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Billet de blog 26 avril 2019

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Qu’est-ce qu’une révolution?

Comment avoir la modestie nécessaire pour accueillir les événements dans leur infinie diversité et pourquoi faut-il réaffirmer le besoin de l’étude historique et anthropologique du monde qui nous entoure. Texte paru notamment le 3 avril 2019.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Qu’est-ce qu’une révolution ?[1]

Quand le mur de Berlin tomba, alors qu’à Pékin les chars prenaient possession de la place Tien’anmen, il était difficile de penser que la Révolution (re)deviendrait le mot à la mode près de trente ans plus tard. Tout semblait avoir été dit, la « fin de l’histoire », selon la célèbre et ambiguë formule de Francis Fukuyama était assurée comme on cachète une lettre avec un sceau : l’histoire des forces antagonistes, celle du processus dialectique était achevée. Nous entrions dans un autre monde où les crises n’engendreraient plus de ruptures dialectiques. Dès 1974, la révolution des œillets au Portugal aurait donné le ton avec les colonnes de chars s’arrêtant aux feux rouges. Les seules révolutions qui se produisaient étaient de « velours », comme en Tchécoslovaquie, ou de « couleur » comme en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizstan. Elles semblaient l’aboutissement des mouvements étudiants ou des ONG, des coalitions d’opposants et des médias indépendants, le tout appuyé sur des réseaux transnationaux. Ces événements promouvaient la démocratie en façonnant des paysages médiatiques qui dévalorisaient les formes antérieures du pouvoir. Ajoutons cependant qu’elles se légitimaient en jouant aussi des rivalités stratégiques entre États-Unis et Russie. La disparition de la « passion révolutionnaire » confirmait ainsi au XXe siècle le pronostic bien connu de François Furet, estimant « la révolution est terminée ».

Les révolutions du proche et du moyen Orient brouillèrent cette image. L’Iran s’y prit à deux reprises, en 1979, quand Khomeiny chassa le shah avec le soutien d’une gauche française redécouvrant les vertus d’un peuple spontané, puis en 2009 quand la république islamique opéra une révolution contre-révolutionnaire pour conforter la hiérarchie en place. Les révolutions du « jasmin », du « printemps arabe » de 2011 ont suscité souvent, d’emblée, des velléités de comparaison avec les « grandes » révolutions, française bien entendu, mais aussi soviétique – le temps des révolutions semblait revenu. Et certains d’accabler ceux qui rappelaient qu’en 1789-1799 l’élan n’avait eu ni unité, ni efficacité évidente, et même que le terme « révolution » avait eu du mal à s’imposer comme doté d’une signification claire.

Les évolutions de la Tunisie et de l’Egypte à la fin de 2012 ne semblent pourtant pas garantir que l’ère des révolutions est rouverte et que le monde a redécouvert les recettes abandonnées de la régénération sociale. Quant à savoir si les affrontements ukrainiens deviendront une révolution ou demeureront à l’état de coups de force, au moment même où ces pages sont reprises, les incertitudes demeurent. A l’évidence, ces événements ne confirment pas la prophétie de Hegel, estimant que le triomphe et l’extension d'un nouvel ordre militaireet juridiquené en Europedans les années 1800 ne remettrait pas en cause la rationalité de l’Histoire[2]. Deux interrogations différentes en découlent. D’une part, il conviendrait de revoir l’articulation entre l’histoire « empirique », celle des historiens et l’histoire « universelle » celle des philosophes. D’autre part, il est sans doute nécessaire de revisiter notre conception de la Révolution, pour s’assurer de quoi nous parlons effectivement et débusquer d’éventuels présupposés philosophiques ou idéologiques. Le point commun de ces questions est le passage par l’histoire empirique et l’éclairage qu’elle donne sur ce que sont une crise et un événement. 

Des révolutions sans révolutionnaires

Lorsque, dans les années 1760-1770, le mot révolution est employé pour parler des renversements politiques dans toute l’Europe, voire au Siam, l’ambivalence avec le principe traditionnel qui renvoyait à la rotation des astres et au retour à l’origine ne disparaît pas pour autant. Dans l’imprécision qui s’installe, « révolution » qualifie défavorablement les réformes entreprises par Louis XV et ses ministres, conduits par Maupeou, dont les parlementaires critiquent le despotisme oriental, assimilant, comme l’usage le veut, révolution et coup de force. La « glorieuse révolution » de 1688 en Angleterre avait réenraciné les traditions politiques et religieuses du pays, et fait peu de morts. Elle coïncidait encore avec le retour à l’origine ; cela ne semble plus vrai à la fin du XVIIIesiècle. Y aurait-il pour autant une vague révolutionnaire, atlantique ou occidentale, déferlant alors sur les nations qui bordent l’Atlantique, avant de culminer en France en 1789 ? La réponse, contrairement à ce qui est assuré souvent, n’est pas claire[3].

La « révolution américaine » fut une guerre d’indépendance, qualification qui lui reste de l’autre côté de l’Atlantique ; si bien qu’une tradition historiographique estime qu’on serait en peine de trouver des révolutionnaires pendant la plus grande partie du conflit[4]. Sous cette forme, cette « révolution » n’était pas, techniquement parlant, la première du genre, des révoltes populaires s’étant produites dans l’Amérique du sud contre l’Espagne autoritaire et réformatrice dans les années 1770-1780. Que les historiens emploient le mot « révolution » pour rassembler tout cela ne prouve rien, sinon que partout, en Autriche, en Russie, au Danemark, et en France, les mêmes problèmes se posaient : l’essor économique, la diversification sociale, l’accroissement des échanges, avaient favorisé la démographie, bouleversé les hiérarchies, diffusé des revendications inédites contre l’immobilité des statuts des groupes sociaux. La contradiction centrale n’échappait pas aux gouvernements : tous, sans exception, avaient entrepris des modernisations et des rationalisations, aggravant tensions et contradictions. Comment organiser un Etat fort et efficace en s’appuyant sur les puissances traditionnelles alors que les mesures prises devaient nécessairement rogner leurs pouvoirs, affaiblir leur influence et détacher les populations de l’obéissance consacrée par l’habitude de plusieurs siècles ? Telle était la question partagée[5].

Ce qui a été commun à tous les pays engagés dans la révolution des échanges et des industries, puisque les mutations furent pour partie déterminée par l’essor de l’exploitation coloniale, ne fut pas la « révolution », mais la « crise », face à laquelle la quasi totalité des souverains du monde ont réagi selon des normes communes à ce qui fut appelé ensuite le « despotisme éclairé » : réformer les institutions, renforcer le centralisme, rationaliser les impôts et les services, unifier les sociétés et s’appuyer sur des élites lettrées, dévouées au bien public, capables de tenir tête aux puissants comme aux ruraux archaïques. Ce sont les échecs de ces politiques, en Amérique, nord et sud, en Irlande, en Belgique, en France enfin qui libérèrent les forces « modernisatrices » émancipées de la tutelle de monarques jugés incapables, indignes ou traîtres, et les menèrent sur une autre voie, autonome, qualifiée alors de révolutionnaire.

Ce furent donc pratiquement partout, dans leurs débuts, des révolutions sans révolutionnaires. Le monde était parcouru d’attentes millénaristes, d’espoirs de retour à l’âge d’or sans nobles ni impôts, ou de régénération religieuse et sociale. Le droit naturel, qu’il fût enraciné dans le christianisme qui légitimait le meurtre des « tyrans » ou « moderne », autorisant les réclamations égalitaristes, était discuté dans les universités et les salons, diffusés dans les journaux ou les pamphlets. Les multiples courants des Lumières suscitaient des engouements, pour la philanthropie, contre la traite des Noirs, ou s’infusaient dans les quêtes mystiques des « illuminés ». Le bouillonnement intellectuel et spirituel était prodigieux, jusqu’à toucher par contre coup les ouvriers parisiens investis dans un jansénisme radical, ou les paysans de l’Ouest défendant au contraire les exaltations liées au culte du Sacré Cœur, tandis qu’un courant influent de prêtres affirmait qu’on ne pouvait pas être chrétien sans être « patriote », espérant même rétablir « l’Eglise primitive », pure, pauvre et régénérée[6].

Dans ce maelstrom, ce ne fut qu’au fil des combats que des groupes radicalisèrent des positions, ou plus exactement les sécularisèrent, attitude qui leur permit de refuser toute compromission au nom d’une logique purement politique. Alors que tout pouvoir possédait des bases religieuses voire eschatologiques, que toute réforme s’enracinait dans la nostalgie des âges d’or chrétiens ou que les insurrections populaires se légitimaient dans la dénonciation de la rupture du pacte entre monarque et sujets par le possesseur du pouvoir, c’est la dissociation du politique avec le religieux qui se produit après 1782-1785 en Amérique, 1784 en Irlande, 1790 en Belgique, 1792 en France, qui change la donne. Même si les révolutions qui naissent retrouvent des aspirations, des pratiques, voire des horizons eschatologiques, un discours rationnel, laïc, « politique » au sens que le mot prend alors et garde jusqu’à aujourd’hui, s’instaure et rompt le cours des choses. Relevons que Hegel n’aurait pas récusé le rôle de cette « négativité » dans la marche même de l’Histoire ; cependant accepter d’intégrer les mouvements « contre-révolutionnaires » dans le processus des différentes révolutions modifie le point de vue sur le phénomène révolutionnaire, devenu aléatoire, éventuellement irrationnel, en tout cas jamais inévitable.

Reste qu’il a fallu attendre que ces crises, toutes diverses dans leurs réalités et toutes semblables dans leurs principes, s’approfondissent jusqu’à ce point de non retour. Les « despotes éclairés » ne furent pas victimes, dans l’immédiat, de ce courant (le grand duc de Toscane, l’empereur d’Autriche dans ses possessions du centre européen, la tsarine russe n’avaient pas devant eux des foules éduquées et organisées) et purent, notamment pour les deux derniers, recourir à la violence traditionnelle pour écraser à la fois les opposants à leurs réformes et les insurgés réclamant des avantages inédits[7]. Ce temps de l’entre-deux doit aussi être pris en compte dans l’expérience française, de 1788 à 1791. Pendant ces années, « révolution » et « régénération » sont pratiquement synonymes, interchangeables dans la quasi totalité de la société, à l’exception des émigrés et des « aristocrates » d’un côté, de minorités urbaines ou rurales réclamant la fin des impôts de l’autre, sans oublier quelques intellectuels souhaitant l’instauration d’un système républicain inspiré de l’antique. La révolution, la vraie, celle qui change les consciences mondiales, c’est celle de 1792, quand la violence rompt tous les arrangements, invente une république qui ne doit rien ni à Sparte ni à Rome et que la survie du régime passe par sa propagation, au moins au reste de l’Europe.

 Du bon usage de Joseph de Maistre

Accepter ce parcours cavalier en insistant sur la crise, ou sur les crises, qui précédèrent et provoquèrent la naissance des révolutions « modernes » amène à comprendre la révolution autrement que comme un processus unique, lié certes à une période donnée, mais qui se serait développé ensuite selon les circonstances, en faisant rejouer partout et toujours des mécanismes reproductibles. Renversons même la proposition : la révolution est un des résultats, éventuels, de la crise lorsque le contexte culturel interprète l’événement et lui donne un sens ; ce sont les lectures de la crise qui provoquent, parfois, l’entrée en révolutions. Une révolution est ainsi plus qu’un enchaînement inéluctable de faits liés entre eux, mais plutôt l’inscription, plus ou moins volontaire, dans un nouveau paradigme explicatif du fil du temps. Dans le Cambodge des Khmers rouges, la révolution n’a pas eu de sens d’emblée ; elle fut le résultat de la prise de pouvoir par un groupe qui utilisa une situation bloquée et rencontra des attentes millénaristes et des convergences inattendues[8]. Sauf en voulant à tout prix tout expliquer par des formes relevant de l’imaginaire, ce ne fut pas une révolution à la française, ni à la bolchevique, les authentiques révolutionnaires formés par le marxisme comptant peu, de fait, face aux non diplômés qui tinrent le pays. Employer le mot révolution pour faire des comparaisons est une facilité plus qu’une explication.

Dissocier les logiques de la crise de celles de la révolution présente de nombreux avantages. En premier lieu, cela permet de comprendre comment une révolution naît là où elle n’est pas attendue : la France de 1789, la Russie de 1917. Dans les deux cas, ces révolutions, à étapes donc jusqu’à leurs radicalités de 1792-1793 ou d’octobre 1917-1918, sont nées parce que les gouvernements en place étaient incapables de faire face aux difficultés qu’ils avaient eux-mêmes fait naître. En revanche, là où la révolution pouvait être attendue (dans l’Angleterre parlementaire du XVIIIesiècle ou, plus tard, dans l’Allemagne du XIXe  siècle travaillée par le parti social-démocrate le plus organisé et le plus puissant du monde), elle a été empêchée par la qualité de réflexion des militants et par leur aptitude à intervenir dans les débats politiques, ainsi que par la nécessité de se méfier des extrémismes des deux bords[9]. Mais quand la crise a fait éclater tous les repères, introduit des urgences inconnues et obliger à l’unité autour de la survie même du pays, dans la France de 1792 ou la Russie de l’été 1917, la révolution put s’organiser et prendre le pouvoir.

Prolongeons le raisonnement. Dans l’Allemagne de Weimar, dans l’Italie déçue de 1918, faute de répondre aux aspirations contradictoires et violentes nées des crises d’opinion, des mouvements liés aux traditions révolutionnaires, fascisme et nazisme, purent se développer ; ils purent réaliser ce que les droites révolutionnaires, en France à la fin du XIXesiècle, ou dans ces deux pays au début du XXe, n’avaient pas pu faire : arriver au pouvoir à la suite d’une révolution conservatrice. C’est ce que connut ensuite l’Espagne avec Franco, le Portugal avec Salazar, la Hongrie avec Horthy… Il n’y eut jamais un seul sens de l’histoire attaché à la révolution, contrairement à ce que Hegel nous a fait croire, au travers d’approximations, d’analogies et d’une démonstration d’une complexité aboutissant à la confusion, le tout repris et remanié par Marx à la recherche d’un mode opératoire.

Philosophie pour philosophie, c’est peut-être celle de Joseph de Maistre qui serait la plus efficace. L’homme et sa doctrine sont rejetés tant à gauche que par toute une partie de la droite, unité qui devrait faire réfléchir. Au-delà des récupérations de sa pensée, la puissance de ses réflexions autour de la violence et du rôle du bourreau ne mérite pas les anathèmes qu’elle encourt régulièrement. Maistre pose d’abord que, la volonté divine étant inconnaissable, les activités humaines ne peuvent être comprises que pour ce qu’elles disent d’elles-mêmes ; il convient donc de les analyser en suivant une démarche de type anthropologique. Il récuse clairement les perspectives de Rousseau, qui veut instituer une métaphysique de la Nature et cherche à moraliser la politique, ce que Maistre juge simplement impossible à l’humanité, attachée aux symboles et à l’irrationalité. C’est cette dimension qui explique la place du sacrifice dans la vie politique, en même temps que le rôle des « hommes de génie » qui incarnent les attentes collectives. C’est elle qui permet de comprendre comment naissent des bouleversements violents puisque ces dignités ne sont pas immuables, divines comme on voudrait le faire croire, mais simplement légitimées par l’emploi adapté de la violence[10]. C’est la crise qui est la nature de l’histoire ; la révolution n’est alors l’une des résolutions possibles.

Saisir le supplément de sens

Reste à comprendre comment, à la fin du XVIIIesiècle, on a intégré le supplément de sens ajouté à l’énonciation de la révolution. L’histoire intellectuelle du monde change à partir des années 1770, quand le mot révolution combine le nouveau sens, celui qui signale la rupture politique, au sens ancien de rotation des astres. Les protagonistes de l’époque, en se saisissant de ce mot, ouvrent une voie inédite et rompent, de facto, les fatalités structurelles qui seraient liées à la crise, pour se projeter dans un avenir imprévu et se poser en acteurs véritables de l’histoire. Ce faisant, ils créent un événement au sens plein du mot, dans la mesure où ce qui se produit s’accompagne de l’irruption d’une conscience nouvelle du temps, rompant avec le passé, obligeant même à le réinterpréter pour mettre en valeur la décision de mutation liée à la révolution.

Moment fugace où les légitimités antérieures sont considérées comme obsolètes, où le risque de l’illégalité entraînée par l’innovation est accepté. C’est ce qui fait que la révolution, progressiste ou réactionnaire, est en elle-même un scandale, rompant avec toutes les sorties de crise qui demeuraient dans l’ordre du compromis ou de la transaction.

Cette dissociation crise/révolution, éclairée frontalement par le recours à la pensée de Maistre, permet de considérer autrement le rapport donné comme consubstantiel, mais inexplicable, de la violence et de la révolution. Ce fut, on le sait, l’une des préoccupations de Hegel puis d’Engels que d’arriver à justifier la place de la violence dans l’histoire – question loin d’être résolue. Admettre que la révolution naît, éventuellement, de la crise renverse la perspective. La crise, politique, sociale du XVIIIesiècle se combinait à une crise plus profonde des identités collectives, mais aussi individuelles – on a dit aussi « crise du plaisir » et de l’intime[11]. Il ne serait pas difficile de voir la profondeur de ce genre de crises dans la Russie, l’Allemagne ou l’Italie des années 1900, sur quoi la première guerre mondiale a été surajoutée. Les bouleversements provoqués par la première guerre mondiale dans ces trois pays ont, comme l’avait bien vu François Furet, joué un rôle essentiel dans la destruction des valeurs et la recherche de solutions inédites et rapides[12]. La Révolution, française, bolchevique d’un côté, la révolution fasciste, nazie de l’autre sont nées de ces crises en portant des conceptions différentes, opposées souvent, de l’histoire humaine, mais en conservant toutes les pratiques de la violence qui les rendaient possibles. Aucune révolution ne peut éviter la violence nue, inévitable dans toute crise. Cependant la crise, inéluctablement sombre, doit nous obliger à penser comment les aspects lumineux de la révolution peuvent s’imposer, comment l’articulation, nécessaire, inévitable, redoutée, des uns et des autres doit se faire. Si on ne les examine que sous l’angle des formes de violences que les révolutions ont pu mettre en œuvre, elles possèdent incontestablement des points communs, tant au-delà des contextes et des techniques les crimes et les atrocités demeurent identiques. C’est alors la confrontation entre d’une part les idéaux portés par ces révolutions, qu’elles promeuvent et qu’elles annoncent, et de l’autre les actes violents, qui leur sont contemporains mais qui enferment dans la fatalité de la permanence, qui permet de distinguer entre les mouvements qui apportent un progrès possible et ceux qui, sous les mêmes vocables, l’interdisent.

Il faut accepter que même si les idéaux révolutionnaires ont été gauchis, contaminés même, par les conditions qui ont préludé à leur élaboration, puis par les contraintes liées à leur mise en place, ils ne sont pas dévalorisés ipso facto. Reste à les penser dans le cours de l’histoire universelle tout en fonction des contextes et des conjonctures. L’analyse « empirique » retrouve ici toute son pour affronter cette question, sans sidération devant les « faits », sans chercher de faux semblants autour de bénéfices à venir, sans escamoter non plus le rôle joué par les individus violents inévitablement instrumentalisés et non moins inévitablement rejetés après usage dans les poubelles de l’histoire. Nous y perdons sans doute l’attente de la fin heureuse de l’Histoire et la satisfaction de pouvoir trancher de tout, mais en acceptant de partager l’inquiétude sur les critères de jugement comme sur les qualifications des faits, nous y gagnons la modestie nécessaire pour accueillir les événements dans leur infinie diversité et nous réaffirmons le besoin de l’étude historique et anthropologique du monde qui nous entoure. Dans les bouleversements qui nous assaillent, cette attitude risque de nous servir.

[1]Première version, « La polysémie révolutionnaire, rupture, crise et imprévu »,La Vie des Idées, mis en ligne 5 mars 2013. Réed. La machine à fantasmes, Paris, Vendémiaire, 2014, p. 17-28.

[2]Voir notre Les Echos de la Terreur. Vérités d’un mensonge d’Etat, 1794-2001,Paris, Belin, 2018.

[3]Alain Rey, Révolution, histoire d’un mot, 1989, Gallimard ; Jean-Marie Goulemot, Le règne de l’Histoire, Discours historique et révolution, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris,Albin Michel, 1996.

[4]Notamment Bernard Baylin, To Begin the World Anew, New York, Vintage Books, 2004.

[5]Robert Palmer, The Age of Democratic Revolution : A Political History of Europe and America 1760-1800,Princeton UP, 2014 [1960].

[6]Voir notre Nouvelle Histoire de la Révolution française,Paris, Perrin, 2012.

[7]Leo Gershoy, L’Europe des princes éclairés, 1763-1789, Paris, Fayard, 1966 [1944].

[8]Henri Locard, Pourquoi les Khmers rouges,Paris, Vendémiaire, 2013.

[9]Jean-Numa Ducange, La Révolution française et la social-démocratie, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012

[10]Carolina Armenteros, The French Idea of History. Joseph de Maistre and his Heirs, 1794-1854, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2011. Sous la direction de C. Armenteros et Richard Lebrun, Joseph de Maistre and the Legacy of Enlightenment, Oxford, Université d’Oxford, Voltaire Foundation, 2011.

[11]Peter Cryle, La crise du plaisir 1740-1830, Lille, Septentrion, 2003.

[12]François Furet, Le passé d’une illusion,Essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Paris, Calmann-Lévy, 1995.

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