
Agrandissement : Illustration 1

En Argentine, les mouvements de protestation depuis l'élection à la présidence de la république de Milei ont culminé avec la manifestation du 24 janvier 2024 à Buenos Aire (notre photo). Depuis son élection, Milei veut imposer une avalanche de projets de loi dérégulateurs, une dévaluation de 54% et des mesures d'austérité effectives ou planifiées pour un avenir proche.
Alors qu'il n'est élu que depuis un mois et demi, Javier Milei, est confronté à une grève générale avec une mobilisation de millions de travailleurs qui ont bloqué le pays. Des centaines de milliers de militants et travailleurs se sont mobilisés dans les principales villes de toutes les provinces. Les banderolles et pancartes de la manifestation affichaient des mots d'ordre comme : "La patrie n'est pas à vendre", "Ici, il n'y pas de caste !" "Manger n'est pas un privilège"... Cette journée a été une démonstration retentissante du rejet par les travailleurs et le peuple du plan d'austérité et de répression de Milei et du FMI. Des centaines de milliers de manifestants se sont rassemblés sur la Plaza Congreso et lors d'actions de masse dans d'autres villes comme Córdoba, Rosario, Neuquén ou Bariloche, pour n'en citer que quelques-unes. Cette journée a été le reflet de la colère accumulée. C'est ce qui a conduit la CGT à appeler à la grève générale, après la manifestation face au Palais de Justice à la fin du mois de décembre. Précisons que la CGT en Argentine n'est en rien comparable au syndicat CGT en France. C'est une organisation de masse (7 millions d'affiliés revendiqués) mais il s'agit d'un syndicat corporatif ou, plus précisément, d'un ensemble de syndicats du type de ceux que Pétain voulait mettre en place. C'est une centrale pro-péroniste qui est proche du précédent gouvernement. Le fait que cette grève ait été arrachée à la bureaucratie syndicale et qu'elle ait été énergique montre que les conditions sont réunies pour poursuivre la mobilisation en promouvant les assemblées et en exigeant que la CGT lui donne une continuité avec un plan de lutte pour mettre en échec "le plan tronçonneuse". C'est ainsi que les Argentins appelle le projet de Milei puisqu'il s'est présenté comme un fou furieux avec une tronçonneuse dans les mains lors de la campagne électorale.

Agrandissement : Illustration 2

Lors du rassemblement central, une véritable marée humaine a rempli la Plaza Congreso, l'Avenida de Mayo jusqu'à l’Avenue 9 de Julio et les rues avoisinantes. Il y avait d'importantes colonnes de syndicats CGT et CTA mais aussi beaucoup de travailleurs et de militants organisés ou non, issus de la culture, du sport, des mouvements de défense des droits de l'homme, de la défense de l'environnement, du mouvement des femmes et des dissidents, des assemblées de quartier de la CABA (Ville de Buenos Aires) et des banlieues. Malgré le fait que les argentins étaient en période de vacances scolaires, des enseignants, des chercheurs, des scientifiques et des étudiants étaient aussi présents. Une grande partie de la place était occupée par la colonne indépendante qui réunissait le Plenario del Sindicalismo Combativo (PSC) avec l'Encuentro Memoria, Verdad y Justicia, Unidos por la Cultura, des mouvements sociaux combatifs, le coordinateur environnemental Basta de Falsas Soluciones et les partis qui composent le Frente de Izquierda, qui sont allés exiger que la CGT poursuive la grève, avec un plan national de lutte. La colonne du Plenario del Sindicalismo Combativo a été importante, avec les cheminots de la ligne Sarmiento, Ademys, Sutna et d'autres syndicats et groupes syndicaux opposés à la bureaucratie syndicale. Dans le cas des cheminots de l'Unión Ferroviaria de Haedo et du Bordó, avec le "Pollo" Sobrero en tête, ils ont formé une impressionnante colonne de plusieurs blocs, composée des travailleurs de Sarmiento et d'assemblées de quartier de la partie occidentale de l'agglomération qui, à partir d'un "trenazo", parti de Moreno, ont marché de la gare d'Once vers le rassemblement de Congreso.
La grève a également bénéficié d'une importante solidarité internationale de la part des centres de travailleurs, des partis de gauche et des communautés à l'étranger, qui se sont même mobilisés aux portes des ambassades et des consulats argentins dans des dizaines de villes.
La grève et la mobilisation ont constitué une réponse énergique au "super-ajustement" (plan de rigueur) mis en œuvre par le gouvernement d'ultradroite de Milei, qui pulvérise les salaires, les pensions, les plans sociaux et toutes sortes de revenus populaires, permettant, par le biais de la dévaluation et de l'inflation galopante, de transférer des milliards de dollars des poches du peuple à celles des riches, des grandes entreprises, des banquiers et du FMI.
Il s'agissait aussi d'un rejet du DNU (Décret de Nécessité et d’Urgence) et de la loi omnibus, qui tentent d'éliminer d'un trait de plume plus d'un siècle d'acquis et de droits sociaux, démocratiques et de la classe ouvrière. Et, qui approfondit le pillage le plus absolu de nos richesses et la privatisation de toutes les entreprises publiques du pays.
De même, les manifestations massives ont aussi répondu au protocole ultra-répressif de Patricia Bullrich : très vite, le matin même, dès que l'ampleur de la mobilisation a été constatée, les « marches sur le trottoir » et les provocations mises en place par le ministre de la Sécurité ont été réduites à néant. Aujourd'hui, c'est aussi, sans aucun doute, une victoire contre le protocole répressif du gouvernement.
Que faisons-nous maintenant ?
Le gouvernement de Milei, malgré le coup reçu avec la grève et la mobilisation, va tenter d'aller de l'avant et préparer la session du Congrès pour la semaine prochaine dans le but d'approuver la Loi Omnibus, le DNU et le protocole répressif. Il compte sur le soutien du PRO, du bloc dirigé par Pichetto de Hacemos Coalición Federal et de l'UCR (au-delà de la « dissidence partielle » que certains disent avoir avec le projet de loi officiel) et sur l'appui des gouverneurs, parmi lesquels les péronistes Llaryora de Córdoba ou Jaldo de Tucumán, qui donneront les voix de leurs députés.
Avec Izquierda Socialista (le parti argentin de l'UIT-QI) et le Frente de Izquierda Unidad (le Front de Gauche Unitaire qui regroupe plusieurs organisations qui se réclament du trotskysme), nous faisons partie de l'opposition la plus absolue à la Loi Omnibus et au DNU, tant au Congrès que dans la rue, comme nous l'avons démontré lors de la grève et de la mobilisation. Nous disons, comme l'a exprimé la plénière du syndicalisme combatif, que cette énorme démonstration de force ne peut pas constituer un événement isolé, comme la bureaucratie de la CGT et du CTA nous y a malheureusement habitués. Nous ne pouvons arrêter le plan tronçonneuse que dans la rue. C'est pourquoi nous devons continuer la grève et la mobilisation du 24 d'une nouvelle grève nationale et d'un plan de lutte. Et, appeler à une mobilisation le jour où la loi sera débattue au Congrès pour exiger son rejet.
Mais, cela ne fait que commencer, c'est pourquoi, forts de cette journée de lutte, nous appelons à des assemblées sur les lieux de travail, à des déclarations des organes de délégués et à l'approfondissement de toutes les formes de protestations sociales qui ont eu lieu : assemblées de voisins, d'artistes et d'intellectuels, mouvement écologiste, de femmes et de dissidents, avec des “cacerolazos” dans les quartiers et toutes les auto-organisations qui naissent au quotidien.
L'objectif est de faire échouer tout le plan de Milei et du FMI. Pour cela, nous avons besoin de l'unité d'action la plus large. Mais, simultanément, nous devons souligner la responsabilité du péronisme, qui nous a conduits à ce désastre, avec ses propres plans d'ajustement, de capitulation et de soumission au FMI, conduisant à la répudiation populaire de son gouvernement aboutissant, malheureusement, au gouvernement d'ultradroite de Milei.
C'est pourquoi, avec Izquierda Socialista/FIT Unidad, nous disons, qu'il y a une autre issue. Que la crise doit être payée par ceux qui l'ont provoquée : les riches, les grands entrepreneurs et les banquiers. Il faut opposer au programme de super-ajustement de l'ultradroite de Milei un plan alternatif, ouvrier et populaire, en commençant par une augmentation immédiate et urgente des salaires et des pensions face à l'inflation infernale. Proposer de ne plus payer la dette extérieure usuraire et de rompre avec le FMI. Défendre nos richesses, nos entreprises publiques pour qu'elles ne soient pas vendues ! tels les cas du Banco Nación, des trains. Au contraire, avec la nationalisation des entreprises de services publics privatisées, comme le gaz, l'électricité ou le système ferroviaire (fret et passagers) ; en récupérant 100 % de YPF et en retirant aux multinationales l'exploitation et le pillage de toutes nos ressources naturelles. Nous devons également imposer de lourdes taxes aux grands entrepreneurs et aux multinationales, afin de pouvoir utiliser toutes ces ressources pour répondre aux besoins populaires les plus urgents, tels que des salaires et des retraites décents, un véritable travail, la santé, l'éducation et le logement pour tous. Ce programme et la sortie de la fausse « liberté » du capitalisme d'exploitation que Milei embellit ne peuvent être mis en œuvre que par un gouvernement des travailleurs et de la gauche, sur la voie d'une Argentine socialiste.
Déclaration d’Izquierda Socialista/FIT-Unidad
25 janvier 2023
https://izquierdasocialista.org.ar/2020/index.php/blog/para-la-web/item/22572-contundente-paro-y-multitudinaria-marcha-contra-el-ajuste-de-milei-y-el-fmi-a-seguirla-con-un-plan-de-lucha
========================================================================
Je me permets d'ajouter cette remarque. L'affrontement classe contre classe en Argentine avec les grèves et les manifestations montre bien que c'est sur le terrain de la lutte de classe et nullement sur celui des élections que se joue l'avenir des travailleurs d'Argentine. Voilà seulement un mois et demi que Milei est élu ! Pour n'entretenir aucune illusions au sujet de la démocratie bourgeoise, ceux qui construisent une organisation révolutionnaire n'avaient nullement à choisir entre les candidats de la bourgeoisie. Dès lors, pendant la campagne électorale, les révolutionnaires devaient fixer clairement leur objectif : "Bientôt les élections ! Préparons la révolution ! Préparons la mobilisation !".
Rappelons ce que disait Lénine dans " la révolution prolétarienne et le renégat Kautsky " :
" La démocratie bourgeoise, tout en constituant un grand progrès historique par rapport au moyen âge reste toujours - elle ne peut pas ne pas rester telle en régime capitaliste - une démocratie étroite, tronquée, fausse, hypocrite, un paradis pour les riches, un piège et un leurre pour les exploités, pour les pauvres ".
Il faut que la discussion se mène entre les organisations se réclamant du trotskysme en Argentine sur toutes les questions fondamentales comme celle-ci dans la perspective d'une fusion entre les organisations qui sont issues du trotskysme et du morenisme. Toutes les conditions sont réunies pour reconstruire la quatrième internationale. Les militants trotskystes souvent isolés en Europe dans de minuscules organisations ont le regard fixé sur ce qui se passe en Argentine car c'est dans ce pays et dans la lutte actuelle qui s'y mène que se joue la nécessaire construction d'une internationale révolutionnaire en reprenant le mot d'ordre de Karl Marx : prolétaires de tous les pays unissez-vous !
Jean Dugenêt, le 3 février 2024.