel Peltier, représentant de Christophe, a essayé de négocier au minimum l'indemnisation demandée par les colons, mais ne réussira pas. Pour les armateurs et négociants des ports français, il faut que la France reconnaisse au plus vite l'indépendance d'Haïti, afin de reprendre leurs fructueuses liaisons transatlantiques. Finalement, craignant une nouvelle guerre désastreuse et un veto des États-Unis, le régime de la Restauration impose le versement par Haïti d'une indemnité pour les anciens propriétaires blancs de Saint-Domingue, en échange d'une reconnaissance de son indépendance.

Du côté d'Haïti, l'idée de payer la France n'est pas nouvelle. Très tôt après l'indépendance, l'option d'un rachat des terres est évoquée, sur le modèle de la vente de la Louisiane aux États-Unis en 1803 par Napoléon. Alexandre Pétion, le président haïtien en place en 1814, avait aussi avancé l'éventualité d’une indemnisation pour éviter une nouvelle invasion française, mais calculée sur la seule perte des biens immobiliers, pas des esclaves, affranchis par décision de l'État français lui-même. Idée à nouveau envisagée par Jean-Pierre Boyer, son successeur en 1822, afin d'obtenir la reconnaissance internationale d'Haïti, privé d'échanges commerciaux avec l'Hexagone et parfois même avec les États-Unis.

Finalement, le 17 avril 1825, le roi Charles X exige, pour « concéder » son indépendance à la « partie française de Saint-Domingue », la réduction de moitié des taxes douanières sur les marchandises françaises par rapport aux autres pays, et surtout le versement d’une indemnité de 150 millions de francs or, payables en cinq années. Le montant représente alors « l’équivalent d’une année de revenus de la colonie aux alentours de la Révolution, soit 15 % (ou, 50 %, Réf. Code Noir édition Dalloz 2006, p. 18 et 19) du budget annuel de la France », selon l'écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert. À titre de comparaison, en 1803, la France a cédé la Louisiane aux États-Unis pour la somme de 80 millions de francs, alors que son territoire, bien que neuf fois moins peuplé, s’étendait sur tout ou partie de 15 États américains actuels, Haïti étant 77 fois plus petit. Autre comparaison, la France paiera 700 millions de francs-or d'indemnités de guerre à la Sainte-Alliance à partir de 1815, à la suite des conquêtes napoléoniennes, puis à nouveau 5 milliards de francs-or à la Prusse à partir de 1871. 

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