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Poutine a choisi d’envahir l’Ukraine. Il semble unanimement reconnu comme étant l’agresseur. Jean-Luc Mélenchon commence ainsi son intervention à l’assemblée nationale :
« Quelles que soient les causes de l’invasion de l’Ukraine rien ne peut l’excuser ni la relativiser. La menace que contient cette invasion c’est celle d’une guerre mondiale totale et cela en fait un crime contre l’intérêt général humain de notre temps. Le gouvernement de M. Poutine en porte la totale responsabilité puisque c’est lui et personne d’autre qui est passé à l’acte. De la sorte, l’honneur de la condition humaine est évidemment dans la résistance des ukrainiens mais elle est aussi dans la résistance des russes eux-mêmes : ceux qui avec courage manifestent contre la décision de guerre de leur propre pays. Ils témoignent pour l’aspiration universelle à la paix. Leur manifestation nous donne un modèle d’action. Elle mine politiquement la cohésion de l’appareil du gouvernement russe. Dès lors, ne l’oublions jamais, le peuple russe n’est pas notre ennemi. Nous, français, ne le confondons pas avec le régime nationaliste qui est en place. »
François Asselineau ne veut pas être en reste. dans une vidéo en date du 24 février 2022. Il commence ainsi sa déclaration :
« L’actualité est évidemment dominée par la décision de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine avec l’armée russe. Après avoir dit pendant des semaines qu’il en était hors de question au moment même où les américains suspectaient la Russie de vouloir intervenir. Alors, c’est évidemment un évènement d’une très grande importance qui remet en cause les relations Est/Ouest. Qui remet en cause les rapports de l’OTAN, des pays occidentaux non seulement avec la Russie mais aussi avec la Chine, mais aussi avec un grand nombre de pays du monde et il est donc important de s’intéresser à cet événement. Un événement qui est traité en France, comme la plupart d’ailleurs des événements, d’une façon superficielle et hâtive et qui, comme un Western américain, présente d’un côté le méchant : Vladimir Poutine, de l’autre côté les gentils, les ukrainiens, et peut être que certains, par esprit de contradiction, ont un peu tendance à renverser les rôles et à présenter Vladimir Poutine comme le gentil et les ukrainiens comme les méchants. En fait, comme dans toute chose la vérité est un peu plus compliquée et je vous invite à essayer avec moi de trier le bon grain de l’ivrée dans cette actualité. La toute première chose que je voudrais dire quand même c’est que on ne peut pas tolérer qu’un état se fasse justice soi-même. »
J’ai choisi de m’en tenir à ces deux leaders de partis politiques parce que leur cas illustre que les dirigeants des partis sont parfois bien mal suivis par leurs militants. Manifestement, il se trouve à l’UPR des militants qui « par esprit de contradiction, ont un peu tendance à renverser les rôles et à présenter Vladimir Poutine comme le gentil et les ukrainiens comme les méchants ». De même, chez ceux qui suivent habituellement Mélenchon des militants sont manifestement peu convaincus que « l’honneur de la condition humaine est évidemment dans la résistance des ukrainiens mais elle est aussi dans la résistance des russes eux-mêmes ».
Il semble bien que, de toutes parts, des militants dans ces deux organisations et ailleurs, inversent agresseurs et agressés en expliquant que Poutine aurait tout essayé pacifiquement pour faire respecter la sécurité de « sa sphère d’influence » ou de « régions qui devraient légitimement être russes ». Le vocabulaire utilisé pour désigner pareille infamie varie beaucoup mais avec toujours des consonances inquiétantes. Il s’agit toujours de droits ou de pouvoirs qu’un pays pourrait ou devrait exercer en dehors de ses frontières.
- Au nom de quoi ce Poutine se met à guerroyer tout autour de la Russie.
- Au nom de quoi va-t-il bombarder des hôpitaux en Syrie ? (Voir sur YouTube les trailers des films « Pour Sama » et « La Cave »)
- Au nom de quoi Poutine va-t-il déployer ses forces contre-révolutionnaires aux Kazakhstan pour mâter les révoltes légitimes d’un peuple qui subit les affres d’une exploitation capitaliste débridée ?
- Au nom de quoi va-t-il agresser maintenant en Ukraine ?
Le rappel de quelques dates illustre la réalité de la politique conquérante de Poutine :
— Le 6 février 2000, Grozny, la capitale de la Tchétchénie est rasée par les troupes russes de Poutine. Poutine remet la Tchétchénie au pas.
— Aout 2008, la Russie de Poutine annexe l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, parties du territoire de la Géorgie.
— Mars 2014, Poutine annexe une partie du territoire ukrainien : la Crimée.
— Mai 2014, dans la foulée de l’annexion de la Crimée, Poutine apporte son soutien politique, économique et militaire (hommes et armes) à la Nouvelle Russie, nommée Union des Républiques populaires du Donbass. Donbass, un territoire de l’Est ukrainien, proche de la frontière russe.
— Le 30 septembre 2015, Poutine décide d’aider le dictateur syrien, El-Assad, afin qu’il reste en place. La Syrie va-t-elle devenir une province russe ? En attendant El-Assad est bel et bien placé sous la tutelle de Poutine.
— 6 janvier 2022. Les troupes de Poutine viennent briser le mouvement de protestation populaire au Kazakhstan. Elles procèdent à 8 000 arrestations. Elles commencent à repartir le 13 janvier mais la porte reste ouverte. Désormais, les troupes de Poutine sont partie intégrante du dispositif de répression au Kazakhstan.
— Le 24 février 2022, Poutine décide d’annexer la totalité de l’Ukraine, et déclare le Président de l’Ukraine, Zelensky, son ennemi n°1.
Hitler aurait-il eu raison d’annexer l’Autriche puis les Sudètes et tout le reste. Son projet était-il légitime ? Il voulait « la sécurité de sa sphère d’influence » c’est à dire de la « Grande Allemagne ». Il estimait que les populations qui parlaient l’allemand devaient légitimement faire partie de la Grande Allemagne. Il estimait venir au secours de ses populations.
Aujourd’hui Poutine veut regrouper dans son Empire la Grande Russie. Il estime que tous ceux qui parlent russe doivent en faire partie. Il se con sidère comme un libérateur et il considère que ceux qui ne le laissent pas faire sont des agresseurs.
N’est-il pas pire qu’Hitler ? Voyons d’abord d’où il sort. C’est un ancien agent du KGB c’est-à-dire un stalinien amateur de toutes les pires méthodes de répression. Il est devenu milliardaire pendant les « années noires » qui ont suivi le démantèlement de l’URSS. Comme tous les autres nouveaux capitalistes, il a pour cela œuvré en gangster. Il parait que la loi de la jungle lui a été bénéfique. Il était doué pour cela. Arrivé au pouvoir, il était trop bridé par des lois démocratiques qui limitaient le nombre de mandats successifs. Il a magouillé pour faire sauter tous ces verrous. Il peut maintenant être dictateur à vie. Mais, il n’est pas satisfait. Ses rêves de puissance ne peuvent pas le limiter à n’être qu’à la tête de la seule Russie. Il ne pense qu’en référence à la Grande Russie des tsars et de Staline. Tous les puissants dictateurs sont pour lui des modèles. Il a seulement en détestation la révolution russe de 1917 avec Lénine et les bolcheviks. Ce sont eux, ces infâmes révolutionnaires, qui ont laissé les peuples décider eux-mêmes s’ils voulaient rester dans la Russie.
Il n’est pas comme Macron un simple larbin des milliardaires, il est lui-même milliardaire. Le magazine Forbes qui classe tous les ans les plus grosses fortunes mondiales a des difficultés avec lui : trop de secrets, trop d’imprécisions. Ils ne savent pas comment le classer. Il pourrait être l’homme le plus riche au monde. Il continue à s’enrichir en dirigeant la Russie. La notion de conflit d’intérêt n’existe pas sous sa dictature.
La dictature qu’il impose au courageux peuple russe nous fait frémir. Nous élevons mille protestations contre les méthodes utilisées par Macron pour réprimer le mouvement des gilets jaunes. Mais les méthodes de Poutine pour interdire au peuple russe de protester contre ses ambitions impériales sont mille fois pires. Pour interdire que des manifestants se regroupent, il déploie des milliers de policiers qui contrôlent les passants en les choisissant au faciès, à l’apparence. Les jeunes sont systématiquement contrôlés. S’ils sont étudiants, ils vont directement en prison sans autres formes de procès. Il ne veut pas réprimer une manifestation. Il veut faire en sorte qu’il soit matériellement impossible de manifester. Serait-il légitime qu’il exporte cette politique dans d’autres pays ?
Ceux qui justifient toutes ces infamies expliquent que Poutine serait un anti-impérialiste puisqu’il s’oppose aux USA. Mais c’est le pire des impérialistes ! Il y aurait-il une raison de considérer que seuls les USA ont une politique impérialiste ? Ces deux impérialismes sont en concurrence et nous n’avons aucune raison de choisir entre les deux.
Comme toujours les internationalistes qui s’opposent à tous les impérialismes sont accusés dans les deux camps d’être des traîtres au service du camp adverse. Ce fut le cas en 1914 quand, Lénine, Jaurès et les quelques autres internationalistes refusaient que les ouvriers de la triple alliance et de la triple entente aillent s’entretuer. Ils étaient alors accusés de trahison par les socialistes qui venaient de capituler devant leurs bourgeoisies respectives. Hier, c’étaient pourtant bien ces socialistes qui étaient les traîtres puisqu’il s’étaient engagés à protester en cas de déclaration de guerre. Aujourd’hui, les véritables traîtres du mouvement ouvrier sont ceux qui cautionnent l’invasion de l’Ukraine et ce sont eux qui osent nous accuser de trahison.
J’ai publié sur Agora Vox deux déclarations de l’UIT-QI et certains de ces esprits critiques se sont crus autorisés à venir donner des leçons en matière de lutte contre l’impérialisme US. J’ai sans doute eu tort de ne pas préciser que l’UIT-QI est issue, avec deux autres organisations, du mouvement du militant argentin Nahuel Moreno. Qui sont-ils donc ceux qui prétendent donner des leçons à l’UIT-QI en matière de lutte contre l’impérialisme US ? Au nom de quel bilan se permettent-ils cela ? Pendant la dictature de Veleda, en Argentine, le parti de Moreno a eu près de 250 militants emprisonnés et plus de 100 morts ou disparus. Ils ont participé ensuite à la brigade Simon Bolivar lors de la révolution au Nicaragua... Comment faut-il que je m’y prenne pour exiger un minimum de respect ? De plus cette accusation est une idiotie puisqu’il est dit explicitement dans la dernière déclaration que, non seulement l’UIT-QI condamne l’OTAN et les USA, mais aussi qu’elle ne soutient pas le gouvernement de Zelensky :
— « Nous le faisons (soutien à la résistance du peuple ukrainien) sans apporter aucun soutien politique au gouvernement capitaliste de Volodímir Zelensky ni faire confiance à sa direction militaire et politique."
— Notre appel à la solidarité avec le peuple ukrainien n’a rien à voir avec l’« opposition » à l’invasion des Biden, Macron ou Boris Johnson.
— L’UIT-QI réaffirme son rejet de toute ingérence impérialiste en Ukraine, que ce soit par l’impérialisme russe, l’impérialisme américain, l’impérialisme européen ou l’OTAN. »
Mais nos contradicteurs insistent et ils justifient les agressions de Poutine en Syrie et au Kazakhstan au nom du droit international. Cela se comprend quand l'argument vient d'un politicien de la bourgeoisie, comme le gaulliste Asselineau, mais les militants du mouvement ouvrier devraient avoir un peu de recul par rapport à cette notion. Le « droit international » c’est le droit des capitalistes à interdire toutes les révolutions et à exploiter les prolétaires autant qu’ils le veulent. Ce sont aussi les règles qu’ils se fixent entre eux pour se partager la plus-value produite par les exploités. Nous ne devons nullement nous soucier de savoir si c’est légal (au nom de ces lois-là) qu’une armée vienne mâter des travailleurs qui se révoltent quand les capitalistes s’attaquent à leur pouvoir d’achat. Si Macron avait appelé les ricains ou les russes à venir avec des chars mâter les gilets jaunes ces ramollis en seraient à dire : c’est conforme au droit international et aux règles de l’ONU.
Ne pouvant même pas arguer du droit international dans le cas de l’agression contre l’Ukraine, que leur reste-il pour défendre l’indéfendable ?
- La propagande à sens unique: Ils voient les troupes d’Azov mais ils ne voient ni les commandos Wagner, ni les troupes de Kadyrov.
- Les généralisations abusives: Puisque les troupes d’Azov existent c’est que le gouvernement (dirigé par un juif) est néo-nazi. Envahir l’Ukraine c’est lutter contre les néo-nazis.
- Les procès d’intention: Si le gouvernement se maintient, l’OTAN va mettre des fusées avec des bombes atomiques. Il faut envahir préventivement.
- Les falsifications: Dans le conflit au Dombass les forces ukrainiennes ont massacré 14 000 civils. Nous connaissons exactement la réalité à ce sujet (Rapport du HCDH -Voir aussi le chapitre « d’où vient le chiffre des 13 000 victimes ? » dans cet article).
- La métaphore remplaçant la réalité: Les américains ont envahi lors "du Maïdan" en 2014 (avec leurs chars !). Ce sont eux qui ont agressé les premiers !
- En bref : la mauvaise foi sous toutes les formes possibles et imaginables.
Que retenir dans ce flot d’arguties ? L’Ukraine serait un pays néo-nazi dirigé par un juif alors que l’envahisseur est un dictateur ultra-nationaliste plus proche du fascisme que le président ukrainien. Ce Poutine ose parler de dénazification. La meilleure réponse a été donnée par les manifestants, en Russie même, lesquels scandaient : « La dénazification c’est ici, c’est maintenant !» Oui ! Le nationalisme exacerbé pousse au fascisme et c’est vrai dans tous les cas que ce soit notamment en Ukraine ou en Russie. Mais l’existence de bandes fascistes ne saurait être reprochée à tout un peuple. Nous ne défendrons jamais ni les fachos d’Ukraine ni ceux du Donbass. Nous ne défendons pas davantage le « Collectif France-Russie » et le « Comité France-Donbass représentant français de Novorossia ». De quoi s’agit-il ? Ils sont trois individus : Svetlana Kissileva, présidente de Novopole, André Chanclu et Alain Benajam, secrétaires et adjoints. Ils sont les représentants officiels des « Etats indépendants de la Novorossia en France ». On les voit tous les trois dans la vidéo intitulée « Débats avec le comité France-Donbass ». Ce sont des fascistes de la pire espèce. André Chanclu est co-auteur avec Jacques Mayadoux du livre « Ordre Nouveau raconté par ses militants ». Il explique notamment que ce sont eux qui ont décidé de créer le FN en 1972 pour donner aux fascistes français une apparence institutionnellement acceptable.
Ils nous envoient après cela une longue liste d'exactions commises par l'impérialisme US à travers le monde. Il y en a tellement que la complétude est impossible en la matière. Mais, ils ne se rendent pas compte qu'ils avouent ainsi l'existence des crimes de Poutine. Est-ce que les abominations commises par l’impérialisme US seraient une autorisation donnée à Poutine d’en commettre autant qu’il le veut ?
« Je m'en tiens-là mais il y aurait beaucoup d'autres choses à dire notamment sur le foisonnement actuel des "histoires de l’Ukraine". Chacun fabrique son « histoire » pour lui permettre de justifier sa position dans le conflit actuel. Il est remarquable que quasiment personne ne parle de l’influence des tatars et des mongols dans l’histoire de la Russie. Elle fut pourtant très importante pendant trois siècles à la fin du moyen-âge. C’étaient justement les tatars, et quelques autres peuplades, qui occupaient majoritairement la Crimée avant d’être déportés dans les années 1930 et en 1944 par Staline pour russifier la région. Il n’y a pas deux langues parlées en Ukraine, comme beaucoup le disent, mais trois : russe, ukrainien et tatare. Poutine a prolongé la russification de la Crimée en encourageant notamment les familles des marins à s’y installer. Il s’agit donc d’une enclave au même titre que le rocher de Gibraltar ou l’état d’Israël. Les militants du mouvement ouvrier doivent honnêtement se poser la question : Est-ce que le peuplement artificiel d’une région enlève tous leurs droits aux populations d’origine ? Les tatars de Crimée, qui se considèrent ukrainiens, devraient-ils perdre leurs droits comme les palestiniens.
Aujourd’hui, comme hier, les internationalistes sont contre la guerre. Ils ne choisissent pas entre Poutine et les dirigeants américains. Ils sont avec les travailleurs, les jeunes, les ouvriers et les paysans de Russie, d’Ukraine et de tous les pays pour qu’ils en finissent avec les agresseurs de tout genre, avec les bandes fascistes, avec les politiques qui dressent les peuples les uns contre les autres, avec le capitalisme.
Jean Dugenêt, le 5 mars 2022